LA SIXIEME PARTIE DE L’ASTRÉE

DE MESSIRE HONORÉ D’VRFÉ

LE TROISIESME LIVRE

Par Mr DE GOMBERVILE

Le lendemain de ce iour fameux, où Mars, pour la seconde fois, se veid contraint de ceder à l’Amour, la Nymphe Amasis, par le conseil du grand Druïde, se resolut d’aller voir tous ceux qui en cet incroyable combat de six parfaits Amans contre toute vne armée, auoient esté blessez. Aussi-tost qu’il fut iour, ceste Nymphe sortit de son Chasteau [161/162] Auec Adamas, & apres auoir visité Ligdamon qu’elle appella le Phœnix de ceux qui sçauent aymer, elle fut où Lidias & Lipandas estoient couchez: Braues Cheualiers, leur dit elle, quand ie n’aurois pas la parfaite cognoissance que i’ay de vostre merite & de vostre qualité, toutefois les miracles que tout ce que nous sommes en ceste ville, vous vismes hier faire contre nos ennemis, m’obligent à vous rendre des services dont i’aduouë franchement que ie suis incapable. Toutesfois si le ressentiment que i’ay de vos bons offices, & le desir qui ne me quittera iamais de m’en reuancher en quelque sorte, me peuuent tenir lieu aupres de vous de ie ne sçay quelle satisfaction, croyez-moy. Cheualiers, que vous n’aurez point sujet de vous plaindre absolument de moy. Lydias, tout foible qu’il estoit, respondit à la Nymphe, (apres qu’il eut sçeu qui elle estoit) auec des paroles qui confirmerent Amasis en l’opinion qu’elle auoit que ce Neustrien meritoit vne tres bonne fortune. Lipandas interrompit leurs discours, & dit à la Nymphe, que si dans vne ville où il trouuoit tout ce qu’il esperoit de bien au monde, & ne sembloit estre enfermé que pour defendre la vertu, il pouuoit auoir sujet de se plaindre, ce n’estoit que pour estre arresté dans vn lict, auec des playes qui ne luy permettoient pas si tost de monstrer ce que peut vne personne qui se jette dans le peril, pour defendre, auec ses amours, la cause des Dieux & de la Nature: Mais, Madame, que tout ce que nous auons faict est peu de chose! Ie dis ce que nous auons faict, (Ly-[162/163]dias, Ligdamon, & les autres me pardonnent, si ie parle ainsi) puis qu’auec nous il y auoit vne Bergere qui non seulement s’est portée dans le peril auec vn courage sans exemple, mais a faict des efforts, & mesprisé sa vie de telle façon, que pour moy ie confesse qu’elle a terny la gloire des plus vaillants hommes du monde. Adamas se trouuant bien empesché, pour oster l’estonnement de ceste action, crût qu’il n’y auoit point de meilleur expedient que de l’accroistre. Iusques à le faire passer pour miracle: c’est pourquoy il prit la parole, & s’adressant à la Nymphe: Madame, luy dit-il, vous serez encore beaucoup plus rauie de ce que vous dit ce Cheualier, quand vous sçaurez que ceste Bergere est ma fille. O Dieux! S’escria la Nymphe, quoy c’est Alexis? Oüy, Madame, poursuiuit le Druide, c’est Alexis, & bien qu’elle n’ayt pas faict tout ce que dit cet obligeant Cheualier, si est ce qu’à considerer sa jeunesse, sa nourriture, & son sexe, ie dois croire que Tautates par vn miracle visible a combattu sous sa figure: & que la defendant comme vne personne qui particulierement est à luy, a monstré que quand il luy plaist il se sert du bras des enfans pour deffaire les armees. & de la timidité des ieunes filles, pour mettre les plus vaillans en fuitte. Amasis voyant toute sorte d’apparence à croire miraculeuse la valeur d’Alexis, fut la premiere qui approuua ce qu’auoit dit Adamas, & qui en tirant d’heureux presages pour la conseruation de son Estat, en fit faire le mesme iugement à [163/164] Lydias, à Lipandas, & à tous ceux qui l’auoient suiuie. Adamas  luy dit que le repos estoit si necessaire à ces malades, qu’il falloit faire conscience de les troubler. C’est pourquoy, poursuiuit Amasis, nous vous laisserons entre les mains de ceux qui vous peuuent soulager, & pour moy ie vous supplie de tout mon cœur de m’employer pour vous, & croire qu’il n’y a rien en ma puissance qui ne soit prest pour vostre service, & pour celuy de vos semblables. A ce mot, elle & Adamas prirent congé d’eux, & s’en retournerent au Chasteau, apres auoir visité les plus apparens de ceux qui estoient reuenus blessez du combat. Le grand Druïde n’eut pas plustost laissé la Nymphe en la compagnie de Godomar, & les autres Cheualiers, qu’il se souuint qu’infalliblement il estoit attendu chez luy, pour ordonner des funerailles de Semire. Cela fut cause qu’il le dit tout bas à l’oreille d’Amasis, & la laissa aussi triste de la perte de ce vaillant homme, que la conseruation des autres luy donnoit de contentement. Comme il entra en son logis, toutes chose auoient esté si diligemment preparees, qu’il n’eut presque pas le loisir de veoir Celadon, pour le conjurer de ne se point descouvrir, quoy qu’on luy pûst dire, & faire tout son possible pour haster sa guerison. Le frere de Semire, nommé Bias, estoit blessé: mais les armes des ennemis luy auoient bien moins faict de mal, que la mort d’vn frere qu’il aymoit cherement. Aussi quand Adamas le veid si pasle & si defaict, il eut peur que pour n’auoir pas esté assez soigneusement [164/165] pensé, ses blesseures en fussent empirees: & que la negligence des siens ne fist croire à ce Cheualier qu’il auoit peu d’affection, ou prenoit peu de soin de ceux qui oublioient leur salut & leurs fortunes, pour s’attacher aux interest d’Amasis, & de son peuple. Il luy fit le meilleur visage qu’il pût, & s’informa si particulièrement de l’estat de sa santé, que Bias cogneut qu’il ignoroit la cause de son desplaisir. Grand Druïde, luy respondit il, mes playes se portent mieux, & sont plus pensées que ie ne desire; I’auroy toute la consolation qui me manque, si Semire viuoit, ou si Bias estoit mort: Nous-nous sommes tousiours tellement aymez, que notre naissance estoit le moindre de tous les liens qui nous tenoient attachez ensemble. Nos passions, quoy que bien differentes, estoient neantmoins tellement meslees, qu’au milieu de l’indifference où i’ay iusques icy vescu, ie ne laissois pas aymer infiniment, & luy parmy l’incroyable excez de son amour funeste & malencontreuse, ne laissoit pas de feindre qu’il estoit libre, & d’y prendre plaisir. Nous ne trouuions rien mauuais, que ce qui deplaisoit à l’vn ou à l’autre: & ie puis dire que tant qu’il a vescu, nous auons tenu en paix aussi grande que celle de la nature, deux humeurs plus contraire que n’est le froid & le chaud, le pesant & le leger. Apres cela, grand Druyde, pouuez-vous me demander la cause de mes pleurs, & de mes inquietudes? Non, cher frere, dit il, se tournant vers la biere, où estoit le corps de Semire, ce plomb où tu es [165/166] enfermé, ne renfermera iamais mon souuenir, ny mes ressentimens: Ie ne cesseray de me plaindre & de te regretter, qu’alors que ie ne cesseray de viure: & si tes amis sont justes, & tes ennemis sensibles, ils imiteront plustost mon exemple qu’ils ne me conseilleront de perdre la memoire de nostre saincte amitié. Adamas fut touché de ce tesmoignage d’affection, & iugeant qu’il n’estoit pas à propos d’employer l’effet des belles paroles en la violance d’vne douleur qui ne faisoit que de ietter son feu, aduoüa à Bias que la perte de Semire estoit inestimable: qu’Amasis & tout ce qu’il auoit d’honnestes gens auec elle, l’auoient estimé telle, que sa reputation qui n’estoit point, comme son corps, subiette à la mort, etoit la seule chose qui faisoit cesser les pleurs. & les regrets, pour occuper les bouches à le loüer, & les yeux à lire les belles actions de sa vie. Bias ne pût respondre, pour ce que le conuoy se trouuant prest, il fallut songer à d’autres choses. Adamas accompagna ce bon frere en ce iuste & dernier deuoir, & bien que les Cheualiers qui estoient auec Amasis, n’eussent point esté priez d’y assister, toutesfois ils s’y trouuerent, & le Prince Godomar mesme voulut en y allant tesmoigner à toute cette ville, combien grande estoit l’estime qu’il faisoit de la Vertu, en quelque personne, & en quelque pays qu’il pûst la rencontrer. Ces ceremonies furent fort nouuelles, pource que Semire fut porté en terre, auec des marques de vaillant homme, & de fi-[166/167]delle Amant. L’Amour auoit sa part en ses obseques aussi bien que Mars: & comme d’vn costé on voyoit qu’il estoit mort l’espee à la main: De l’autre on cognoissoit qu’il auoit mesprisé sa vie pour conseruer celle de sa maistresse. Aussi comme plusieurs regrettoient sa perte pour la seule consideration de son courage, & de sa vertu: de mesme il y en auoit vn nombre infiny d’autres, qui l’estimant heureux pour estre mort en vne honorable occasion aduoüoit tout haut qu’il leur faisoit beaucoup moins de pitié que d’enuie. Ces funerailles faittes, chacun retourna chez soy. Mais Adamas voulant que Bias eust de tres-particuliers sujets de se loüer de luy, l’entretint fort long-temps, & peu à peu preparoit en sa presence les remedes, dont il vouloit en temps & lieu se seruir pour sa guerison. Il est vray que Bias qui estoit fort ciuil escoutoit le Druide, sans se laisser vaincre à sa passion: mais il estoit tres-aisé de cognoistre que la contrainte qu’il se faisoit luy estoit vne douleur pire que la premiere. Adamas s’en apperceut, & fut fasché d’auoir esté si auant: toutesfois preuoyant que ce que Bias trouuoit, alors si amer & si mauuais, luy sembleroit vn jour plus doux & plus agreable, il en continua le discours si delicatement que lors que Bias y pensoit le moins, il se veid obligé, pour respendre, de changer d’humeur, & de pensees. Adamas l’auoit insensiblement ietté sur les paroles que luy dit Semire quand il ne songeoit pas à le faire emporter auec Celadon: & se doutant que possible il descouuriroit innocemment vne chose qu’il auoit [167/168] vn si grand interest de tenir secrette, voulut luy en parler franchement, afin que ce procedé l’obligeast à luy estre fidelle. Il supposa le mieux qu’il pût les causes des desguisements de Celadon, & luy representant toutes les raisons non seulement que ce Berger auoit, mais luy mwsme aussi, de faire en sorte qu’il ne fust point publié. Le supplia qu’Astree mesme n’en peust rien sçauoir quand elle le prefferoit de luy dire. Bias promit au druide de tout ce qu’il desirat; & pour luy complaire alloit luy apprendre, comme quoy Semire & luy auoient sçeu que Celadon ne s’estoit point noyé lors qu’il tomba dans Lignon, mais vn ieune homme de la maison du Druide, le vint aduertir qu’vn Gentilhomme de la Nymphe desiroit de parler à luy pour vne affaire pressée. Adamas luy representa le soin, & la peine à quoy l’obligeoit la rebellion de Polemas, & pour luy faire trouuer bon qu’il le laissast, luy dit que depuis le siege il n’y auoit heure au iour qu’il ne fust contraint de penser à cent differentes affaires; tantost pour s’opposer aux trahisons des ennemis, & tantost pour preuenir celles que parmy vn si grand peuple quelqu’vn gagné par Polemas pouuoit executer. Bias respondit aux compliments du Druide, comme il s’y sentoit obligé, & le conduisit iusqu’à la porte de sa chambre. Adamas fut trouuer le Gentil-homme d’Amasis, & sçachant qu’elle le prioit de l’aller veoir, courut iusqu’à la chambre de Celadon, l’aduertir qu’il fist bonne mine à toutle monde, ne se decouurit point, & luy recommandant sa santé, le laissa pour obeïr aux commandements de la Nymphe. Bias ayant esté long-temps seul: [168/169] crût qu’il estoit à propos qu’il satisfist à la parole qu’il auoit donnee à son frere & que son esprit seroit tousiours en peine iusqu’à ce qu’il eust obtenu de Celadon la mesme grace qu’il auoit receuë d’Astree. Il enuoya donc sçauoir s’il ne l’importuneroit point de le veoir, & luy ayant esté rapporté que non, le fut aussi tost trouuer. Ce Berger estoit, comme i’ay dit blessé en deux ou trois lieux: mais son plus grand coup estant à l’espaule droitte, il se pouuoit dire incommodé beaucoup plus que malade. Le soin auec lequel dés le iour precedent il auoit esté secouru, & la prudence d’Astree, qui l’estoit venu veoir apres auoir laissé Semire, luy auoient donné vne assez bonne nuict: De sorte que les Myres ne doutoient non plus de sa santé, que du peu de temps dans lequel il pourroit quitter le lict & la chambre. Comme il veid Bias, O! genereux Bias à qui ie dois doublement la vie, faut-il que ie sois si mal-heureux dans la felicité que par vostre vertu seule ie gouste, que i’aye perdu celuy auquel auec vous est commune la gloire de la meilleure action du monde? Ne croyez pas s’il vous plaist Bias, que vous soyez le seul à qui la fortune a osté Semire: veritablement vous perdez infiniement, puisque les qualitez de vostre frere rendent vostre perte irreparable. Mais le mal-heur n’est restreint ny à vous, ny à ceux de vostre maison. Ie le sens plus quem es playes, Bias, & mesurant les obligations que ie luy ay, comme ie le doy faire, soyez asseuré qu’en luy ie perds quelque chose plus qu’vn [169/170] bon frere, & par consequent que ie perds plus que vous. Ie vous disputeroy long-temps cela, luy respondit Bias, si ie ne trouuoy qu’il est necessaire de vous laisser en vne opinion si aduantageuse pour le pauure Semire: Et Dieu vueille Celadon que tousiours vous en fassiez la mesme estime. Celadon alors, comme s’il y fust allé de sa reputation de soustenir celle de Semire, se leua la teste de dessus le cheuet, & s’appuyant sur son bras gauche respondit ainsi à Bias: Ne soyez point en doute de ce que iœ feray pour vostre frere le reste de ma vie: C’est auoir mauuaise opinion de mon iugemement de me croire si peu sensible. Non, non Bias, Semire en retirant Astree des chaisnes de Polemas, & me mettant à la main l’espee auec laquelle il m’a crû capable de la secourir aupres de luy, a fait pour moy des choses que sans impieté i’ose esgaler à celles qu’ont fait pour moy ceux qui m’ont mis au monde. En vne seule action Semire a effacé toutes celles qui peuuent ne luy auoir pas esté aduantageuses, & accrû de moitié les autres qui luy auoient iustement donné dans le monde l’estime en laquelle il est mort. Quoy qu’il puisse auoir fait contre moy, ie l’oublie de bon cœur, & quand il seroit cause de la malheureuse vie que ie meine depuis cinq ou six mois, où plustost depuis mille siecles, si est-ce que m’ayant conserué la vie & plus que la vie, c’est à dire Astree: & me l’ayant conserué aux despens de la sienne, ie veux croire qu’il ne m’a fait qu’vn fort petit mal, pour me monstrer combien grand, & combien extraor-[170/171]dinaire deuoit estre le bien qu’il estoit resolu de me faire. Mais Bias puisque Semire est de ces choses dont il vaut mieux se taire que n’en dire pas assez, changeons de propos, ie vous prie, & me dittes, s’il vous plaist, comme il a esté possible que vous ayez pû sçauoir l’vn & l’autre que ie n’estois ny noyé, ny Alexis: puis qu’il n’y a que deux personnes au monde qui sçachent que ie sois Celadon desguisé en fille, &  deux ou trois autres qui sçachent que ie viue. Voila, luy respondit Bias, ce que i’ay à vous dire de la part de mon pauure frere, & c’est ou ie crains que vous ne quitte la bonne volonté que vous auez pour sa memoire. Mais vous cognoissant genereux & inuincible dans l’affliction, ie me figure que vous me tiendrez tousiours ce qu’vne fois vous m’auez si solemnellement promis. N’en faictes difficulté quelconque, luy dit Celadon, & cependant s’il reste quelque chose pour combler les obligations que i’ay aux deux freres. Ne differez pas dauantage d’acheuer la mesure. Bias s’arresta tout court, sans respondre, & leuant les yeux & les mains en haut, il souspira, & comme s’il eust voulu dire que tost ou tard vne mauuaise action merite son chatiement, quelque veritable que soit le repentir dont elle est suiuie, tesmoigna par les signes qu’il fit de la teste, & des mains qu’il pensoit bien des choses, qu’il n’eust pas esté sage de publier. A la fin reprenant son premier discours il le continüa de cettte sorte. [171/172]

SVITTE DE L’HISTOIRE

De Semire

PVisque vostre courage est assez grand pour souffrir qu’on vous r’ouure des playes que le temps a presque gueries. Ie vous obeïray Celadon, & vous diray des choses que iusqu’à cét heure vous auez possible ignorees. Scachez que l’Amour extrême que le pauure Semire auoit pour Astree: Pour Astree! reprit Celadon en changeant de couleur: Bons Dieux, croiray-ie que Semire a esté Amoureux d’Astree? I’ay bien peur, poursuiuit Bias, que vous ne tiendrez pas parole, puis que le premier mot que ie vous ay dit, vous a tellement esmeu que c’est vn miracle si vous n’auez point la fievre. Faisons donc mieux, Celadon, de crainte que vous n’empiriez vostre mal en m’escoutant, changeons de propos: & lors que vous serez gueri, nous le reprendrons toutes les fois que vous l’aurez agreable. Celadon s’estoit remis pendant que Bias parloit ainsi, & cognoissant combien cette promptitude pouuoit offencer l’esprit de Bias, le supplia tres-humblement d’oublier l’indiscretion de ce premier mouuement: & qu’à n’en mentir point ayant iamais ouy parler de cette affection de Semire pour Astree il en auoit esté surpris: mais que cela ne luy arriueroit plus, & que s’il vouloit luy faire plaisir, il print la peine de luy apprendre ces choses qui pour luy, estoient toutes nouuel-[172/173]les. Ie vous diray donc, repris Bias, que mon frere estant incroyablement Amoureux d’Astree, sans que cette Bergere daignast luy dire vne bonne parole seulement au delà de celles que fait dire la civilité, se persuada, comme il auoit l’eprit excellent, mais vn peu trop subtil pour son repos, que cette belle Bergere auoit de l’Amour pour quelque autre. Sa coniecture fut bien-tost suiuie d’vn infaillible tesmoignage qu’elle estoit vraye: car suiuant vn iour Astree, il amassa vne lettre que par mal heur elle auoit laissé cheoir, & l’ayant leüe, apprit que vous estiez celuy qui rendiez, aux yeux d’Astree, tous les autres desagreables. La cause de son mal cognüe, il creut que par ces artifices il la feroit bien-tost cesser: Mais helas! Pauuvre Semire, tu cognus par les euenemens qu’vn mauuais dessein reüssi souuent, mais tousiours contre l’intention de celuy qui en pense recueillir le fruit. Bias poursuiuant cette histoire, luy apprit comme Semire auoit protesté tout haut deuant Astree qu’il ne l’importuneroit plus de son Amour, & combien auoit esté artificielle l’amitié que depuis ces protestations il auoit tesmoignee à l’vn & à l’autre. Il luy declara la malice auec laquelle il auoit fait naistre & nourry la jalousie d’Astree. Comme quoy ceste Bergere croyant cét amoureux ennemy, estoit allee où Celadon entretenoit Aminthe. Il luy repeta les langages qu’il luy auoit tenus, & les vers qu’il auoit chantez. En fin tout ce que suiuit ceste funeste veuë, iusqu’au iour que desesperé d’auoir perdu les bonnes graces de sa Bergere, il[173/174] fut contraint de se ietter dans l’eau. Alors rehaussant vn peu la voix, il continua ainsi. Vne heure ou deux apres que vous vous fustes noyé, pour le moins à ce que tout le monde croyoit, Licidas rencontra Semire, & pource qu’il auoit veu l’estime que vous en faisiez, & la grande familiarité que vous auiez auec luy, creut qu’il n’ignoroit rien de ce qui estoit entre vous & Astree. Il le supplia de l’accompagner iusques chez luy, & luy ayder à plaindre la perte qu’il venoit de faire d’vn de ses meilleurs amis. Semire le suiuit, & par le chemin l’ayant coniuré de luy apprendre la cause de son mal, Celadon est mort, Semire, luy dit il: mais mort de telle fortune que i’ay suiet de le pleurer tout autrement que si ie l’auoit perdu par les voyes ordinaires. Vous sçauez combien ce berger aimoit Astree quels deuoirs il luy rendoit: quelles difficultez il a surmontées pour luy garder sa foy: auec combien de perils, & par combien de trauaux, il a conserué son Amour & sa constance: En vn mot iusqu’a quel excez d’idolatre sa passion l’auoit porté. Cependant par ie ne sçay quelle frenesie, cette mescognoissantr Bergere est deuenuë ialouse, & sans se souuenir qu’elle auoit commandé à ce pauure Berger de feindre qu’il aimoit Amynte, l’a si cruellement traitté ce matin, apres luy auoir reproché quelques paroles, & quelques vers qu’il auoit dit à celle Bergere le iour precedent, que Celadon ne pouuant la retenir, ny luy faire entendre les raisons, par vn desepoir, & vn aueuglement pour lesquels seuls il meritoit d’estre puny comme il a esté, [174/175] s’est ietté dans Lignon, & là, mais trop malheureusement pour tous ses amis, a esteint auec son amour la cholere de l’vne, & la vie de l’autre. Ie viens de quitter cete inconsideree Bergere, & luy faisant voir sa faute plus claire que le iour, elle a tesmoigné par ses actions; car elle est trop glorieuse pour le monstrer par ses paroles, que la mort de mon frere ne luy est point agreable. Voiyez Semire si i’ay sujet d’estre affligé: Et si la memoire d’vne personne à qui vous auez tousjours esté cher, vous touche, rendez à sa vertu, & à son amitié, ce que vous ne luy pouuez honnestement refuser. Mon freren’estoit passi aise de voir les Amours au point qu’il les auoit desires, que vostre perte ne luy fust tres sensible: Neantmoins comme l’Amour n’est pas seulement vn charme qui nous fait perdre le iugement: mais quelquesfois vne poison qui nous fait enrager, -Semire auoit vne passion  que i’ose sans l’offencencer, comparer à cette derniere qualité d’Amour, car sans penser à quoy que ce soit qu’à gagner l’esprit d’Astree, il perdit toute humanité, & se despoüilla de toutes ses excellentes partiespour suiuvre ce mauditnmouuement d’vne affection desreiglee. Le voila quelques iours apres qui se presente deuant Astree, pour essayer de preuenir son iugement, par le regret qu’il s’estoit proposé de luy tesmoigner de vostre perte: & peu à peu la faisant entrerndans ses pieges, la contreindre à luy donner en son cœur la place que vous auiés tousiours remplie. Mais ceste sage Bergere ne le veid pas plustost, que comme vne personne [175/176] hors de soy, elle se meit les mains sur les yeux, & pria Phillis de luy dire, que si iamais il prenoit la hardiesse après l’auoir si malheureusement trahie, de se faire veoir où elle feroit, qu’elle se feroit mourir en sa presence, pour acheuer de faouller ses yeux & son cœur de Tygre. Phillis dit ces mauuaises nouuelles au pauure Semire, qui n’estant porté au mal en chose du monde qu’en Amour, recognut sa faute, & apres auoir demandé pardon à Astree par Phillis, la supplia tres-humblement de croire qu’il alloit volontairement se bannir de sa presence, ou, pour mieux dire, de tout son bien, pour s’abandonner aux persecutions & aux gehesnes, que dans son desespoir, le remords de sa consciece ne manqueroir pas de luy faire endurer. Il partit en cete resolution, & bien qu’il m’aimast extremement il fut deux lunes, pour le moins, sans me mander de ses nouuelles. Ce long silence me mit en peine: & d’autant plus que Corebe & les autres Bergers, qui l’auoient auec mon frere accompagné en Forests, estoient reuenus sans m’en pouuoir apprendre chose du monde. Ie m’informay deux fois particulierement de ce qui deuoit estre arriué: mais ie n’en eus iamais autre responce, sinon que cinq où six iours apres que vous vous fustes ietté dans Lignon, il s’en estoit allé sans dire Adieu à pas vn de ses amis, & depuis n’auoit esté veu de pas vn de sa cognoissance. Moy à qui l’esprit de Semire donnoit à toute heure de; alarmes, ie pensay qu’infailliblement il pouuoit luy estre arriué quelque affaire, où ses arrifaces s’estans trouuez [176/177] trouuez inutiles, il estoit demeuré engagé à soustenir par soi, courage, ce qu’il auoir commencé par ses subtilitez: & qu’en quelque combat le mal-heur estant de son costé, il y auoit perdu la vie. Ie croyoy toutes ces choses, pour-ce qu’elles estoient fort vray-semblables. Ie sortis donc ce chez moy, auec deux ou trois de mes amis. Ie courus tout le Forests, passay en toutes les villes des Sebusiens, entray iusqu’au pays des Allobroges, & rebroussant vers Lyon, demeuray quinze iours à m’informer de luy dans la Court de Gondebaut Roy des Bourguignons. A la fin voyant que toutes mes recherches, & celles de mes amis, estoient inutiles nous retournasmes chez moy. Mais par vne aduanture digne d’estre admiree, ie rencontray Semire à trois ou quatre milles de nostre ville, qui impatient de m’attendre, estoit party il n’y auoit pas deux heures pour commencer pour moy ce que durant vne lune & demie, i’auois continué pour luy. Ie ferois trop long si poctuellement ie voulois vous raconter tout ce que nostre amitié nous fit faire, & dire en cette heureuse rencontre. Nous nous tinsmes si longtemps embrassez que nos amis furent contraints de nous separer. Chacun luy dit quelque chose pour essayer d’apprendre où il auoit esté tant caché: mais s’en excusant sur des considerations tres-importantes, il nous satisfit de belles paroles. Nos amis nous quitterent chez nous apres auoir disné ensemble, & comme ie me veis seul auec Semire, ie me mis à le regarder mieux que ie n’auois pas fait, & le voyant malgre [177/178] & iaunastre luy dis, qu’il failloit, ou qu’il eust en s’esloignant de moy perdu l’amitié qu’il m’auoit tousiours portee, ou qu’il ne me laissast plus en la peine où i’estois de luy voir vn si mauvais visage. Mon cher frere, me respondit il, ie vous laisse à penser, si c’est à vous à qui ie voudrois celer queleque chose. Ie vous aime plus que iamais, & ne suis venu si tost que de peur de vous mettre trop en peine. Il est vray que vous en auez tant pris pour moy, que ma diligence a este inutile, toutesfois à comparaison de celle que vous eussiez infailliblement euë, sans le bon heur qui seul m’a reconduit auprés de vous, ie l’estime tres-courte & tres-petite. Sçachez Bias, pour commencer l’histoire de mon voyage par la responce que ie vous dois faire, que mon visage tout pasle, & tout decharné qu’il est, est tres-bon au prix de ce qu’il a esté depuis six sepmaines. Mais afin que vous appreniez par ordre les folies que i’ay faites, & qui font si grandes que le merite de celle qui en est cause, est la seule excuse qui me les peut faire pardonner, ie vous veux dire ce qui m’est arriué en la compagnie de Corebe. I’estois allé auec luy, pour le seruir en la recherche qu’il vouloit faire d’Astree, & cependant au lieu de cela, ie n’eus pas plustost veu ce visage sans pareil, que ie me resolus à quelque prix que ce peust estre de luy coupper l’herbé sous le pied. Ie ne pense pas que cette entreprise m’eust esté difficile, si ie n’eusse eu rien à combattre que luy: Mais Celadon la merueille, & l’ornement de son a[sic!]age & son pays, auoit [178/179] vn pouuoir si absolu sur l’esprit de cette incomparable Bergere, qu’en vain tout le reste du monde y eust esperé quelque part. Quand ma fantaisie commença, ie ne sçay quelles raisons obligeoient ces deux Amans à tenir leurs affections si cachees que tout clair-voyant qu’on me croit, j’aduouë que ie n’en descouuris rien. Mais helas! quelque temps apres, à mon mal-heur, autant pour le moins qu’à celuy de ces deux miracles d’Amour & de fidelité, ie cognus leur artifice, & sceus auec quelle grandeur de courage ils auoient surmonté pour ne point manquer à leur foy, la nature, & le temps: les hommes & les Dieux. Ces aduantages, & ces vertus que tous ceux qui sçauoient les affaires d’Astree, m’apprenoient, & me repetoient à toute heure: comme autant de choses, sinon incroyables, pour le moins inoüies, ne faisoient qu’augmenter mon feu, & redre mon mal incurable. Ie disois à moy mesme: c’est en ce difficile & glorieux dessein, Semire, qu’il faut que tu tesmoignes, si cét esprit dont on fait tant de cas, merite ou non les loüanges qui luy font donnees. Iamais tu ne trouueras occasion en laquelle il faille vaincre ou mourir comme celle-cy. En des sujets, ou communs, ou aisez il ne faut pat tout employer, & c’est mesme trop d’en auoir essayé vne partie. Mais icy où le peril est grand à la verité, & toutesfois moins grand que la gloire qu’en le surmontant-il y a sans doute à y acquerir, il faut desployer toutes ses forces, adiousler [179/180] l’art à la Nature, s’ayder des moyens permis & non permis, appeler à son secours amis & ennemis, & mettre en vsage quand les assistances humaines manqueront, tout ce que faict inuenter l’amour, de bon ou de mauuais. Courage donc, Semire, fais-toy cognoistre en tes œuures, & pour commencer ce hardi dessein, par vne inuention digne de toy, digne de ton Amour, digne des tes esperances oste du nombre des hommes cét heureux Berger, dont la conseruation est la ruyne, la vie, & la mort de toutes tes entreprises. La fortune trouua bon à ce commencement de seconder l’Amour, & l’audace: Elle monstra le visage qu’elle a pour ses fauoris, mais pour ses fauoris qu’elle veut esleuer bien haut, afin que leur choute soit plus dangereuse. Amynte qu’en mesme temps Celadon feignoit d’aimer fut le fondement sur lequel ie me figuray que ie pouuois bastir sans craindre chose du monde: & en effet, aussi tost que i’eus descouuert à la belle Astree, ce que ie pensois des ordinaires pratiques de Celadon & d’Aminte, elle me creut si aisément qu’en mon ame, ie fus vn iour ou deux endoute, si cette excellente Bergere ne s’entendoit point auec moy pour se tromper elle-mesme. Ie ne pensoy estre qu’au commencement de mon ouurage que ie le trouuay tout faict. Car vn iour que ie ne me persuadois rien moins que d’auuoir reduir Astree iusqu’à ne pouuoir plus souffrir Celadon, i’appris qu’il s’estoit noyé, & quelques heures apres Licidas m’asseura qu’il [180/181] s’estoit luy mesme ietté dans l’eau pour faire veoir à Astree, combien iniustement elle luy commandoit de iamais ne se presenter deuant elle: C’est auiourd’huy Semire, dis-je en moy-mesme, que sans ingratitude tu ne sçaurois te refuser d’extraordinaires loüanges? Quels Myrthes, & quelles Palmes, donnent l’Amour, & la Victoire, qui soient dignes d’estre sur ta teste? Quel homme vn iour sçaura les batailles qu’en vn moment tu as gaignees: les ennemis que tu as surmontez sans recourir à toy, comme au demon des subtilitez & des conquestes amoureuses? Resiouys-toy, fortuné Semire toute chose te rit, & sçache qu’autant de larmes qu’à ceste heure Astree respand pour la mort de Celadon, autant en retranches-tu du nombre de celles que la cruauté de ta Bergere, & l’excez de ton Amour menaçoient d’arracher de tes yeux. Penses à continuer vne chose si bien commencee: Tu as desia vne fois trouué le foible de cette belle fille, cherche comme tu le trouueras encore vne fois. La jalousie à fait ce que tu pouuois desirer d’elle. Mets la compassion, le regret, & le ressentiment en bataille. Persuade, s’il est possible à cette Bergere que tu n’aimois pas moins qu’elle son Berger; & croy que difficilement se pourra-t’elle empescher de vouloir du bien à celuy qu’elle croira vn autre Celadon. Le mauuais succez d’vne esperance si mal conceüë, Bias, retrancha bien tost la vanité que ie m’estoy donnee. A peine Astree me vit-elle apres la perte de son [181/182] Berger, que plus furieuse qu’vne personne possedee d’vn meschant Demon, elle se ferma les yeux, & me fit dire par Phillis que iamais ie me presentasse deuant elle. Vous vous allez estonner de ce que ie vay vous dire, cependant il m’est arriué comme vous le sçaurez. C’est que ce commandement d’Astree, & l’action qu’elle auoit fait[sic!]te pour me tesmoigner sa haine, m’ouurit les yeux, m’arracha le bandeau qui ostoit l’vsage de la raison, me mit au mesme estat que i’estois, quand ie vous quittay pour accompagner Corebe. I’aduouë que ce qu’il y auoit d’extraordinaire en moy estoit l’Amour que ie ne pouuois oublier. Astree estoit tousiours la mesme à mes sens: mais ses bonnes graces que i’auois voulu (s’il faut parler ainsi) voler entre les mains de Celadon, se representerent à moy, si augustes, si imperieuses, & si seueres, qu’y voyant des sujets de les desirer tousiours, i’en voyois aussi de ne me lasser iamais de me desesperer, & acheuer ma vie parmy des persecutions, & des desplaisirs effroyables? Quoy, disoy-je tout haut, oseray je bien penser que cette merueille ne m’a point refusé ce qu’elle ne me pouuoit donner sans estre pariure, & pour recompense de son amitié, i’ay esté si traistre & si denaturé de luy auoir rauy tout son contentement? Perfide Semire, estoit-ce ainsi, qu’il falloit aymer vne chose si belle? ha! que tu sçauois mal ces belles leçons que l’Amour enseigne à ceux qui ne violent point ses loix: Ton plaisir estoit-il preferable à celuy de ta Maistresse? Deuois-tu songer à ton repos [182/183] qu’auparauant tu n’eusse rendu le sien eternel? La pensee de mettre en peine celle que tu feignois d’aymer plus que ta propre vie, deuoit-elle te venir sans estre repoussee, comme vn attentat contre ton deuoir & ton affection? Quoy dis tu, il ne te pouuoit arriuer vn plus grand mal-heur que de ne posseder pas Astree, & par consequent, qu’il n’y auoit rien de difficile, ny de si criminel que tu ne fusse obligé de tenter pour venir à bout de ton dessein. Ignorant & desloyal Amant que tu es? Iusqu’à quand tiendras tu de si detestables langages? En quel lieu te l’a-t’on appris, que celuy qui aime, doit preferer au bien de ce qu’il aime, ses sentiments & ses pretentions? Non, non, c’est vn crime qui ne reçoit point de pardon que d’estre venu si auant: Cette beauté auoit-elle pas tous les charmes, & toutes les qualitez qui peuuent imperieusement commander à qui que se soit de les aimer: Et cela estant, quelle autre fin t’estois tu proposee & quelle autre fin t’estois tu proposee & quelle autre recompense en deuois-tu attendre, que l’honneur d’estre admis à ce glorieux seruice, & le contentement d’auoir este preferé à cent mille autres, qui ne verront iamais vne merueille si surnaturelle & si diuine. I’eusse esté lon-temps en ces imaginations, si ma conscience qui m’estoit vn perpertuel bourreau ne m’eust aduerti que ces regrets n’estoient pas des peines proportionnees, à celles que ma trahison me faisoit meriter. Ie m’en allay comme vn homme ennemi de soy-mesme à trauers champ, & me trouuant sur le bord du maudit Lignon, eus cinq où [183/184] six fois la pensee de me ietter dedans. Mais qu’osay ie faire? disois-je, de sens rassis: Au lieu d’expier mon crime, ne seroit-ce pas l’accroistre, de mesler l’Amour & la perfidie, l’innocence, & la corruption, & en vn mot Celadon & Semire? Belle riuiere qui maintenant plus riche que la Tage & le Pactole: & plus superbe que l’Eufrate & le Danube, garde le corps d’vn Berger de qui les qualitez feront parler de toy autant d’annees que les hommes auront de l’amour pour la Vertu. Que i’enuie ta fortune, aussi bien qu’Astree, & que toy seule as d’obligation à mes crimes. Conserue curieusement ce tresor, vante toy que tu es braue des plus belles despoüilles du monde, & ne permets iamais qu’autres que tes Nymphes prennent le soin de recueillir ce beau corps & luy faire dans leurs grottes vn tombeau où tousiours fleurissent les Myrthes entre les roses & les violettes. Et toy cher esprit si la compassion que tu as de ma deplorable fortune, te fait oublier mes offences, & penser que comme quelquefois les bestes les plus domestiques sont contraintes de deuorer leurs maistres, ne pouuant trouuer dequoy contenter leur faim, de mesme, que la rage & le desespoir m’ont fait, contre ma coustume, & mon humeur, violer toutes sortes de loix diuines & humaines pour faire reüssir mon indontable passion. Iette, belle ame, tes yeux sur moy, & te figure ce que peut entreprendre d’iniuste & de barbare, vn homme qui ne peut aistre aimé d’Astree, puis que toy mesme as esté forcé de commettre vn parricide, & d’estre ton bourreau pour [184/185] euiter le regret de te veoir hors de ses bonnes graces. Mais auec quelle impudéce m’addressay ie à toy Celadon? A toy, dis-je, duquel i’ay troublé le repos, voulu tacher la blancheur, mis la fidelité en doute, precipité la ruïne, estouffé les Amours, & pour dire tout en vn mot, qui t’ay separé d’Astrée, Ha! Celadon, souuiens-toy tousiours de ma faute, ne sois iamais touché de mes supplices, & si dans les lieux où tu es, il te reste quelque pensee pour les choses du monde, enuoye-moy toutes ces furies, qui le feu & le soulphre à la main, sont destinees pour punir les meschants. Pendant que par vn nombre infiny de semblables discours, i’estoy tout à fait indulgent à mes passions, la nuict vint, mais si noire & si froide, que ie pensay qu’ayant horreur de me laisser veoir à tant d’astres, dont elle esclaire les actions humaines, elle vouloit m’enfeuelir dans son obscurité, & pour punir par son contraire l’ardeur demesuree de mon Amour, me faire perir par l’excez d’vne froidure hors de saison. Vous faittes bien, m’escriay-ie alors, iustes Dieux, de ne me laisser ny lumiere, ny iugement pour me conduire: mais encore, est-ce me traitter plus doucement que ie n’ay merité. La mort me sera trop fauorable, si elle preuient les tourments dont ie dois estre persecuté: & cependant vous luy faites doubler le pas pour venir à moy, puisque ne sçachant où ie vay, incubitablement il n’y a dans les lieux desertez endroit, auquel vn moins mal-heureux que moy ne l’eust desia rencontree. Vn homme qui ne demande qu’à se perdre, ne de[185/186]mande que le temps qui fait. Tout est bon à qui ne craint rien comme moy. Et les plus effroyables obscuritez sont les plus beaux iours, que peut souhaitter vn abominable, comme ie fais. Rendez donc cette nuict eternelle afin que mes yeux priuez du seul Soleil, dont ils estoient esclairez puis qu’ils ne sont point coupables du mal que i’ay commis, ne soient point obligez de souffrir vne lumiere importune & cruelle. Permettez que ce froid ne finisse point, afin que combattant sans relasche contre le feu qui me brusle, il me fasse le theatre d’vne guerre ciuile, ou de quelque costé que soit la victoire, ie ne puis que ie ne perde, & ne sois le prix du vainqueur. Il faut aduoüer la verité, Bias, pendant que ie tenoy ce langage, ie le mettois en execution, car sans vouloir penser où i’allois, bien à peine faisois-ie vn pas, que tantost vne pierre, tantost vn arbre, tantost des espines, tantost vn trou, & tantost quelqu’autre incommodité me faisoit donner du nez en terre, & tiroit du sang de toutes les parties de mon corps. Apres auoir couru, où pour dire mieux, apres auoir passé la moitié de la nuit à tomber & me releuer, ie fus malgré moy contraint de demeurer où i’estoy tombé, pource que n’ayant mangé de la journee, & d’ailleurs m’estant affoibly par le mal que ie m’estois fait, il me fut impossible de mettre vn pied deuant l’autre. Ce fut en cet estat que ie renouuellay mes plaintes, & que m’adressant quelquefois à la belle Astree, & quelquefois à l’ombre de Celadon, ie representois mon amour à l’vne, & auec ma [186/187] faute, mon repentir à l’autre. Sage & belle Astree, disois-je, ce ne m’est pas vne petite consolation, ne pouuant m’empescher d’auuoir vostre nom & l’expression de mes maux en la bouche, que ie sois tellement eloigné de vous que vous ne puissiez m’entendre: Car, à n’en mentir point, ie m’estoufferois plustost pour estouffer toutes mes plaintes, que d’acheuer de perdre en les racontant le peu de repos que ie vous ay laissé. Ie me garderay bien de vous faire veoir ce monstre, qui ne vit que pour estre indigne des douceurs de la mort, puisque vous me l’auez defendu: mais ie me garderay bien aussi d’oublier vostre beauté, n’y m’arracher à la necessité, qui me commande de vous seruir. Oüy, diuine Astrée, ie vous aymeray tousiours. Ces merueilles que i’ay si curieusemen[sic!] considerees, ne s’esuanouïront iamais de ma memoire. Quelque pleine d’horreurs & de crimes qu’elle sort, elles y auront vne place tousiours pure, & tousiours incorruptible: Les objets tragicques qu’elle garde, se recueillants en eux-mesmes y feront vn. Enfer, où vostre justice paroissant en la colere, vengera l’Amour, la Nature, & vous mesmes, de qui i’ay desloyalement profané la saincteté. Ie vous aymois pour mon repos, maintenant ie vous ayme pour ma punition: Et comme souuent il arriue que le mesme vent qui nous a mis au port, nous faict vne autrefois faire naufrage, de mesme ce beau visage que n’agueres estoit ma ioye & ma vie, aujourd’huy conuertissant ces charmes en poisons, & ces fleurs en serpés, est ma tristesse & [187/188] ma mort. Mais, belle ame de Celadon, pourquoy n’arrachez vous de la main des Dieux du nombre desquels vous estes maintenant, cetonnerre dont ils ont accoustumé de mettre en poudre les Encelades & les Tyties, pour m’oster avec la vie la liberté de parler de vostre Bergere. On croira que vous auez quelque intelligence auec moy, ou qu’Astree ne vous est plus chere, & par consequent que vostre mort est iuste, si vous souffrez dauantage que ie profane par des paroles si effrontees, la clarté de vostre bel Astre. Astree, Astree, cause; mais cause innocente du mal que i’ay faict, que diray-je qui puisse expier mon crime? Mais plustost que ne diray-je point, pour empescher qui ne le soit vn iour? Celadon, poise mon offéce auec ma satisfaction: si ie n’ay mille fois plus enduré que ie n’ay failly, ne permets pas que ie reçoiue quelque sorte de grace de la justice des Dieux, ny de celle des hommes. Ie finissois ces estranges prieres, lors qu’vne voix fort douce & fort basse, m’appellant par le nom d’Amant desesperé, me demanda si ie cognoissois Esione? A quel propos, luy respondis-je interromps-tu durant la nuict & le silence, le repos de ceux qui n’en trouuent qu’à se tourmenter? Cognois-tu Esione? reprit ceste voix. Helas! comment la cognoistrois-je, que ie ne me cognoy pas moy-mesme? Responds moy, ie te supplie, poursuiuit ceste voix: Cognois-tu Esoine? Ie n’en oüys iamais parler, luy dis-je. Phedre, continua-telle, sçais-tu qui elle est? Ie luy dis que non. Et Praxinoé, reprit elle, & Thyonique te sont-[188/189]elles incognuës? Oüy, luy respondis-je, & si bien incognuës, que ie ne pense pas que ces noms ne soient supposez, ou que celles qui les ont, ne soient Greques, ou Egyptiennes. Ah! traistre Semire, me dit-elle en colere, au moins ne nieras-tu point que tu ne cognoisse Liuie? Ceste Liuie, dis-je, qui apres auoir neuf mois durant resisté à tes prieres, à tes importunitez, & s’il faut tout dire; à tes idolatries, en fin se laissa vaincre, & par vne donation entiere de soy-mesme, te combla de plaisir, comme aujourd’huy elle te doit combler de honte & de confusion. Parle, perfide & mescognoissant que tu es, ne crois-tu pas que les Dieux sont iustes, & qu’ils n’ont permis les ordures, & les laschetez où l’amour de ceste Astree t’a fait tomber, que pour nous venger toutes deux de ta meschante foy? Il le faut aduoüer, Semire, tes dernieres actions ne dementent point les premieres; & si tu continuë, ta vie sera illustre par d’extraordinaires crimes, plus que celle des autres, n’a accoustumé de l’estre par de grandes vertus. De l’infidelité tu as passé à la trahison, de la trahison, à l’assassinat; de l’assassinat, tu veux aller iusqu’à estre homicide de toy mesme; bien-tost tu passeras au sacrilege: & en fin pour acheuer ta malheureuse destinee, ne laisseras rien à inuenter ny contre les Dieux, ny contre les hommes. Ie me doutay, Bias, qui estoit ceste Liuie, & ne sçachant par quelle auanture elle se trouuoit si pres de moy, crûs qu’infailliblement les Dieux l’auoient apportee là, pour me faire voir en [189/190] mesme temps toutes les fautes que i’auoy faites, & toutes les perfidies dont i’estois coupable. Aussi me fortifiant par ce dernier mal heur à purger le monde d’vn prodige de si mauuais presage que moy, ie luy respondis ainsi. Si vous estes Liuie elle mesme, ou quelque autre, que pour m’accuser de mon infidelité, elle enuoye dans les Gaules, faites moy la faueur de m’en esclaircir, & ne croyez pas que ie vous supplie de vous taire. Non, non, Liuie, si c’est vous comme ie pense qu’vne amitié dont ie suis indigne, fait crier si loin de vostre maison: ne vous cachez point au traistre qui vous donne tant de peine. Encore qu’il ait esté si lasche de vous manquer de parole, toutesfois il ne l’est pas assez pour le desaduoüer. Ie vous suiuray par tout où vous voudrez me blasmer. Ie confirmeray tout ce que vous me reprocherez: & si ie suis pas quelquesfois de vostre opinion; ce sera seulement lors que vous n’exagererez pas assez mes méchantes actions. Ie ne suis que trop ceste Liuie me respondit ceste voix, dont tu sebles auiourd’huy recognoistre la vertu; & plûst aux Dieux qu’aujourd’huy ie fusse aussi bien capable d’estre persuadée que ie fus autrefois capable d’estre vaincue: Assures toy Semire qu’au lieu que ie ne me puis resoudre à viure apres auoir esté trompee, ie me laisserois reprendre aux tesmoignages de ta douleur, & de ta penitence. Mais nous ne sommes plus ny l’vn ny l’autre à ces termes: toy pour auoir changé de passion, & moy pour ne pouuoir changer de volonté. Ie ne te demande autres larmes, ny [190/191] autre repentir, que celuy d’auoir quelque ressentiment de ta faute: mais ie veux que tu cognoisse combien estoit digne d’vne autre fortune, celle que nostre commun mal-heur t’a fait perdre. Ie voulois luy respondre, & faire trouuer mon inconstance en quelque façon excusable, comme en effet elle l’estoit: mais Liuie me suppliant de me taire, poursuiuit ainsi son discours. Tu parleras vainement pour tous deux, Semire, si tu crois me regaigner par tes belles paroles. Cesse cet inutile trauail, i’ay pû estre vne fois amoureuse, estre vne fois trompee: mais que ie puisse l’estre encore vne fois, c’est ce que ie te prie de ne te figurer point. Ie te veux dire, Semire, ce qui depuis neuf mois me faict courir apres toy, & au mesme temps que ie me seray deschargee d’vn fardeau, qui, sans mentir, pour des espaules foibles comme les miennes, est trop pesant, ie te laisseray en paix: si desesperé, comme tu es, il est possible de t’y laisser. Sçache donc que les noms que tu ne cognois plus, comme si ta memoire d’Italie estoit autre que celle que tu as en Gaule, sont toutefois ceux qui te furent autrefois si chers, lors que ne pouuant trouuer l’occasion de m’entretenir, tu te fis presenter par celles qui les portent. Esione, Phedre, Praxinoé, & Thyonique, sont ces quatre belles filles qui t’obligerent extraordinairement, en ces fameux & superbes jeux qui furent representez à Rauenne, apres qu’Attila auec sa monstrueuse armee, fut repassé en Affrique. Ne sçais-tu pas comme tu leur sauuas la reputation par ce combat, où le tiltre seul de [191/192] Cheualier te conuioit; & comme quoy, pour se reuancher, elles t’offrirent de te seruir, comme leur propre frere. Ie ne repeteray point les paroles que tu leur dis pour les remercier, & les disposer à te donner ma cognoissance. Combien inutiles furent leurs premieres solicitations, & combien insupportables leur furent la responce & le mespris, dont quinze iours durant leurs tentations (ainsi puis-je nommer leurs recherches) furent accompagnees. A la fin toutefois desloyal, ie t’aimay, & si ie l’ose dire, fis quelque chose dauantage. Mais comme toutes les choses du monde sont sujettes au changement, & souuent ruinees lors qu’on les croit le mieux establies, voilà tout à coup l’orage qui m’oste l’esperance de la recolte. Ton depart inopiné, qui renuersa tous les preparatifs de mes nopces, & me laissa seule & miserable, à la mercy de tous mes parents, & de ceux de Coriolanus, qui me reprochoient à toute heure que pour vn vagabond, ie m’en estois mocquee. Deuant eux ie fis bonne mine, & reiettant sur ce courtois Cheualier, les causes de mon desplaisir, au lieu, Semire, qu’elles estoiet toutes tiennes, l’accusay d’impudence & de tyrannie, d’auuoir voulu forcer le courage d’vne personne libre. Mais quand ie fus seule, que ne dis-je point contre les Dieux, contre la Fortune, contre tous les hommes, & cela Semire, afin de ne rien dire contre toy? Toutefois d’heure en heure l’object espouuantable de ta perfidie, se rendit tellement maistre absolu de ma resolution, que ie ne pûs me retenir si bien, que ie [192/193] ne te misse de la partie. Ce te fera, peut-estre, du desplaisir d’oüir ces iustes reproches: mais il ne peut qu’il ne soit infiniment au dessous de celuy que i’eus d’estre obligee des les faire. Donc, traistre, disois-je, tu n’as passé les Alpes, ny changé d’habillements & de langage, que pour abuser vne ieune fille, & faire vanité d’auoir mis tes mensonges en credit? Vrayement tu estois bien pauure de reputation, puisque pour en acquerir, tu as esté reduit à la necessité de t’addresser à moy. Qu’espere tu de-ceste conqueste? Quelle recompense attends tu de ta perfidie? Est ce par vne trahison qu’il se faut rendre recommandable en ton pays? Mais n’est-ce point pour te venger de la seruitude de tes peres, que tu m’as fait ton esclaue? Helas! Semire, ie te jure, ny moy, ny les miens ne furent iamais complices du conseil qui fit passer les Romains dans les Gaules. Mes peres n’estoient point dans les armees qui les ont conquises. Iamais leurs espees n’ont esté rouges du sang des tiens. S’ils eussent esté les seuls arbitres de la fortune, les Gaulois auroient encore leurs priuileges, & leurs franchises. Et pleust aux Dieux, pour le repos de l’vn & de l’autre, que les Romains n’eussent iamais violé les loix de la Nature, ny rendu leur ambition plus haute que les Alpes: nos nations seroient aussi peu cogneuës l’vne de l’autre, que nous sont celles des extremitez du monde. Et cela estant, iamais l’ennuie ne t’eust prise de venir en Italie, & iamais ie n’eus senty les douleurs que donne [193/194] le regret d’estre trompee par vne personne qu’on ayme. Mais à quoy bonnes ces sages considerations? Ie suis trop indulgente, desloyal Semire, tu m’as quittee sans subiect, comme ie t’ay voulu du bien sans iugement. Va donc triompher de mon cœur & de ma reputation. Ne laisse rien à faire pour rendre ta perfidie sans exemple. Vante-toy deuant tes belles Gauloises, qui, peut-estre, aussi peu fines que moy, boiuent à longs traits la poison que tu leur presente sous tes belles paroles, qu’il n’y rien que tu n’ayes obtenu de moy. Qu’auiourd’huy mesme ie me meurs de ne te veoir plus, & qu’encore que ie ne sois pas sans charmes, toutesfois qu’aupres de leurs merueilles, ie ne puis passer que pour vne fort vulgaire beauté. Elles croiront ces mensonges, comme i’en ay crû à leur prejudice, de semblables à mon tour. Mais, helas! barbare, tu m’as laissée: Ny les Dieux, que tu as si impudemment appellez, pour estre les tesmoins de tes promesses, ny ___ foy que tu m’as si solemnellement donnee, ny le ressentiment des obligations que tu m’as, ny la crainte de la vengeance que tant de Cheualiers me promettent aux despens de ton honneur & de ta vie, n’ont pû gaigner ton inhumanité: vaincre ta barbarie, ny arrester ton inconstance. Semire, dénaturé Semire, que t’auois-je faict pour me vouloir tant de mal? Pourquoy prenois-tu tant de peines pour rendre vne innocente mal-heureuse? Ie ne t’ay point esté chercher. Ie n’ay employé artifice, ny affeterie pour forcer ton [194/195] inclination. Et toutes les fois que ie fais reflection sur ma conscience, ie ne la trouue coulpable que de t’auoir aymé. Est ce ainsi qu’il faut viure auec les gens de bien? Et a vertu t’est-elle si mesprisable, que sans occasion tu prennes plaisir de la fouler aux pieds? Mais quand rie ne l’auroit obligé à ne me pas tromper, ma bonté n’estoit-elle pas assez grande pour t’en oster la pensee? Que ne disois-tu, meschant? A n’en mentir point, ceste fille n’a pas tous les appas qui peuuent arrester vn esprit comme le mien: mais aussi sa bonté merite vien que ie l’ayme, ou si ie ne la puis aymer, que ie ne trouble point son repos: Non, ie ne luy tendray point de pieges, ny ne feindray de l’aymer, afin qu’innocente & credule, elle n’ait point occasion de se laisser prendre. Il faut quelquefois preuenir le malheur que nous pouuons faire: & la mesme gloire qu’il y a de soulager vn miserable, est à ne pas souffrir qu’il le deuienne. Cruel, ces bonnes pensees n’auoient garde de te venir. Ta naissance est trop corrompuë, pour produire quelque chose de bon. Ces Cheualiers dont tu te vantes par tout, te desaduoüent: & s’il faut croire que quelque creature raisonnable t’ait donné la vie, ie croiray que les Dieux l’ont voulu pour la punir de ses fautes, & de celles de tes peres. Nay auec le mal, nay pour faire mal, nourry au mal, & confirmé dans le mal: par inclination, & par exemple. Maudit Semire, tu n’as quitté les Gaules, que pour ne pouuoir y estre souffert. On t’a banny comme vn monstre, & ta patrie sans doute, a [195/196] crû qu’elle ne se vengeroit iamais plus aduantageusement de ses vainqueurs, que t’enuoyant parmy eux, comme vne abomination, qui n’est en lieu du monde, où elle n’attire la colere & la malediction des Dieux. Non, Semire, ie ne croy point ce que ie dis, peut-estre suis-je cause que tu m’as laissee. Cet insolent qui, appuyé de la force de mes parents, osa attenter à ce qu’Amour t’auoit acquis, t’aura donné de la jalousie, & le peu de conte que i’auray tenu de t’en retirer, t’arrachant d’entre mes bras, te fait errer parmy les Alpes, & demander raison à l’Amour de ma foy parjuree. Si cela est, Semire, reuiens, tu cognoistras ce que i’ay fait pour toy: & comme ie me suis punie pour t’auoir donné le moindre soupçon du monde. Que ne me voys-tu Semire à genoux comme ie suis, les larmes aux yeux, & le cœur plein d’espines. Rien ne t’empescheroit de me venir consoler, & confesser que pour vne faute si legere, la penitence est trop longue & trop dure: Que fais-tu donc où tu es? Que ne retournes-tu pour me dire au moins Adieu, ou plustost pour apprendre s’il est vray qu’vn autre ayt pris ta place? Mais, detestable, tu n’as soucy ny de ce que ie fais, ny de ce que ie deuiendray ne te voyant plus: ta passion inconstante n’a peu demeurer dauantage en mesme lieu! tu auois quitté les Gaules pour changer, & pour changer dereçhes, tu quittes l’Italie. Va par tout où tu voudras, il faut que ie te suiue. Puisque tu commence de me faire perdre la reputation en t’aymant, [196/197] il faut que ie l’acheue en te suiuant. Mais ne croy pas que ie te suiue, pour t’obliger à recognoistre ta faute & mon innocence. Ie ne veux plus estre au monde que pour te persecuter. Ie me resous de ne t’abandonner plus, afin que comme tu ne m’as laissé ioye, repos, ny esperance en me quittant, ie t’arrache, en ne me quittant point la paix, le plaisir, & la raison. Ie te suiuray comme vne furie, & te deschirant l’ame, ou te la couurant de plus d’vlceres & de serpens, que les veritables Furies ne font de players sur les corps des damnez, ie te feray long temps languir, & long-temps maudire l’heure & le iour où tes artificielles passions te donnerent l’enuie de faire l’essay de leur trahison, & de la credulité d’vne fille amoureuse. C’est assez, Semire, continua-t’elle, ie suis maintenant en telle humeur, que ie m’ennuye de me plaindre. Il faut que i’acheue la plustost que ie pourray: Sçache donc qu’en mesme temps, ie me resolus de te chercher, & ne cesser de courir, que ie ne t’eusse trouué. Ie sorts de chez moy desguisee, assez bien pour n’estre point recognuë, & auec Thisbee, qui n’a pû m’abandonner qu’en mourant, pris le chemin des Alpes. Apres auoir marché trois iours, ie trouuay que nous estions fort peu auancees, toutefois la rage me donnant d’extraordinaires forces, i’allay iusqu’en Ligurie, & avant passé le Pau, appris que i’estois parmy les Boïes. La Fortune n’estant pas lassee de me tourmenter, renouuella aupres de Boloigne, ses vieilles querelles. Coriolanus, que mes mespris & mes amours n’auoient pû refroidir, ayant sçeu [197/198] mon depart, me rencontra, & se jettant à mes pieds auec des submissions, & d’incroyables ressentimes de ma peine, me dit, qu’il ne me venoit point trouuer pour me conjurer de ne plus suiure vn perfide, pour receuoir le plus passionné seruiteur que i’aurois iamais: mais d’auoir agreable qu’il m’aidast à te chercher, & peu auant que de mourir, voir qu’en quelque chose il auoit sçeu m’estre agreable. Ses offres me mirent bien en peine, toutefois me doutant que ie pouuois auoir affaire de son courage & de sa protection. Ie le priay de ne predre garde ny à mes actions, ny à mes parloles, & qu’estant hors de moy il y auoit long-temps, il ne deuoit s’arrester à chose du monde qu’à prendre pitié de ma misere. Ce Cheualier, Semire, touché de trop d’Amour & de trop de compassion, fut tellemet surpris de mes paroles, que les larmes luy en vinrent aux yeux, & apres auoir demeuré plus d’vne heure attaché à me considerer. Dieux! s’ecria-t il, que vous ay-je fait, que ie n’aye pû meriter les bonnes graces d’vne si belle et si constante fille? Il se tourna vers moy aussi-tost, & me demanda où il me plaisoit d’aller? Il ne m’importe où, luy dis je, pourueu que Semire y soit. Pourueu que Semire y soit! reprit-il: Heureux Semire, quoy! Ne te rendras tu iamais digne d’vne si extraordinaire faueur? Allons-y, Madame, allons-y, où est ce trop fortuné Semire, ie le chercheray, puis qu’il vous plaist. Et s’il ne tient qu’à le seruir, pour vous tesmoigner mon amour, ie renonce à tous les priuileges de ma naissance, & le [198/199] veux prier, le genoüil en terre, de receuoir le reste de la liberté que vous m’auez laissee. Nous partismes ainsi, & desia commencions-nous, Tisbee & moy, d’auoir horreur parmy les precipices & les montagnes, dont nous estions enuironnés; quand nous fusmes arrestez par quarte hommes, qui ne m’estoient pas tout à fait incognus. I’en auois veu vn désque ie passay par le pays de Leuiens, & les deux autres, à ce qu’ils m’auoient dit, au passage du Paû, estoient Lebuïens. Ces hommes, comme ie sçeus depuis, plustost amoureux de l’effroy & de la laideur, que de Liuie, s’estoient en diuers temps si peu sagement embarrassez de ceste ie ne sçay quelle miserable beauté, que toutes mes douleurs n’auoient pû entierement effacer, qu’ils s’estoient resolus de me suiure, & par vne paçtion fort nouuelle, se battre en ma presence, & me laisser pour le prix du vainqueur. Ils mirent donc pied à terre aussi tost qu’ils m’errecht atteinte, & par des paroles & des respects estranges pour des gens de leur humeur, me dirent combien ils auoient d’Amour pour moy, & ce qu’ils estoient deliberez de faire pour me gagner. Ie trouuay leur marché si injuste, qu’encore que ie ne fusse plus on estat de songer qu’à toy, Semire, ie leur dis que ie ne valois point la peine qu’ils se donnoient, & qu’à la deliberation qu’ils auoient faite, ie voyois tout tellement desauantageux pour moy, que ie ne pouuois estre de leur opinion, & par consequent que ie ne les conseillois pas de se [199/200] battre puisque la principale partie ne demeuroit pas d’accord de leurs conuentions. C’est, Madame, à celuy de nous quatre qui demeurera, me respondirent-ils, à qui nous laissons ces difficultez à surmonter. Coriolanus ne disoit mot, & si ie n’eusse sçeu qu’il n’auoit que trop de courage, sans mentir son silence m’en eust faict douter: mais au lieu de cela, ie crûs, par ton exemple, qu’il ne falloit pas tout croire ce qu’il me repetoit à toute heure. Cependant voila, ces quatre hommes l’espee à la main, les deux Leuiens, contre les deux Lebüiens. Ie ne vous representeray point ce combat, sinon qu’estans du conseil & de la conduitte d’Amour, ils se firent voir si adroits qu’en moins de rien trois tomberent morts, ayans esté frappez droict au cœur, ou pour en arracher la passion qu’ils auoient pour moy, ou Amour ayant conduit les espees, comme il a accoustumé de conduire les fleches. Ceste execution faite, le vainqueur l’espee rouge du sang des morts, & le visage plus enflamé d’Amour, que de la peine qu’il auoit euë, se vint jetter à mes pieds, pour me demander le prix de sa victoire. Mais Coriolanus le regardant entre deux yeux: Cheualier, luy dit-il, vous-vous hastez trop, la couronne ne vous est point encore deuë, vous n’aués qu’à moitié fait. Ne m’auiez-vous point aperceu? A n’en mentir point, respondit l’autre, vous me surprenez fort. Ce n’est pas que ie ne vous aye veu d’abord; mais vous voyant maigre & mourant, comme vous estes, ie ne pensois pas [200/201] que vous vous voulussiez retrancher de vostre vie vn quart d’heure qui vous reste. Toutefois, puisque vous le treuuez bon, ie ne vous refuseray pas le contentement de vous oster de peine, & sans vous faire languir d’auantage, vous tueray vn peu plustost que n’eust faict vostre mal, & vostre melancolie. Coriolanus se contenta de rire de ceste arrogante responce, & s’esloignant de quelque vingt pas de moy, se mit en estat de me defendre. L’autre que sa nouuelle victoire rendoit orgueilleux, & à sa propre opinion, inuincible, vint l’espec haute iusqu’à dix pas de son ennemy: mais à la premiere attaque, Coriolanus passant sur luy par vne adresse dont ce Leuien ne se fust iamais douté, luy donna de son espee dans le corps, & le contreignit de mettre vn genoüil en terre. Son sang augmenta son courage, & le faisant releuer auec furie, vint pour se ietter dans les armes de Coriolanus, & le frapper en reculant: Mais l’autre qui sçauoit combien sa conseruation m’estoit necessaire, se menagea, & luy laissa battre le fer & prendre l’haleine tant qu’il voulut. A la fin prenant l’occasion d’vne feinte, que le Leuien n’auoit pas préueu, il luy mit son espée iusqu’aux gardes dans le petit ventre, & luy osta pour iamais l’enuie de faire l’amour. Ce mal-aduise Amant cheut à la renuerse, & l’abondance du sang qui luy sortoit par la bouche, plus que par sa playe, luy empeschant de me dire ses Adieux, il prit vn mouchoir qu’il auoit ensanglanté, le baisa, & me le presentant [201/202] auec des yeux d’autant plus languissans, que la mort les rendoit à demy tournez, sembla m’asseurer que tout son contentement estoit de m’auoir rendu ceste preuue de son affection. Coriolanus s’en reuint vers moy, & me voyant estonnée. Fuyons, me dit-il, Madame, de ces lieux funestes, où l’Amour vient de representer tant de Tragedies. Allons chercher cet heureux Semire, afin qu’il m’ait pour le moins l’obligation de luy auoir conserué la belle Liuie. Nous partismes à l’heure mesme, & cheminasmes parmy ces effroyables solitudes encore trois iours, sans trouuer personne que de pauures gens, qui demeuroient dans de meschantes petites cabanes, sur le pendant de ces affreuses montagnes. Le quatriesme iour depuis ce combat alloit finir, quand nous nous trouuasmes en vn chemin si estroit, que de peur de tomber dans vn precipice espouuantable, & pour sa profondeur, & pour le bruit des torrents qui s’y iettoient presque de dessous nos pieds, nous estions contraints d’aller l’vn apres l’autre. La frayeur ne m’auoit pas tellement gagnee, que ie ne t’eusse incessamment en la memoire, Semire, & qu’en moy-mesme ie ne parlasse ainsi: Où est il à cette heure, cet ingrat, qu’il ne void les peines que ie souffre sans murmurer, & les dangers que ie cours sans craindre autre chose que son changement? Poura-t’il bien ouyr mes accidents, & mes travaux, sans mourir de douleur d’en estre la cause: si plustost l’Amour ne le faict [202/203] resoudre à m’en demander pardon? Ie ne pûs continuer ce discours, pource qu’à l’instant mesme i’ouis crier Tisbee, & comme ie tournay la teste pour oüyr ce qu’elle disoit, ie vis qu’vn Ours s’estant ietté sur elle, & elle se defendant, fit vn faux pas, & entreina le maudit animal auec soy, de telle sorte qu’ils tomberent tous deux dans ce precipice, où, sans Coriolanus, ie me preparois à les suiure. Madame, me cria t’il, que pensez-vous faire? Quel changement est le vostre? Ne vous souuenez-vous plus qu’il n’y a dans le monde subjet pour qui vous puissiez estre touchee que Semire? Il faut que ie l’aduoue à ta gloire, perfide. Ce nom m’arresta tout court, & conuertissant mon desespoir en plaintes, ie me iettay par terre, & pleurant le reste du iour, ne cessay d’appeller Tisbee: Et mesme ma douleur me trompa tellement les sens, qu’autant de fois que i’appellois Tibee: autant de fois ie m’imaginois d’ouyr sa voix. Coriolanus cependant, essayoit toutes choses pour me consoler, & ne laissant rien à dire, ny à faire, me contreignit de confesser, mais confesser en mon ame, que i’estois plus ingratte que toy, de mespriser, pour vn perfide, la fidelité mesme desguisee sous le visage d’vn homme. Il ne me parloit que de toy, Semire, toutes les fois qu’il me vouloit forcer à prendre patience, & me sçeut tellement remonstrer que ie t’offençois, ou plustost ceste enragee passion que i’auois pour toy, qu’il falut me remettre & me consoler. Adieu donc ma pauure Tisbee, m’escriay-ie [203/204] en me leuant: parmy tes mal-heurs, apprends que tu n’as pas celuy de faire pour moy ce que ie ne cesseray de faire iusqu’à ce que nous soyons retrouuées. Desia nous auions perdu l’Italie de veuë, & voyons du sommet des montagnes toutes ces belles Prouinces, qui sont le commecement des Gaules Transalpines, quand ie tombay malade de trop de douleur & de trop de fatigue. Te representeray-ie, insensible, les soins que Coriolanus print de moy, les peines que ie luy donnay, & les desespoirs où cinq ou six fois le mit ma maladie? Non, bel esprit, qui maintenant ioüis dans les champs Elisez du repos que ma maudite destinée ta refusé toute ta vie: Non, dis-je, ie ne feray point ce tort à ton merite de l’offencer en le publiant: il est si grand, que ie n’ay pas l’eloquence ny l’esprit, sans qui l’on n’en peut parler comme il faut: & d’ailleurs c’est estre sacrilege, que de descouurir de si precieux, & si sacrez mysteres, deuant vn profane comme Semire. Me voilà donc, par la diligence de ce parfaict Amant, emportee dans vne petite ville des Allobroges, de laquelle ie ne sçay pas le nom. Ie me remis bien-tost; mais ce fut, sans mentir, par les persuasions de Coriolanus, plustost que par les Medecins, ou par mes propres forces. Courage, Madame, me disoit-il, nous voicy presque où nous trouuerons ce bien-heureux Semire. Apres tant de tempestes surmontees, tant de naufrages euitez, voulez-vous vous perdre au port? Il me semble que ie vois d’icy la demeure de Semire. Allons Madame, al [204/205] lons le trouuer, le temps luy aura fait apprendre quelle est la faute qu’il a fait: nous le rencontrerons bien-tost, qui, plein du regret de vous auoir laissee, viendra se jetter à vos pieds, & par des ressentiments extraordinaires, de la faueur qu’il reçoit de vous, sousmetra son humeur, quelque changeante qu’elle soit maintenant, aux loix d’vne seruitude eternelle. Merite-tu, desloyal Semire, qu’vn Cheualier de la naissance & de la vertu de Coriolanus, ait tenu ces langages pour toy, & t’ayt rendu de si bons offices? Ie le crûs, & apres auoir gardé le lict cinq ou six sepmaines, commençay à petites iournées d’achuer mon mal-heureux voyage. Coriolanus me voyant le visage meilleur que de coustume, se figura que l’ayse de te voir bien-tost me le rendoit ainsi: Mais le pauure Cheualier ne sçauoit pas ce que i’auois en l’ame, ny à quoy deuoit aboutir toute la peine que ie m’estois donnee. Coriolanus, luy dis-je le matin mesme du funeste & abominable iour, où son courage fut moins fort qu’vne trahison de longue main premeditee: Si vous croyez que ie vous meine où ie pense trouuer le plus grand ennemy que i’aye au monde, pour vous donner le desplaisir de le rendre heureux, ou le faire triompher de vostre disgrace, vous ne sçauez, ny quelle est mon intention, ny quelle est la generosité de l’infortunee Liuie. Ie ne suis pas de celles qui se laissent rejetter dans les pieges où elles sont vne fois tombees. I’ay pû faire vne lasche [205/206] té, mais d’en faire vne seconde, c’est à quoy les Dieux, & mon courage ont pourueu. Allons, Coriolanus, allons trouuer ce Semire, au nom seul duquel tous mes sens, & mon ame mesme se rebellent contre ma volonté: mais trouuons-le, pour luy monstrer comme ie sçay aymer, & que nostre pays estant celuy des Conquerans, & des maistres du monde, ne produit rien de si bas, qui ne soit plus haut que tout ce qu’on voit d’admirable au reste de la terre. Nous nous entretenions ainsi en passant par vn bois, qui est sur les frontieres des Allobroges, quand on veut prendre le chemin de Lyon: & ne songions à autre chose, pour le moins en apparence, luy qu’à trouuer Semire pour me seruir, & moy qu’à le reuoir pour me rendre contente. En ces pensees nous demeurions quelquefois deux heures sans parler, & comme si quelque Dieu nous eust aduertis du malheur qui n’estoit gueres loin de nous, à ceste fois là nous fusmes pour le moins quatre heures, sans faire autre chose que de nous entre-regarder assez pitoyablement, sans dire vne parole. A la fin Coriolanus recueillant ses esprits, me dit ainsi: Que signifie ce long silence, Madame? La ioye de voir bien-tost le visage tant souhaitté ne vous permet donc pas de souffrir que ie prenne part à vos pensées: toutesfois ie ne les trouble point; car vous, & les Dieux m’estes tesmoings que depuis que ie vous ay rencontré, ie ne me suis [206/207] qu’vne seule fois donné la liberté de vous parler de moy. Coriolanus, luy respondis je, ie ne sçay quoy qui m’est vn presage de quelque nouueau desplaisir, & non la ioye que vous vous figurez me tient dans la melancolie où ie suis. Plûst aux Dieux, ou que vous eussiez esté aussi meschant que Semire, ou que i’eusse esté assez sage pour ne pas haïr mon repos? Nous aurions tous deux ce que la fortune nous deuoit, & ie ne craindroy pas pour vous ce que mon imagination me fait veoir. I’acheuois ces trois mots quand auec des cris, & vn tumulte incroyable, nous vismes huict ou dix hommes de cheual sur nous, l’espee nuë. Le premier qui se presenta deuant moy me dit quelques parloles, que la frayeur m’empescha d’ouir: mais mettant pied à terre: Est-ce ainsi Liuie, me dit-il, que nos pertes vous ont enseigné somme il falloit que vous veseussiez? Ne pouuiez-vous souffrir l’honneur auec lequel nostre maison s’estoit conseruee depuis tant de siecles? Coriolanus, n’eust-il pas esté aussi bon pour vostre mary à Rauennes, qu’il est pour conducteur en ce pays estranger? Respondez-moy, Liuie, si vous ne voulez que ma colere vous fasse sentir le desplaisir que ie reçoy d’estre la fable de toute l’Italie pour vne chetiue fille. Tais-toy infame & desnaturé frere, luy dis ie: ne te mesles point de ce que i’ay resolu de moy. Ie ne te cognois que comme vn tyran, où plutost comme vn bourreau que ton inhumanité me l’a fait com [207/208] mencer. Va Tygre, pour qui la malediction des Dieux m’est tombee sur la teste, & souuiens-toy que si ie ne puis me vanger de toy en ce monde, où les ames ne sont rien apres la mort, & ou la mienne sensible aux outrages que tu n’as iamais cessé de me faire, sera la plus cruelle furie, dont vif & mort la iustice des Dieux, veut se seruir pour punir ses cruautez. Cependant que ie parlois ainsi Coriolanus auoit esté si indignement traitté par vn Romain nommé Marcellus qui luy vouloit mal à cause de moy, qu’ayant esté contraint de se deffendre, il luy donna de son espee dans les reins, & en mesme temps fut accablé de cinq ou six traistres qui l’assassiner miserablement deuant mes yeux quelque extraordinaire que fust sa resistance, & quelque determinee que ie me monstrasse pour effayer de le secourir. Il estoit tombée percé de plus de cents coups de jauelots ou d’espee, & tout mourant, ou pour mieux dire tout mort qu’il estoit, il ouuroit ses yeux, & m’entreuoyant auprés de luy. Madame, me dit-il en begayant, ce n’est pas ma faute, si ie ne puis auoir l’honneur de vous seruir dauantage. Ie meurs toutesfois trop heureux, puisque c’est pour vostre querelle que ie perds la vie. Mais qui desormais aura soin de vous plaire, & vous aider puisqueTisbee & Coriolanus n’estans plus au monde, il n’y a plus personne qui sçache auec quelle iustesse il faut gouuerner vostre esprit? Ie ne sçaurois vous entretenir, ny vous donner conseil, belle Liuie, la mort qui est sur mes levres, [208/209] ne me donne pour les fermer eternellement, autre delay que celuy qu’il me faut pour vous dire adieu. Adieu donc, Liuie; soyez heureuse auec Sem. Il ne pût acheuer ce dernier mot, pource que le sang le suffoqua, & luy osta la parole, & incontinent apres la vie. Ie ne te diray point mes plaintes, Semire, ny le sensible ennuy que me donna la mort de ce fidelle Amant. Ie demeuray quelque temps immobile, & tout à coup paroissant furieuse, ie me iettay sur l’vn de ceux qui auoient assassiné Coriolanus, & en essayant de luy arracher les yeux de la teste, luy fis sentir mes ongles, ou plustost les armes que la rage fait de tout ce qu’elle trouue deuant elle.

Acheue voleur, dis-je à celuy que ie tenois au visage, tu n’as fait que commencer ton parricide: c’est par moy qu’il doit auoir son accomplissement. Regarde le denaturé Tybere par sa mine, & par ses actions, il te commande de m’oster du monde. Quoy bourreau, n’obeyras-tu point à la voix de ton tyran? Attends-tu que mon impatience te soulage de la peine de me tuer? Donne-moy (s’il est ainsi) espee dont tu viens d’assassiner ce vaillant Cheualier. Ie satisferay à toy & à moy: ie feray voir à ton maistre, comme quoy les Dieux ont pourcu à la protection de la Vertu, quand par les meschans elle est iniustement opprimée. Ie mis, en disant ce dernier mot, la main sur la garde de son espee, & si deux hommes qui me saisirent par derriere ne m’eussent arresté le bras, ie preuenois en cette occasion, Semire, celle de te reprocher ta [209/210] faute, & me punir de la tienne & de la mienne. Ie fus malgré moy mise sur vn cheual, & ayant les mains liées, conduite où il plût à mon impitoyable frere. Nous estions tous à la sortie du bois, dans lequel Coriolanus auoit esté tué lors qu’vne troupe d’hommes de cheual, aux plaintes que ie faisois, & au secours que ie demandois se crûrent obligez de s’arrester & s’informer de la violence qu’on me faisoit. Le premier qui estoit le Prince Godomar, comme i’ay sçeu depuis, vint à Tybere, & luy demanda pourquoy on me menoit si indignement. Tybere le plus orgueilleux & le plus inhumain des hommes. Cheualier, luy dit-il, ie ne sçay pas pourquoy vous estes si curieux. Ie pense que chacun a la liberté de faire du sien ce qu’il trouue de bon, passez vostre chemin, & sans mettre le nez aux affaires d’autruy, pensez aux vostres. Nous n’auons à rendre conte de nos actions qu’à nous-mesmes. Au commencement que ie vous ay abordé, reprit le Prince, ie ne l’ay fait que pour la compassion que i’ay de cette Dame que vous outragez, mais vostre insolente responce me fera passer outre, & vous dire qu’il faut tout à ceste heure que vous quittiez cette Dame, ou que vous perdiez la vie. En disant cela il tira l’espee, & l’orgueilleux Tybere en faisant de mesme ils furent bien tost aux mains. Ceux qui estoient de la suitte de ces deux nouueaux ennemis vouluret suirure leur exemple: Mais Godomat l’ayant deffendu aux siens, s’ils n’y estoient obligez, Tybere en fit de mesme. Les voilà [210/211] donc l’vn & l’autre blessez: mais le Prince legerement, & mon frere d’vn coup si incommode, pour estre à la teste, que le sang luy ostant la liberté de choisir son ennemy, il en fut si mal mené, qu’apres vne assez longue resistance il tomba de son cheual, & tombant la teste la premiere acheua de se tuer, afin que sa mauuaise vie, qui meritoit vne fin plus malheureuse qu’vne mort honorable, fust satisfaite par l’homicide qu’on peut dire qu’il commit sur luy-mesme. Ces compagnons se voyans assez loin pour n’estre point forcez à se battre, n’estimerent pas qu’il fust à propos de venir chercher noise, & sans faire mine de vouloir vanger Tybere, m’abandonnerent, & à toute bride gaignerent vne place de seureté. Godomar voulut faire suiure ces fayards. Mais Cheualier, luy dis-je, au nom des Dieux, laissez aller ces traistres, & que rien ne les suiue que leur propre crime, & la colere du Ciel. Le Prince vint à moy, & comme c’est le plus courtois de tous ceux que i’ay vus, il me destia luy-mesme, & me coniura de luy dire pourquoy on m’auoit si indignement traittee. L’histoire en est fort longue, luy respondis-je, mais sçachez que celuy que vostre valeur vient d’oüer du monde, estoit mon frere: A ce mot ie vis qu’i. tressaillit, & vouloit me faire des excuses. Cheualier, continuay-ie, ne vous repentez point d’vne bonne action. Ce meschant doit estre d’autant plus hay, qu’estant si fort obligé de me seruir, il n’a depuis la mort de ceux qui nous ont mis au monde, oublié sorte de tyrannie [211/212] & d’impieté qu’il n’ait effectiuement exercée contre moy, ou essayé cent fois de le faire. Ie n’oserois vous dire ses abominations: mais vous sçaurez que m’ayant auec vne effronterie de monstre parlé d’Amour, & d’ailleurs voyant auec combien d’iniures & de plaintes i’auois publié son crime, il m’en a voulu vn tel mal, qu’apres c’estre porté par cinq ou six fois à me vouloir empoisonner, sans en estre venu à bout, il a tousiours depuis trauersé mes desseins, & se declarannt ennemi de quiconque me vouloit du bien, n’a desiré que mon deshonneur & ma ruine. Ie l’auois abandonné il y a quelques neuf mois pour chercher en Gaule vn homme qui n’est guere moins perfide que luy (si ce maudit frere n’est point cause de son infidelité) mais mon mal-heur l’a conduit où i’estois, & m’ayant rencontrée il y a quelques deux heures, a tué vn Cheualier, qui pour l’Amour qu’il me portoit, s’estoit obligé à me suiure par tout. Apres ce meurtre il m’a liée, comme i’estois, & sans auoir égard ny a mon a[sic!]age, ny à ma naissance, me retenoit chez luy, pour m’exposer à tout ce qu’il eust inuenté d’ordures & de cruautez. Ie voulus, continua Semire, interrompre Liuie, pour luy iurer, comme il estoit vray, que ie ne l’auois laissée que par les sales actions que Tybere m’auoit apprises d’elle & d’vn de ses vaiets, mais me le deffendant: Tais toy, Semire, reprit-elle, ce n’est icy ny le lieu, ny le temps où ie puis receuoir tes excuses, ny ouyr, tes raisons. Escoute, & si tu n’es lassé de m’ouyr, escoute le succez de ma vie: Godemar demeura [212/213] effrayé plustost que rauy de m’entendre, & s’estimant heureux d’auoir purgé la terre de ce prodige, m’offrit toute l’assistance que ie m’estois promise de Coriolanus. Ie le remerciay, & ayant sçeu de luy-mesme qui il estoit, le suppliay tres-humblement par sa qualité, & par son courage de me mener à Lyon. Nous repassasmes par le lieu où gisoit le corps de Coriolanus, ie le monstray au Prince, & le coniuray d’en auoir pitié: Il eut enuie de descendre pour me contenter: mais voyant auec combien de larmes & de cris effroyables ie regrettois sa perte, il laissa la-charge à deux des siens de le faire enterrer, & sans sejourner en lieu du monde me rendit dans Lyon. Comme ie me veis, Semire, en lieu où ie pouuois esperer de tes nouuelles, ie priay ce Prince de ne parler à personne de moy, ny de mon aduanture: mais seulemet de commander à quelqu’vn des siens de s’informer de toy, & m’appredre en quel lieu du Lyonnois, ou d’Aquitaine on te pourroit trouuer. Car à n’en metir point, mes ennemis m’auoient tellement troublée, que t’ayant mille fois ouy parler d’Aquitaine, de Bourgogne, de la Prouince des Romains, & de Lionnois, ie ne me souuenois plus en laquelle des deux que i’auois nommées à Godomar, tu m’auois dit ta maison. Il tesmoigna tant d’affection à me donner ce contentement, qu’il mit en queste pour te trouuer plus de cinquante hommes. Apres deux mois de voyages & de recherches, on m’apprit que tu demeurois sur les frontieres de Forests, & qu’infailliblement ie te trouuerois sur les riues de [213/214] Lignon en la compagnie de plusieurs Bergers & Bergeres, qui par vne façon de viure telle qu’estoit celle du Siecle d’or, s’estoient rendus si fameux & si cognus, que leur clarté, comme celle du Soleil, auoit remply toutes les Gaules, & n’estoient ignorez de personne. Godomar s’offrit de m’y accompagner, mais l’ayant tres-instamment coniuré de me laisser partir seule, il le trouua bon, & en me disant Adieu, comme à regret. Allez, me dit-il, belle Liuie, allez en Forests, c’est vne contrée où depuis quelque temps il semble que les Dieux ayent mis les remedes de tous ceux qui sont affligez. Si cela est, Seigneur, luy respondis-je, ie ne feray pas de celles qui resistent à leur repos, & font mauuais visage aux remedes. Il est vray que le mien est si facile & si commun qu’il ne faut pour en receuoir du soulagement, que la volonté de s’en seruir. I’arriuay donc en ce pays fatal il y a deux iours, & suiuant la riuiere de Lignon, veis à la verité de tres-belles Bergeres & de tres-gentils Bergers. Ie m’informay à deux ou trois filles qui se trouuerent en mon chemin, de toy, mais toutes me regardant auec admiration demeureront muettes. L’vne d’elles qui à mon gré est la plus douce & la plus charmante beauté qu’on puisse voir, fondant en larmes, me tourna le dos sans ouurir la bouche: & les deux autres me faisant tout le bon visage que leur desplaisir leur permettoit. Belle estrangere, me dirent-elles, vous ne sçauez pas peut-estre quel est celuy que vo° cerchez Semire, leur respondis-je, le plus perfide & le [214/215] plus grand affronteur du monde, si celuy dont vous me parlez est homme de bien, ce ne peut estre celuy que ie demande. Helas! me repliquerent-elles, que vous le cognoissez bien, le traistre qu’il est, il est cause de la mort du plus aimable Berger de ce pays. Il est cause de la mort de beaucoup d’autres, leur respondis-je. Sa trahison a rompu les nœuds, & ruiné les inteiligences de la plus veritable Amour que la vertu & le merite ayent iamais fait naistre, continuerent-elles. Sa trahison a bien pis, leur dis-je: car se rendant sur soy-mesme complice d’vne perfidie monstrueuse, elle a par vn seul coup, violé tout ce qu’il y a de sainct parmi les hommes, & foulé aux pieds tout ce que nous croyons de terrible & d’inuiolable entre les Dieux. Il n’y a ferment que ce traistre n’ait troublée, Autel qu’il n’ait renuersé, Amour qu’il n’ait trahie, ny Vettu qu’il n’ait profanée: Ces Bergeres me voyant parler de cette sorte: Pourquoy donc, me dirent-elles, cerchez-vous ce serpent. Laissez-le comme vn de ces monstres, dont la veuë seule tuë ceux qui les rencontret: & vsant de vostre esprit ailleurs qu’à vous persecuter, croyez que vous ne le pouuez trouuer que pour auoir quelque sujet nouueau de sentir des trahisons. C’est, belles & discrettes bergeres, à quoy i’ay mis ordre, leur dis-je: il n’a plus d’artifice pour moy, & à cet heure quand il pourroit estre aussi meschant que tout l’Enfer, le défie ses supercheries, & me moque de ses malices. Puis qu’il est ainsi, prudente estrangere [215/216] me respondirent-elles, vous le trouuerez sur ces riues, car il n’y a pas six heures que le detestable estant venu pour faire vne nouuelle trahison à cette Bergere qui s’en est allée, depuis vne irreparable qu’il a fait reüssir il n’y a que deux iours, il a esté si rudement traitté, que de desespoir il nous a laissées, & a pris à demy enragé, au moins en apparence, le chemin du bois que vous voyez deuant vous. Adieu Bergeres, leur dis-je, qu’autant de bonnes fortunes vous arriuent, que Semire en merite de mauuaises. Ie te laisse à penser, si ie fus aise de sçauoir que tu estois par tout Semire, c’est à dire la Trahison & la Perfide desuisée en homme: I’allay donc pour te trouuer dans ce bois, mais apres auoir passé le iour à te chercher. En fin la nuict est venuë qui m’a contraint de m’arrester où ie suis: cependant nostre destinée t’a conduit où ie te desirois. Et peut-estre que les Dieux lassez de me voir tant souffrir, ont eu pitié de moy, & cette mesme nuict ont resolu de mettre fin à mes maux. Voilà ce que i’ay fait pour toy, Semire: si tant de perils & tant de trauaux ne te font point repentir de m’auoir abusée, qu’au moins l’humanité te touche, & te fasse aduoüer qu’en la personne de ton ennemy, tu ne les trouuerois dignes de compassion, mais tout cela n’est rien au prix de ce qui me reste à faire. Il est vray que l’obligation que ie presupose que tu m’en auras n’en sera pas si grande. pource que le fruit en estant partagé entre nous deux, l’obligation en doit estre aussi également partagée. Si maintenant, Semire, tu as enuie de [216/217] parler à ton tout, ie te donne la permission de le faire: Comme ie me veis en liberté de pouuoir monstrer mon innocence, ou pour le moins l’apparence de quelque sorte de raison en la faute que i’auois faite d’abandonner Liuie, ie me consolay vn peu, & luy tins ce langage. Ie n’ouure point la bouche, Madame, pour vous supplier de croire plustost vostre misericorde, que vostre iustice, & considerer ma repentance plustost que mon peché. Ie ne suis pas si effronté d’adjouster à l’imprudece d’auoir failli, l’audace de vous presenter le regret que i’en ay pour satisfaction. Ie vous ay toutes les obligations qu’vn homme respectueux peut auoir à la plus honneste fille du monde. Vous m’auez aimé beaucoup plus que ie ne meritois, & me puis vanter que vostre bonté a preferé mes recherches aux poursuittes des plus recommandables Cheualiers d’Italie. Mais, Madame, s’il n’y a point d’autre monnoye qui puisse payer l’Amour, que l’Amour mesme, faites-moy, s’il vous plaist l’honneur de croire que vous n’auez en cela aucun suiet de vous plaindre de moy. I’ay desiré vos bonnes graces auec vne pureté d’affection qui ne peut estre imaginée: & les ayant acquises, ie les ay possedées auec plus de crainte de les perdre que ie n’auois eu d’ennuie de les auoir. Vous m’estes vous-mesme tesmoin combien cheres m’ont esté vos moindres faueurs: combie chastes & retenuës ont esté toutes mes actions & mes paroles, & en vn mot, quel soin, i’ay pris à ne violer pas la plus indifferente de vos volontez. Si i’auois eu de vous [217/218] cette grace que les Amants appelient la recompense & le sceau de toutes les attetes d’Amour, vous auriez sujet de m’accuser de trahison & d’inconstance. Mais comme aurois-ie pû me lasser d’vne chose que ie n’ay point goustée, & mespriser vn bien, qui n’ayant iamais esté à moy, n’en est pas moins souhaitté que le premier iour que ie fis resolution de vous seruir? Tais toy infame, me dit Liuie, oses-tu bien m’offencer si impudamment, & ne laisser crime dont tu ne vueille faire rejalir l’ordure contre moy? Est-ce parler auec le respect dont tu fais tant le vain, de songer à des songes qui ne sont pas mesme excusables aux bestes. Que ton esprit est enclin au mal, & entretenu de sentiments brutaux! Quoy! Mon ame que ie t’auois si legerement donnée ne te tiendra donc lieu de rien? Et pour n’auoir possedé que la plus belle & la meilleure partie de moy-mesme, tu ne croiras point que mes faueurs ayent esté infinies? Sçache qu’il n’y a point d’excuse, apres ce que tu viens de dire, qui ne soit criminelle, autant pour le moins que ta defloyauté. Mais responds-moy: N’est-il pas vray que tu m’as aimée, & que n’ayant rien desiré de moy que ce que mon honneur ne m’obligeoit point à te refuser, tu as obtenu autant de fois que tu as demandé? Que ie t’ay iuré sur les Autels & en la presence de nos Dieux, que mon Amour feroit eternelle: & que la violence de parens, persecution de frere, effort de temps, puissance de beautez, & poursuittes d’Amants, ne me retireoiet iamais des chaisnes dont ie m’estois [218/219] volontairement chargée pour te soulager? Cela n’est-il pas vray Semire? & n’est-il pas vray aussi que tu me promis la mesme chose? Cela est vray, luy respondis-je. Pourquoy donc, continua-t’elle, violant toutes tes promesses, & comme vn voleur qui craint la Iustice apres vne mauuaise action, rompant tes prisons, & trompant ceux qui les gardent, t’en es-tu fuy en vne nuict? & n’as-tu laissé ny marque de ton sejour, ny excuse de ton depart? C’est à quoy ie respondray si puissament, luy dis je, toutes les fois que ie ne craindray point de vous desplaire, que vous serez contrainte de confesser que si i’ay fait vne faute, au moins n’est-elle point de celles pour qui les Dieux ne donnent iamais de pardon. Ie vous aimoy, permettez, belle Liuie, que i’vse de ce mot, ie vous aimoy, dis-ie si veritablement, que ie ne sçay comme ie ne mourus point en vostre presence, lors que l’on m’apprit vos nouuelles Amours, d’autant plus monstrueuses, que desdaignant tout ce qu’il y auoit d’honnestes gens à Rauennes, vous vous estiez donnée à vn infame valer. Arreste-toy là meschant, me dit Liuie & comme tu mens auec vne impudence, sans comparaison, sçache que ie ne puis souffrir cette fausse accusation, qu’auec vn desir de t’aller estrangler. Ie ne vous represente point cela, diserette Liuie, luy respondis-je, comme le croyant: mais à n’en mentir point, comme en la violance de ma ialousie l’ayant crû, pource que toutes sortes de raisons estant de mon costé, ie ne pouuois, sans estre vn sot, démentir [220] mes yeux & mes oreilles. Ne parle pas ainsi Semire, me repliqua-t’elle en colere, non seulement tu parles des choses faulces, comme sie elles estoient douteuses, mais tu en parle come si elles estoient veritables. Dis-moy, je te prie d’où te venoient ces bonnes nouuelles, & qui te les auoit aportées? Tybere, luy-mesme, respondis-je, qui me fit voir à l’œil & toucher au doigt que vous m’auiez promis de m’estre fidelle. Ha ingratitude sans excuse, ah! meschanceté faire de guet à pend. Ne t’auiez-je pas aduerry mille fois que Tybere estoit vn perfide, vn abominable, & en vn mot mon capital ennemy? Apres cela pouuois-tu, mais deuois-tu escouter ce Buzire, & croire qu’il y eust l’ombre mesme de la verité en vn moitre, qui pour se despoüsller de toues les qualitez qui font ou vertueuses ou du moins indifferentes commenca en violant la nature, & ne laissant en soy aucune marque d’humanitè? A ceste heure, belle Liuie, luy respondis-je, que le temps m’a fait sage, i’aduoiüe que je ne deuois point aduouster soy quelconque à Tybere, mais en cette saison où la ialousie me faisoit défier de moy-mesme, tout m’estoit croyable, & mes srsonges bien souuent ont esté reccus de moy comme d’infaillibles preuues de vostre inconsiance. Liuie, belle Liuie, mettez, s’il vous plaist la main à la conscience, & vous figurant tout ce que fait vn esprit ialoux, adouiiez qu’encore vous ay-je gardé vn extraordinaire respect de m’estre cotente parmy tant de sujets de me planindre & vous tour-[220/221]menter, de m’esloigner de vous, & venir chez moy me vanger en ma personne du mal que vous auiez commis. Ce ne font point là les reigles que fuiuent ceux qui aiment bien, me repliqua-t’elle: Ces extrauagences estoient bonnes pour les deux ou trois premiers iours. Mais ne deuois-tu pas dire à toy-mesme, Liuie m’a fait voir combien est pernicieux son frere, combien il luy veut de mal,& combien de trahison il luy a faite. Ie verray & m’esclairciray n oy mesme auant que de croire. La verité me doit estre suspecte en la bouche d’vn si meschàt homme: Quel sujet a-t’il d’estre si soigneux de mon bien? L’ay-je ferui autresfois si volement que pour s’en reuancher il ait esté contraint de forcer la mauuaise nature? Ne se peut-il passer de moy, ou ma compagnie me l’a- t’elle sie bien acquis qu’il vueille aimer sa sœur afin de m’obliger? Mais, Semire, ie voy bien ce que c’est. Tu auois enuie de trouuer vn pretexte, & desirant d’estre trompé, tu n’as rencontré si petite occasion de l’estre, que tu ne l’aye prise aux cheucux. A la mal-heure dóc pour toy & pour moy: & fasent les Dieux qui se sont obligez à vanger vn innocent toutes les fois qu’il implorera leur secours en son oppression, que de la mesme forte, que pour t’auoir la vie, tu la finisse pour quelque beauté qui t’aura tousiours hay,ou pour le moins mesprisé. Mais ie voy ma vangeance toute preste. Les Dieux ont le foiüet, à la main. Voicy des instrumens qui se preparet pour ta ruine. Cette Astree dont tu parlois [221/222] tantost auec tant d’oppression de douleur, vn iour me vangera de toy, & quoy qu’innocemment peut-estre sera naistre les occasions de ta perte & de ma satisfaction. Adieu, Semire, ce mot est le dernier que tu auras de moy. Ie l’appellay plusieurs fois depuis que i’eus parlé long-temps à elle sans en pouuoir tirer vne parole: mais comme ie me fus leué pour aller où ie croyois qu’elle fust, i’oüis qu’elle dit cecy auec vne voix mourante. Recoy ô Vertu trop indignement outragée, cette innocent victime qui ne t’a iamais pû déplaire qu’en aimant le plus irreconciliable de tous les ennemis. Il faut adouüer que cette voix m’estonna,& craignant que Liuie ne se fist quelque violance, courus sans sçauoir où i’alloy: Mais au quatriesme pas que ie fis, ie trouuay vu corps à mes pieds, qui me fit tomber de telle forte que mon visage en rencontra vn autre. A peine eus-je essayé de me releuer, que voulant mettre ma main quelque part pour m’appuyer, ie mis la main dans ie ne sçay quoy de chaud. Ie me doutay de ce que c’estoit, & prenant ce corps pour Liuie, ie me mis à faire des plaintes, & dire des blasphemes, apres lesquels il faut crire que les Dieux n’ont point d’oreilles,que pour ouyr nos prieres, ou nos maledictions: car sans doute leur patience quelque infinie qu’on nous la figure, n’eust pû souffrier sans ressentiment, mes outrages, & mes impietezLe iour cependant qui deuoir estre venu il auoit plus d’vne heure, fut si long à paroistre, [222/223] que je iugeay que l’horreur qu’il auoit d’estre conraint de voir vn si tragique spectacle, retardoit son retour. Il est vray qu’il vint si pasle & si’lombre où i’estois, que ie m’escrioy auec. Quoy te vis apres estre cause de ce desastre? Et le iour qui n’a rien du tout contribué à la perte de Liuie,en pleure & a perdu la couleur?Cruél Semire, nay pour faire mourir ceux qui aiment parfaitement, que deuiendras tu? A ce mot l’exces de la douleur se rendant maistre absolu de mes sens, ie tombay comme mort: & fus iusqu’à midi pour le moins sans reuenir à moy. Mais de hazard vn ieune Vacie passant par là, fut estonné de cette aduanture, & en me tournant pour voir si i’estois mort,me fit reprendre mes sens, ie le regarday pitoyablement, & comme il voulut me dire quelque chose, ou pour me consoler ou pour apprendre qui m’auoit mis en l’estat où i’estois, ie tournay les yeux sur le corps de Liuie, couuert du sang qui estoit fort y d’vne playe qu’auec vn long terrement elle s’estoit faite au costé gauche. Ma main gauche estoit sanlgante, & mes habillement tachez en tant d’endroits qu’il estoit fort croyable que i’estois le meurtrier de cette belle fille. Alors me leuant furieux & transporté de colere, autant que de douleur, ie m’arrachay des mains de Vacie,& se figurant ie ne sçay quoy d’aussi prodigieux qu’estoiét mes defainées, ie m’escriay ainsi. Semire, la haine des Dieux,le crime du siecle, & le fleau de l’innocence. Qu’attends tu dauantage? Pourquoy [223/224] differes-tu les supplices? Meurs, mais tu ne sçaurois mourir qu’vne fois, & ce n’est pas assez. Celadon exige de toy ta uie. Que donneras tu donc a tant d’autres, qui n’en demandent pas moins? Liuie en merite toute seule cent come la tienne. Corolanus, Tybere, Tysbee ne seront-ils point satisfaits? Et leur sang qui pour ma perfidie a esté respandu, ne m’oblige-t’il pas à respandre le mien? satisfaisons à tous autant qu’il est en nostre puissance. Et puis qu’on ne peut mourir qu’vne fois, mourons si lóg temps que pas vn n’ait dequoy se plaindre. Mais, Semire, apres quÄiils seront tous vangez, que te restera-il pour te vanger de toy-mesme? Voy maudit & abominable Amant iusqu’où tes crimes sont allez, puis que pour en expier la centiesme partie, il faudroit pouuoir plus d’vne fois mourir? Mais pourquoy, Bias, vous repetay-je toutes mes afflictions, apres auoir lóg temps pleuré sur le corps de Liuie? Ie prins le fer dont elle s’estoit tuée, &?? me l’estois tourné contre le sein, quand ie fus arresté par cinq ou six hómmes, qui au cry du Vacie estoient venus à son securs plustost qu’au mien. Ie les coniuray de me laisser faire, que i’auias l’exemple d’vne fille deuat moy, & qu’il m’estoi: bien plus glorieux & plus agreable de mourir que viure. Toutes mes remonitiances fuicat vaines: car c’est la coustume que plus vn home a enuie de mourir & plus on essaye de le faire viure. En fin ie fus emmené & conduit dans vn village au pied de la colline sur laquelle est [224/225] bastie la maison d’Adamas. Ie fus prez de trois mois si malade, dvne fievre chaude, telle qu’ayant perdu le iugement te voulois me tuer cent fois le iour, & si ie n’eusse esté retenu & soineusement gardé c’est sans doute que i’auroy perdu la vie. Apres ce long terme, mon?? diminuant peu à peu ie me recognus & ayant moins d’ennuy d’auoir point acheuées. Ie receuis la santé, & les consolations à regret. Souuent ie disois à moy-mesme Celadon est mort cependant: Liuie est morte cependant, & ie vis, & ie me laisse guerir. O Dieux, comme quoy pouuez vous me veoir & ne me punir point? Il faut que ie vous dis mes sentimens, Bias, la mort de Celadon me touchoit plus au cœur que celle de Liuie, pource qu’ayant le tesmoignage de ma conscience pour moy contre les accusations de Liuie, ie confessois auoir failli, mais auoir failli auec sujet. Mais en la mort Celadon ie ne trouuois rien que la rage de mon Amour pour en excuser la realite. Si bien qu’en l’vne ie me condemnois comme infidelle & changeant, & en l’autre comme traistre & assassin. Neantmoins i’eus beau – faire & dire contre moy. Tout ce que ie crûs capable d’eterniser mes douleurs, ie me gueris, & me trouuay assez fort pour quitter la chambre. I’auois sceu ou Liuie auoit esté enterree. Ie priay quon me donnast la liberté d’y aller faire mes prieres. Mes hostes à qui l’auois dit mon histoire, le trouuerent bon, & m’y ayant accompagné vne [225/226] fois ou deux, m’y laisserent aller apres seul autant de fois que ie voulus. Vn iour ne pouuant viure dauantage en paix, ie me desrobay d’eux, & me perdant de bois en bois, rencontray la consolation que les hommes me refusoient en me pensant consoler. Vn foir donc ie passay le Pont de la Bouteresse, & sans sçauoir ou i’allois, me iettay dans vn bois espois, qui est auprès d’vn Temple de la bonne Deesse appellé Bon lieu. Ie me trouuay à la fin entre le bois & la riuiere de Lignon & si fort hors de moy que sans y penserie me rencontray si près d’vne fontaine, qu’infailliblement ie fusse tombé dedans, si l’herbe glissant ne m’eust fait faire vn faux pas, & tomber de l’autre costé. Ayant passé la nict en des songes & des inquietudes estranges, ie me leuay d’où i’estois au point du iour, & fuiuant vn petit sentier, me trouuay à la port d’vne Cauerne faite naturellement sous vne roche. I’y allois entrer quand vne voix en sortit qui m’arresta. Infortuné Celadon, disoit elle, que n’as-tu tous jours esté aussi heureux que iusques icy tu te trouues innocent! Astrée ne t’auroit pas condamné au supplice de ne te presenter iamais deuant elle: Et pour n’estre pas contrainte à souffrir vne si grande peine, tu ne te serois ietté dans Lignon, ou du moins tu n’en aurois pas esté retiré. Que celles-là firent mal pour ton repos de t’estre secourables, qui prirent la peine de t’oste du lieu, où en finissant ta vie tu eusses finy les peines que tu endures, celles que tu as endurees, & celles qu’il te faut encore endurere. Que pensez-[226/227]vous, Bias que ie denins quand ce discours m’osta de le reuerie où i’estois. Ie fus lus d’vn quart d’heure, sans sçauoir que croire de ce que i?????: ny que faire pour m’en esclaircir. En fin ie me cachay derriere la Cauerne, & y demeuray en intention de veoir qui en fortiroit. Peu de temps apres Celadon luy-mesme, mon frere, en sortit; mais si pasle, si defiguré, & si maigre que ie crus que c’estoit plustost son ombre que luy-mesme: Ie le reccognus toutesfois, & voiant qu’il prenoit le chemin de la fontaine auprès de laquelle i’auoy coüché. Ie ne m’estone plus m’escriay-ie, bos Dieux pourqouy vous me reseruiez si obstinément la vie: Disent les hommes ce qui leur plaira: ce soin que vou sauez eu de moy en m’empeschant de mourir, est vne preuue, que ie ne vous fuis point si odieux que ie me l’estois figuré. Faites desormais de moy vostre volonté, il ne me peut plus rien arriuer que ie ne trouve fort agreable, puisqu’au milieu de mes afflictions, & de la mort mesme, i’auray le repos d’esprit que donne la satisfaction de n’auoir point peché de gaycté de cœur. Ie sortis d’où i’estois en disant cela & pour m’oster toute sorte de doute, entra dans la cauerne de Celadon, & cherchay par tout, de peur de me tromper. I’y recognus vn faye qu’il auoit la veille de son malheur, & entre plusieurs papiers, qui estoient sur vne pierre, tous escrits de sa main, trouuay vn Sonuet, que me plut. Ie vay vous le dire à car ie le sçay par cœur [227/228].

A Astree

Sonnet

A

Quoi doit aboutir mon extrême contrainte?

Quel miracle, ou quel Dieu retardera ma mort?

Et que dois-ie penser de ce dernier effort,

Que m’oste l’esperance et me laisse la crainte?

Mon Amour n’eust iamais vne plus viue asseinte,

mon cœur n’est plus qu’vn lutaux iniures du fort,

Et mon vaisseau chasé des dilices du port,

Ne me laisse aucun lien que celuy de la plainte.

S’il est vray que l’enfir n’est qu’vne???

De ces biens eternels que gongle plainement

vn espris que pour eux s’est oublié soy-mesme:

Ie fus dans les enfers et souffry leur courroux

Aussi-tost que le vostre enchastiment extreme,

Me constreignit, Astree, à m’esloigner de vous.

Ie ne fus pas demeuré en si beau caemin, si la crainte d’estre d’escouuert ne m’eust osté la curiosité que i’auois. Ie sortis donc de là, & fuiuant Celadon par des detours que ie trouuay das le bois, passay tout le iour à louyr plaindre, & me plaindre de mon costé d’estre cause de tant d’ennuys & de larmes à ce Berger: Toutefois ie ne sçay quelle inspiration m’empescha de me monstrer à luy, & le conseiller de quitter ceste vie. Tellement que ie m’en retournay voir [228/229] mes hostes, qui me trouuàt plus ioyeux, & le visage vn peu meilleur que de coustume, m’en demanderent le sujet. Ie leur en dis vn tel qu’il me vint en esprit, & set ou huict iours durant ayant esté rechercher Celadon, ie le vois vne fois auec la Nymhe Leonide, & vne autre auec le grand Druide Adamas, qui luy dit, come ie l’escoutois, le tort qu’il se faisoit de viure si tristement, & ne le pouuat resoudre à retourner vers Astree, le fit en fin codescendre à prendre les habillemens d’Alexis, fille du Druide, et le faire voir à tout le monde sous le nom d’vne fille. Comme ie vis toutes choses si bien disposees pour Celadon, & pour mon repos, n’ayant plus en l’esprit que les espines qu’y auoit mises la mort de Liuie, ie me ressouuins de vous, & nostre amitié l’emportant ceste fois là sur la memoire de l’Amour, ie parties de chez mes hostes, & sans me monstrer à personne, ny parler de Celadon en bien, ny en mal, suis reuenu veoir ce cher frere, qui me tiendra lieu desormais d’Astree, & de Liuie.

Voilà, poursuiuit Bias, ô Celadon, tout ce que la pauure Semire me conta, & m’enjoignit de vous dire, si luy mesme n’en trouuoit pas l’occasion. Ie vis bien qu’il auoit besoin de divertissement, plustost que de toute autre chose, c’est pourquoy ie l’entretinsde tout ce qui s’estoit passé à Lio depuis son départ, des Amours de Gondebaut pour Criseide, & depuis pour Dorinde: Et le disposay d’aller veoir vn Cheualier, nommé Ligonias, de nos anciens amis qui depuis vn mois estoit venu cinq ou six fois [229/230] & luy auoit enuoyé autant de messagers pour apprendre de les nouuelles. Il trouua ma proposition si bonne, qu’il me pria que dès le lendemain nous fussions en estat de partir. Il fut obey si exactement qu’à Soleil-leuat nous????? à cheuil & n’ayans qu’vne petite iournee & demie à faire, nous ne marchions qu’au pas, & pour diuertissement nour entretenions de nos fortunes. Mon frere, me disoit Semire, si les Dieux me font la grace du viure, les hommes les plus attachez au respect, & à la fidelité, aduoueront vn iour à ma descharge, que Liuie a esté vn peu trop scrupuleuse, & que la mort viét plustost de la delicatesse de son esprit boüillant, que de la perfidie dont elle m’a toujours accusé. Pour Astree, i’aduouë qu’il n’y a iour que ie ne la fasse mourir, & cependant ie ne puis me resoudre à l’oster de la peine où elle est: mais si iamais l’occasion se presente que ie puisse la seruir, aux despens mesine de ma vie, qu’elle ne me pardonne iamais le tort que ie luy ay fait, pour l’aymer infiniment, si i’espargne pour son seruice, ny mon sang, ny celui de mes amis. En semblables inscours, nous trompasmes si bien les heures, que nous nous vismes à la porte du Chasteau de Ligonias plustost que nous n’eussions esperé. Nous le???? aduertir de nostre venuë, & cependant nous mismes pied à terre dans la baffe cour de la maison. Nous y vismes plusieurs nouueautez qui nous estonnerent, des chariots d’armes des Bèlers, & autres machines de batteries: des tar de peles, de chrocs, de pics, de hottes, & de clayes. Comme [230/231] nous estions attentifs à considerer ces choses, il nous vint receuoir les bras ouuerts, & nous faisant le meilleur visage du monde, nous dit que sans hypocrisie nous estions les tres bien venues, & que nous n’irions en lieu du monde où nous fussions maistres absolus comme chez luy. Nous le remerciasmes auec excez de ses obligeantes paroles: Et les complimens acheuez, nous entrasmes dans vne salle, en laquelle, pendant que nous prenions le frais, on vint mettre le couvert. Là sans mentir, nous fusmes traittez comme Roys, ou, pour mieux dire, de la main d’vn homme qui a d’extraordinaires esperances, ou vne extrême enuie de se ruïner. Nous passasmes toute la iournee en discours indifferents, sinon que sur le soir, Semire s’informant à quel dessein il voyoit tant de machines, de munitions, & de gens de guerre. C’est, luy respondit Ligonias, dequoy i’ay à vous entretenir: Cependant sçachez que la Fortune est sur le poinct de se declarer pour nous, elle nous met l’espee à la main, & nous donnant le courage de nous en seruir, nous donne la commodité de conquerir tout vn Estat, qui de soymesme semble s’offrir à nous. Voyez, genereux freres, nous dit-il, auec vne eloquence aussi artificieuse, que sa magnificence estoit artificielle, si ie n’ay pas en vous vne incroyable assecurance, puis qu’aujourd’huy sçach?t ce que vous sçauez, ie vous mets entre mes mains ma fortune, mon honneur, & ma vie. Nous luy iurasmes que sa franc-[230/231]chise toute infinie qu’elle estoit, ne faisoit qu’estre egale à nostre fidelité, & qu’estant venus chez luy, pour luy offrir nos espees, & le seruir contre tout le monde, il se deuoit figurer, que nous faitions nos interests des siens, & voulions viure & mourir auec luy. L’heure de souper arriuant là dessus, nous nous mismes à table, & apres en estre sortis, entrasmes dans vn fort beau jardin, où prenant l’occasion de nous faire passer pour raisons d’Estat, & de conscience, les pretextes de sa rebellion & de son ambition. C’est vne chose tres vraye, nous dit-il qu’il n’y a rien de si fatal à la ruïne des Estats & des peuples, ue de voir la puissance entre les mains de ceux qui ne font pays que pour obeïr. Si iamais ceste maxime fut vraye par toute les contrecs du monde, & en la personne de qui que ce soit, elle l’est sans doute, dans ceste Prouince des Sebuziens, & en la personne d’Amasis. Ceste Nymphe par vne bonté pernicieuse, à tout ce que nous sommes de gens de bien, laisse cesser toutes choses contre l’ordre: & par vne punition attachee à quiquonque entreprend plus qu’il ne peut, ayant voulu regner & paroistre plus qu’vn homme, à la fin a monstré qu’elle estoit moins que femme. Polemas la seruie en toutes les occasions ou le bien de son Estat & de sa maison luy ont faict mespriser la mort: aujourd’huy, pour toute recoin pense, il voit ses seruices oubliez, Galatee, qu’Amatis luy a de long teps promise, engagee tellemet à espouser Lindanor, qu’elle [232/233] ne veut pas seulement oüir parler de luy. Et en vn mot, la condition de tout le pays si miserable, que si le vaillant Polemas n’escoute les vœux de tous les Segusiens, ne prefere le bien public au sien, & ne se sacrifie pour le salut de la patrie elle court fortune d’estre entierement defolee, ou de passer en vne main estangere. Ie voy bien où vous voulez venir, luy respondit froidement Semire, c’est qu’il est question d’oster le Gouvernement de la maison d’Amafis, prendre l’occasion de l’absence de tous les Cheualiers de la Cour, & mesme de son fils Clidamanc, & faire veritablement Polemas Comte des Seguliens, comme desia il en a le nom dans la cour de Gondebaut. Lors que vous viendrez esblouir les yeux de ceste beste qu’on appelle le Peuple, & enuoyer aux estrangers des Manifestes, pour rendre vos armes iustes, ou ce qui vaut mieux, approuuees: les langages que vous nous auez tenus seront excellents: Mais à nous qui ne sommes pas faits pour le regne, mais qui voulons que regne soit fait pour nous, ces charmes sont inutiles, & ces nuages mal employez. Pensez vous que nous songions à qui l’obeyssance à laquelle la necessité nous oblige doit estre renduë? S’il dependoit absolument de nous, nous viutions comme nous ont faits les Dieux, c’est à dire libres,& aussi grand maistres les vns que les autres. Mais puisque c’est vn faire le faut que de seruir, servons nos amis,& puisque nous ne pouons estre sans Princes, desirons pour les nostres ceux qui nous peuuent le [233/234] lus faire de bien. Ligonias embrassant lors Semire: C’est, à n’en mentir point, luy dit-il, estre homme, que de parler ainsi. Que ceste science n’est-elle dans l’esprit de tous les honestes gens: fouuent nous changerions de regnes, & nos vies ne se passeroient point miserablement comme elles font, en l’attente d’vn Maistre qui sçeust obliger, & meritast d’estre seruy. Allons cependant mous coucher, & demain ie vous feray voir la carte du pays où ie veux vous faire entrer. Là dessus nous montasmes aux chambres du Chasteau, & n’y voyant qu’or & soye, que tapisseries & tableaux incstumables: rous iugeasmes que nostre amy auoit de grandes pretentions. Comme nous fusmes couchez & seuls, Semire me dit tout bas: Voyez cecy, Bias, & croyez ce que ie vay vous dire: Ligonias ressemble à ces mauuais mesnagers, qui font dessein d’aller où se trouuene l’or & les perreries, ils iouent de leur reste auant que de s’embarquer, & se figurent qu’ils ne doiuent rien laisser en partant, pour ce qu’ils ont resulu, ou d’en reuenir si riches, que tout ce qu’ils ont leur feroit honte au retour, ou de mourir en ces longs & hazardeux voyages. Mais, Bias, combien peu en voyons nous reuenir chargez, & au contraire combien la mer en a t’elle engloutis, ou la necessité contreints de finir tragiquement leur vie? Ligonia: se promet des montagnes d’or: mai sie suis fort trompé s’ils ne se repend bien-tost d’auoir cur vn con???? mauvais, comme est l’Ambition: [234/235] Vn iour vieux & sage; mais sage inutilement, il regrettera la saison où pouuant se mettre à couuert, & s’estaeblir aupres de son Prince, il n’aura faist que ruïner ses affaires & sa reputation. Ie cognois les Grands mieux que luy, & sçay comme quoy ils font les chiens couchans deuant ceux dont ils ne se peuent passer pour leurs entreprises: & lors qu’ils ont ce qu’ils desirent, comme ils deuiennent pour leurs plus afffectionnez seruiteurs, des Lyons & des Tygres. Ils promettent tout, quand ils ne peuuent rien tenir, & aussi-tost, qu’ils peuuent tout tenir, non seulement ils ne promettent, ny ne donnent, mais estiment effronterie quand vn homme qui s’est ruïné pour les establir, leur redemande le sien. Fuyons, Bias, fuyons ces Syreines, qui par leurs charlataneries ne nous baisent que pour nous estouffer, & ne nous endorment que pour nous faire mourir. Toutefois puis qu’en la proposition que nous faict Ligonias, nous n’allons ny contre nostre conscience, puis qu’Amasis n’est point nostre Dame, ny contre nous mesmes, puis qu’il nous propose vne condition où ne courant point de fortune, nous pouuons acquerir des amis, & peut estre du bien, escoutons – le plus meurement. Et si nous trouuons nostre compte auec luy, cherchons les occasions de faire encore parler de nous. Ce discours finy nous-nous endormifines iusques au lendemain matin, que Ligonias diligent & inquiet comme vn ambitieux, nous vient esueiller, & en suitte de quelques mots de aillerie, nous [235/236] dire qu’il auoit pensé à nous toute la nuict. Nous ne fusmes pas plustost à demy habillez, qu’il commanda à tous les valets sortir, & s’addressant au pauure Semire, & à moy aussi: Cheualiers, nous dit-il, auez-vous pense à la proposition qu’hier ie commencay de vous faire? Semire respondant pur tous deux Ligonias, luy dit il, faites-nous l’honneur de nous faire voir clair dans von deseins, & quoy qu’il arriue, comme dés ja nous vous auons promis, nous mourrons, ou vaincrons auec vous. C’est assez, nous dit-il, apres ceste declaration ie ne vous feray point la petite bouche: mais parlant à cœur ouvert, ie vous vay dire nettement ce qui nous peut arriuer de nostre entreprise. L’ordre de Nature veut que les grandes choses enferment les petites, & que comme en coutes les machines les petites roues tournent sans cesse, cependant que les grandes semblent se reposer, tant elles font leurs cours imperceptiblement. Ie dis cecy pour dorer la pillule, & vous disposer à ne trouuer pas mauvais que nous autres qui meritons aussi bien que Polemas vne grande & souueraine fortune, toutefois trauaillions, & nous mettions dans le peril pour luy mettre la couronne sur la teste. Il faut donc suiure les esperances, & attendre qu’autant qu’il luy sera possible, il nous efleuera auec luy. Il a de tres grandes intelligences, & de tres-puissants amis: La moitié de cet Estat est dès-ja près de luy obeïr: vne parue consulte, & l’autre, qui veut garder la foy, est si foible que comme presque en [236/237] tout le monde, elle cognoistre qu’elle n’a dite plus vertueuse, que pour en estre plus infortunee. Le puissant Roy des Bourguignons Gondebeaut, est pour nous. Les Allobroges nous nous assisteront. En fin nous auons de l’argent, des hommes, des machines, & des munitions. Nos ennemis sont tres faciles à vaincre, les vns par leur propre foiblesse; car ce ne sont que des femmes ou des Prestres, & les autres par leur eloignement: Car Clidamant, Lindamor, Agis, Ligdamon, & tout le reste des Grands de ce pays, sont auec Childeric, engagez bien auant dans la guerre qu’il faict en Neustric, & le long de la riuiere de Seine. Nostre dessein donc est de prendre les meilleures places de ce pays, & les fortifier aduantageusement: garder Amafis prisonniere, si elle est tranquille, ou s’en deffaire autrement: perdre Adamas, qui gouuerne tout aujourd’huy: donner l’vnique heritiere de cet Estat, que est Galatee, en mariage à Polemas, & par ceste alliance le faire declarer Comte des Segusiens, & abolir ceste vielle loy, qui exclud les masles de la domination, & cela faict pour le maisre, songer chacun à soy. Il y a soixante ou qutre vingts grandes familles, qui peuuent accommoder autant de braues hommes. Ceux qui voudront se marier y trouueront des filles, & ceux qui ne voudront qu’estre riches, auront des places, des chasteaux, & des plus belles terres des Gaules. Voilà Cheualiers, le port où nous voulons entrer. Cela est fort bien deduit, reprit Semire mais vous ne dites pas [237/238] que le port est presque tout fermé par des esceils, qu’il est mal-aisé d’approcher sans y faire naufrage. Le premier est ce Gondebaut, dont vous auez de si grandes asseurances: Il est Roy, & a des sujets, peut estre, qui n’ont pas moins d’appetit que l’????? Pensez-vous qu’il ne voye pas bien que le mesn???? orage qui s’assemble sur la test d’Amafis peut passer iusques à la sienne, & par consequent qu’il ne fera rien pour appuyer vn subjject?????????? le contre son naturel Seigneur – qu’vn autre ne luy puisse vn iour rendre la pareille. Les Souuerains sont freres, c’est à dire en mesmes interets, 6 en mesmes necessitez de se conseruer les vns les autres. Mais quand la passion & le bien obligeroit aujourd’huy Gondebaut à d????????la ruïne d’Amafis, sçauez-vous pas bien que dans vne heure les Ministres qui, comme tous les autres, le font remüer, selonleur bonne ou mauuaise intention, & ses affaires qui peuuent changer de face, luy feront abandonner Polemas, s’il ne vient qu’à cela pour faire vne bonne paix, le rendra pieds & points liez à la Nymphe. Il a des fils à marrier, Galatee est belle, & est en âge de prendre vn mary: ne croyez-vous pas que ce fin & delié Prince n’ayme pas mieux voir en sa maison les Seguliens qu’en celle de Polemas, Et pensez-vous encore qu’il n’ait pas autant de hardiesse & d’esprit que luy, pour faire abolir ceste loy fondamentale, & gagner vn pays sans estre l’espee: vn pays, dis-je, qui estant voisindu sien, est à la bien-seance: I’ay encore mille raisons [238/239] en fuitte de celle-cy. Mais passons à nostre second écueil. La Fortune maintenant n’a bon visage, ny belles parolles que pour vous: Elle est ce vous semble, immobile & constante pour vous: vos ennemis sont foibles, ou si loin de vous qu’ils ne peuuent vous nuire. En vn mot, rien ne vous manque pour resoudre, pour entreprendre, & pour perseucrer. Mais tournez la medaille, vos ennemis, comme vous en auez, auront des amis. Il y a vn autre Roy, qui en mesme temps que Gondebaut arme pour Polemas, fait des leuees pour Amafis. Vous pensez batre, & vous pouuez estre batus: Vous croyez vous faire riches aux despens d’autruy, & vous ne voyez pas qu’il y en a d’autres bien loin d’icy, qui commencent à grossir leur tr?????, par l’esperance de vos despoüilles. Quand la fortune veut, Ligonias, elle applanit les montagnes, & comble les precipices: mais quand elle veut aussi, elle fait retomber ces montagnes du lieu où elles les auoit cachees, sur la teste, & desrobe la terre dont elle auoit remply ces precipices, de dessous les pieds de ceux qui pensoient marcher en beau chemin. Mais ne nous arrestons pas là, hardy Cheualier, ne conjecturons rien à nostre desaduantage, croyons toutes choses comme elles sont en apparence, & sans nous faire mail-heureux par aduance, goustons les douceurs que nous pouuons prendre sans trauail. Ie fuis des vostres, & quand ie dis???????? ie dis mon frere: car son aage, & nostre amitié me donnent la permission de parler pur tous deux. Nous vous fuiurons, nous vous [239/240] feruirons, & comme vous nous cognoissez, serons courageux & fideles. I’ay vne chose à vous prier, c’est qu’au moins s’il faut perir, nous perissions glorieusement: & fouuenez-vous de dire ce mot à l’olemas, que son entreprise est comme la mort. On peut morir tant que l’on veut, mais cela est-il vne faist, il n’y a lieu ny de s’en repentir, ny de retourner. Il est permis à qui que ce soit de secoüer le ioug, d’aspirer au Thrône, & de se reuolter, mais apres il n’est pas permis de retourner à l’obeïssance. En vn mot ie lour quiconque a de grades pensees, & c’est en auoir, que d’essayer de se mettre en la place de son maistre: Mais ie deteste quiconque apres on a de basses, & c’est en auoir que d’estre. Fasché d’en estre venu li. Que Polemas se tienne en repos, tandis qu’il le peut faire auec honneur, ou au’aussi-tost qu’il se sera declaré, qu’il se sera declaré, qu’il ne le cherche que dans le Trhône, ou dans le tombeau. Ligonias estoit si fort attentif à ce que luy disoit Semire, qu’il fut long temps sans luy respondre, lors qu’il eust finy. Semire en ria et luy dit: Quoy, Cheualier, vous estonnez vous de me voir faire le considerant? Ne crevez pas toutefois que la cognoissance que i’aye des choses du monde me rendent moins hazardeux: Ie ne oy le peril que pour m’y jetter plus affeurément, & ne trouue de la difficulté dans vos affaires, que poir estre plus porté à les embrasser. Que voulez vous dauantage de nous?Nous n’exceptions rien: voicy nos cœurs, nos vies, & nos espees, que ne vous laisseront [240/241] doubter de quoy ce soit dont vous vouliez estre esclaircy. Ligonias, ares estre sorty de son admiration: le pentois, dit-il à Semire, auoir laissé derriere moy les plus grands hommes d’Estat qui furent iamais: cependant vous oyans parler diuinement, s’il faut ainsi dire, de nos affaires, i’aduouë que ie ne suis qu’vn escolier. Certes il vous appartient de gouuerner, ou pour le moins d’apprendre à ceux qui gouuernent, comme ils doivent faire. Aussi quand Polemas ne m’auroit autre obligation, que de luy auoir acquis vn amy si necessaire que vous, il ne peut recognoistre les feruices que ie luy ay faicts. Il faut, Semire, qu’il sçache ce que vous valez, & qu’il ne vous reçoiue pas comme vn homme qui veut courir sa Fortune: mais comme vn de qui depend, sans doute, le bon succez de sa fortune. Tant de paroles finies, nous descendismes en bas, & apres aouir disné, Ligonias pour faire voir à Semire & à moy, combien excellent il estoit en la diligence de recouurer, & du soin de conseruer toutes sortes de munitions, il nous mena dans ses magazins, dans ses celiers, dans ses chambres, dans ses greniers, & par tout ailleurs où il auoit mis les grains, ses chairs, les vins, & ses vinaigres. Semire trouua toutes choses fort bien ordonnees mais trop tost preparees.Ligonias luy respondit là dessus que Polemas n’attendoit que l’heure de se declarer. En suite de ces affaires de guerre, Ligonias parla des gens de pied & de cheual que Polemas auoit, & loüa infiniment Pole-[241/242]donte, Argonide & Listrandre qui estoient auec luy, ceux en la sageffe de qui Polemas remettoit les succez de toutes ses entreprises. Voulez-vous que ie vous die mon sentiment de ces trois Cheualiers, luy dit Semire, mais confidemment, & auec la mesme franchise, que vous me descouurez vne affaire de beacucoup plus grande importance? Ligonias qui les croyoit tres accomplis, fut bien-ayse de sçauoir l’opinion qu’en auoit mon frere: C’est purquoy il le supplia tant de fois, qu’en fin il luy parla de ceste sorte. Ie veux croire, Ligonias, que ces trois Cheualiers n’ayans autre object que celuy de faire obeïr Polemas, & eux ausse dans l’armee, peuuent aduancer le dessein de leur amy: mais s’ils se croyent plustost que celuy qui les employe, ie parie la perte des vns & des autres. Peledonte a du courage, mais sans conduitte: & l’orgueil que semble lui accroistre ce courage, par vne proprieté infaillible qui ne s’en separe iamais, le diminuë tellement, qu’il ne lui en reste plus rien que la quatriesme partie. N’en auons nous pas vû l’experience au dernier combat qui lui a si mal reüssi: il mesprisoit se fort son ennemi, qu’il le croioit tuer dé la veuë: cependant l’autre le des-arma & l’eust obligé s’il n’eust esté trop courtois, à lui demander la vie. Qu’arriva-t’il apres, Peledonte se publie par tout, sinon vainqueur, du moius aussi peu vaincu que l’autre: & ce qui est encorevn ridicule aueuglement, c’est qu’encore aujourd’hui, si [242/243] on lui en parle, infalliblement il soustiendra qu’il y eut du meilleur. Fiez vous, Ligonias, à vn homme qui prend tous les bons marchez pour luy, & qui croit que sa honte est celle de son ennemy. Semire alloit par la description des autres acheuer de rauir Ligonias, lors que Peledonte, comme pour faire voir que mon frere disoit vray, entra où nous estions: Et quoy que nous ne fussions pas incognus, nous fit vn si froid compliment, que Ligonias ne se pût empescher d’en soufrire. Peledonte qui eust crû offencer la bonne opinion qu’il a de soy, de penser que ce paquet s’adressoit à luy, tira sans ciuilité Ligonias à part: mais luy nous faisant des complimens infinis, sembloit encore qu’il fut tres courtois naturellement neantmoins ou faire cognoistre à Peledonte sa faute, ou nous obliger de remarquer par la difference de leur humeur la difference de leur merite. Comme ils eurent encore parlé quelque temps ensemble Peledonte nous dit que nous obligerions Polemas de le visiter, & auec sa mine d’impertinente remonta à cheual sans nous dire Adieu. Dés le lendemain, Celadon, Ligonias nous mena où estoit Polemas. Comme il nous eut presentez, il nous embrassa l’vn apres l’autre plusieurs fois, & auec la courtoisie & l’artificieuse humilité d’vn homme qui aspire à la tyrannie, demeura descouuert comme nous, & ne fit pas vne action où nous recogneussions qu’il s’estimoit le maistre. Ligonias luy parla tant de Semire, qu’il le voulut oüyr. Il luy rendit tant de [243/244] tesmoignages d’amitié: luy fit tant d’offres de feruices, & en vn mot le cajolla si bien, qu’il fallut que Semire luy parlast franchement. Polemas s’en trouua bien: car au lieu de croire Peledonte, & les deux autres, il suiuoit les aduis de Semire, & les proposoit dans son conscil, comme venant de luy. Semire que quelque bon esprit retiroit de ce party, à mesure qu’il s’y engagcoit, estoit bien ayse de n’estre point responsable des éuenemens: de sorte qu’il fut toujiours dans l’armée sans auoir en public autre qualité que Capitaine d’vne compagnie de gens de trait. Mais pourquoy, Celadon, vous ennuiay-je si long temps? Ie vay finir aussi-tost que i’auray parlé de vous & de la resolution que nous prismes de vous sauuer auec Astree. Voilà la guerre declaree, l’armee en campagne, & Marcilly inuefly. Apres les assauts, où nos gens furent si bien battus, Semire estoit dans la tente de Polemas, lors qu’on y amena Astree: Que deuint-il, Celadon, quand apres l’auoir tort attentiuement consideree sous les habillemens de Druide, il veid que ceux qui l’auoient prise pour Alexis, c’est à dire pour vous, se trompoient: il me dit deux heures apres qu’il ne s’en fallut rien qu’il ne tesmoignast sa passion, en arrachant ceste merueille d’entre les mains des gardes mesmes de Polamas. Mais ce luy fut bien vn renouuellement d’admiraton, quãd il veid que vou venant presenter en habit de Bergere, vous parlastes si resolument à Polemas, & luy appristes que vous estez Alexis, & Qu’A-[244/245]damas vous tenoit pour sa fille. Ha! dit-il en soy-mesme, fidel Amant, & d’autant plus heureux que moy. Que tu vaux mieux que moy! Pourquoy ne fais je pas le troisiesme en ceste glorieuse action? Asseruey-vous, chers Amants, que la volonté de Polemas estant iniuste, beaucoup plus que sa rebellion, ne sera iamais executee. Ie mourray, belle Astree, ou tes ennemis apprendront que la vertu trouue par tout de l’appuy. Polemas l’appelle là-dessus, & luy dit, qu’il vouloit que le lendemain vous & Astree auec Siluie, fussiez exposez aux fleches & aux armes de tous ceux qui seroient sur les murailles de ceste ville. Semire luy representa plusieurs choses pour l’en diuertier, mais ne le pouuant vaincre: bien, Seigneur, luy dit il, il vous faut obeïr: mais prenez garde qu’en pensant les enuoyer à la mort, vous ne les mettiez entre les mains de personnes qui les fassent sauuer dans la ville. Ie n’ay pas peur, luy respondit il, qu’on me fasse ce desplaisir, ny ceste trahison: car le fidele Semire sera celuy qui les conduira iusques sur le bord du fosse, auec sa compagnie. Semire rauy de ceste fauoable commission, luy jura tout haut: qu’il ne retourneroit iamais à luy, si’il n’executoit son commandement. Il tint ce qu’il luy promettoit: mais non pas ce qu’il luy sembloit promettre. Aussi tost qu’il fut seul auec moy: Mon cher frere, dit-il, si vous estiez moins genereux que vous n’estes, ie ne vous pririos pas [245/246] finure la fortune que ie veux courir demain, & m’assister en vne occasion aussi necessaire à mon repos, qu’elle est saincte & glorieuse pour vous. Il faut, Bias, il faut demain sauuer Astree, Celadon, & Siluie: & par vne entreprise digne de la vertu, que nous auons punctuellement praticquee, faire voir à toutes les Gaules, que nous ne fuiuions le mauuais party, que pour en retirer les gens de bien, qui sans nous y eussent esté opprimez. Allons, cher frere, allons à ceste immortalité, qui si souuent nous a seruy de consolation en nos accidents. La couronne est toute faite que nos doit donner l’Amour, par les mains de la Vertu, ou la Vertu par les mains de l’Amour. Comme il me vid encore plus resolu que luy, pour m’exposer au peril, pour vous sauuer, il me dit que nous pouuions aisément faire sauuer Astree & Siluie en coupant les cordes auec vn rasoir, & les conduisant iusajqu’au fossé, nous defendre auec vous l’espee à la main attendant le secours de la ville. Le lendemain Ligdamon estant venu de sarcroist, nous esperasmes que les Dieux ne nous abandonneroint pas. Et en effect vous voyez que sans la mort du pauure Semire, toutes choses auoient heureusement reussy. Va donc en paix, heureux Semire, & repose aux lieux où sont apres leur mort ceux qui ont tous-jours bien vescu: car je degage ma promesse, & descharge ton ame de ce qu’auant les guerres elle s’estoit obligee d’accomplir.

Celadon ne peut rien dire, pour ce que ses larmes??????? auec tant d’abondance, qu’elles [246/247] ne pourroient estre loüees, si elles n’auoient pour leur defence l’exemple d’vn nombre infiny de grands hommes, qui n’ayans point eu de pleurs pour leurs plus grandes afflictions, en ont tousiours eu pour les moindes que ressentoient les amys. Comme il eut bien pleuré, ouurant en fin sa bouche, ou plustost son cœur: Semire, Semire si i’oublie les obligations que ie t’ay que iamais Astree ne se souuienne de moy. Helas! que tu as payé cherement le peu de mal que tu m’as faict. & que i’aurois d’obligations aux Dieux d’estre Semire, s’ils ne m’auoient point faict Celadon.

Pendant que Celadon & Bias s’entretenoient ainsi, Galatée auoit vne extreme impatience de ne pouuoir apprendre de la Nymphe Syluie les particularités de la fortune qu’elle auoit couruë. A la fin se voyant desembarassée des affaires de son Estat, & de des soins qu’elle prenoit pour faire passer le temps à Rosanire, elle enouya querir Leonide & sa compagne, & ayant plusiers fois tesmoigné combien elle prenoit de part aux auantures de Syluie il faut luy dit-elle que vous m’appreniez tout ce qui vous est arriué: car quoy que ie vous vouye hors de danger, ie ne le puis croire si vous ne m’en rendez capable par le recit de vostre captiuité & du succez qu’elle a eu. Galate prononça ces paroles auec que ie ne sçay quel trouble qui ne laissoit point douter de la forte inclination qu’elle quoit pour cette fille, & ie ne sçay quelles alarmes qui monstroient qu’en vne ame bien née le desplaisir d’auoir perdu ce ce qu’on ayme bien a bonne grace, quand [247/148] elle combat quelque temps auec que la ioye de l’auoir recouuré.

Est-il bien possible, Syluie, luy doit-elle encore, que vous ne soyez plus entre les mains de ce tyran de Polemas? Les Dieux ont en vostre deliurance, visiblemet tesmoigné qu’ils estoient protecteurs de l’innocence, & apres eux il faut aduoüer que vous auez à Ligdamon des obligations qui entre nous ne peuuent estre dignement recognuës. Syluie que croyoit que veritablement Lydias fust Ligdamon. Helas! Madame, respondit elle, que bien souuent l’apparence esbloüit les plus clair-voyans, & qu’en ce que vous dittes i’ay sujet de blasmer la perfidie de Ligdamon plustost que d’adjouster soy aux mensonges qu’il a si artificieusement supposez. O! Teutates s’escria Galathee, que dittes-vous Syluie? Vrayement si vous demeurez dauantage en cette cruauté demesuree, ie croiray que comme vous quez iusques icy vescu tres sagement, qu’en vous declarant ennemie irreconciliable de la vertue, vous voulez estre vn monstre qui sans humanité & sans raison fait mal aux autres, & fait mal à soy-mesme. Quoy, Madame, reprit Syluie, que ne pouuait gonfler les sentimens de Galathee, que i’aime vn homme, que apres auoir inuenté autant de fables qu’il luy aura plû, iendra feindre, quand il le iugera à propos pourdes desseins qui nous sont ignorez, que ie suis son bien, & que mon amitié est la seule chose qu’il souhaitte au monde. Non, non, toute ieune que ie suis, ie sçay bien separer la verité d’vn monsonge vray-semblable. L’ay-je pas vû [248/249] faire les doux yeux à vne vagabonde, il y a vingt quatre heures, & quelques signes que ie luy fisse, faire semblant de ne me cognoistre point, & continuer pour l’Amour de cette maitresse secrette, vne indifference mesme en me tenant la main, telle qu’en allant à la mort, où le traistre Polemas nous exposoit, ie n’auois point d’ennuy sensible, comme d’estre auprés de ce trompeur. Galathee & Leonide lors d’esclattans de rire furent si long temps sans respondre à Syluie qu’elle alloit le mettre en colere d’estre si mal traittee à son opinion: quand la Nymphe se forçant pour ne la point fascher luy dit ainsi. C’est bien en cette occasion qu’il faut confesser qu’Amour est aueugle, & plus aueugle qu’on ne croit, puisque la cognoissance que tout le monde a des aduantures de Ligdamon & de Lidias n’empesche point que ceux.mesme qui en sçauent le plus particulierement l’histoire ne se trompent autant de fois qu’il est question de les distinguer. Ligdamon a tousiours esté pris pour Lidias lors qu’il doit estre pris pour soy-mesme, & Lidias tousiours pour Ligdamon quand il veut estre pris pour Lydias. Leonide voyant que Galathee ne parloit plus, & que Syluie ne vouloit point se desabuser. Ma compagne, luy dit-elle, Madame dit ce qui est, & pour vous empescher de retomber en semblable faute, ie veux vous iurer que Ligdamon fut en cette ville, iusqu’à ce que vous vouyant attachee auec Alexis, Astree, & Lydias, il ayma mieux se perdre en essayant de vous secourir, que vous voir dauantage en la puissance du maudit Polemas. La def-[249/250]fus, Syluie se tournant vers elle, comme se preparant à le croire, si on luy apportoit des esclaircissemens vallables. Leonide luy apprit tout ce que Ligdamon auoit fait pour elle en se jettant du haut en bas des murailles de la ville, & apres s’y estre jetté, en vous accompagnant iusqu’au pied où il vous aida luy mesme à vous mettre dans les paniers qu’en auit descendus pour vous & pour Astree. I’aduoue ma compagne, dit Syluie, que ce n’est pas mon mestier d’est evaillante: car sans mentir depuis qu’vn Capitaine de Polemas qui me conduisoit, m’eut dit que i’estois defliee, & que ie me hastasse de me sauuer dans le fossé l’aise & la peur m’ostoient tout iugement, ie ne me recognus point que longtemps après que sans sçauoir comment ny auec quoy, ie me trouuay dans cette ville & auec vous. Ie sçay que deux hommes nous prirent la main dans le fossé à Astree & à moy: mais de vous dire qui ils sont c’est vne chose que ie ne puis faire que par le rapport d’autruy. O bien, Syluie, reprit Galathee, croyez tout de bon la verité puisque vous ne l’auez pas vouë. Leonide vous la dit, & ie vous la confirmeray par tous les fermens que vous exigerez de moy. Mais si cela est, Madame, repliqua Syluie qu’est deuenu Ligdamon? Vraiyement, luy dit Galathee, vous commencez bien tard à vous souuenir du personnage que vous representez. Cette demande est bien vne marque d’Amour, mais d’Amour tres foible & tres indifferente. Hélla belle qu’auez-vous fait ou pensé toute la nuict parlée? Ce que i’ay fait & pensé, Madame, reprir??????, ie [250/251] vous le diray pourueu que vous m’en donniez la permission. Glathee la luy ayant donné, i’ay fait, continua t’elle, mille imprecations contre la perfidie de Ligdamon, & pensé que puis qu’il estoit si meschant de feindre de m’aimer, & auoir vne autre maistresse, qu’il n’y auoit en l’esprit du cruel Polemas, inuention pour faire mourir vn homme plus d’vne fois, qu’il ne meritast d’en faire l’experience. Et pour cela i’ay prié tous les Diux que pour ma consolation ce mal-heur luy peust arriuer. Vous estes bien mauuaise, ma compagne, luy dit Leonide, mais vostre mal porte son excuse: car le desir de vangeance estant conditionné, tesmoinge que vous n’en auez eu qu’entant que Ligdamon fut menteur & infidelle. Mais reprit Syluie, est il croyable que Ligdamon & Lidias se ressemblent si fort que i’aye pû prendre l’vn pour l’autre. Cest à dire, continua Galathee, que vous ne voulez croire aux Diex que sur bons gages: & que pourueue qu’on vous montre Ligdamon d’vn costé & Lidias de l’autre, & que vos yeux recognoissent qu’ils se sont mespris, vous ne trouuerés pas mauuais de nous croire. Excusez-moy, s’il vous plaist, Madame,luy respondit Syluie, ie croy ce que vous me dittes, comme ce qui vient de la bouche de nos Dieux: mais ie vous aduouë que ma curiosité n’est pas si petite que ie ne sois bien-aise de voir l’extraordinaire ressemblance de ces deux visages. Madame, dit Leonide à Galathee,Ligdamon merite bien que vous luy fassiez la faueur qu’il vous demande en cette occasion. Ie le veux, luy respondit Galathe, fais-[251/252]tes-moy venir Meril, ie l’enuoyeray visiter & sçauoir si l’on le peut voir. Comment! reprit Syluie, auec vn mouuement d’vne Amour qui reprend ses premieres forces, Ligdamon est il malade, où blessé? Pour dire le vray, Syluie, continua Leonide, vous ne meritez pas d’estre aimee, comme vous estes. Sçauez-vous pas que Ligdamon s’estant jetté par les creneaux de nos murailles, pour vous secourir fut auec Lipandas, ayder aux quatre qui faisoient bouclier de leur corps contre les traits & les picques de tout l’armee du meschant Polemas? Bons Dieux, s’escria Syluie, & comme ont ils pû se sauuer? Damon eut commandement de sortir pour les desgager, luy respondit Leonide, mais ils auoient dés ja tant soutenu d’efforts, & auoient esté tellement blessez qu’ils penserent y perdre tous la vie. De grace ma compagne, reprit Syluie, dittes-moy les noms de ces quatre Heros. Leonide eust bien voulu ne le pas faire, mais craignant que son refus ne fist penser à Galathee qu’il y auoit quelque finesse dessous, elle luy dit qu’Adamas l’ayant dés le soir precedent enouyé querir pour venir voir Alexis, il luy auoit appris leurs noms. Que les deux qui auoient deflie & elle & les autre estoient deux freres du party de Polemas, l’vn appellé Semire, qui estoit mort de ses playes aussi tost qu’il fut chez luy, & l’autre Bias, qui n’estoit que legerement blessé. Le troisiesme Lydias, & ce qui est le plus miraculeux, la quatriesme estoit sa cousine Alexis Galathee prenant la parole. Ha Leonide, luy dit-elle, ne mentez point, ou me dist cela dés hier: [252/253] mais quelle apparence? Pour moy ie ne le voulus point croire, & me figuray que pour sauuer Alexis quelqu’vn auoit pris ses habillemens,& par ce moyen auoit passe pour Alexis. Sas mentir,luy respondit Leonide ie vous dis ce qui est, Madame, & pour vous monstrer que fort peu de gens sçauent ce que ie vous viens de dire: C’est qu’Alexis estoit habillee en Bergere, pour-ce que depuis qu’elle est auec Astree, elles ont fait vne si grande amitié que tous les iours elles changeoient d’habillemens, & lors qu’elle fut prise elle auoit ceux d’Astree. De sorte qu’on la veuë l’espee à la main en habit de Bergere & n’a esté cognuë pour Alexis que par ceux qui auoiét ouy ce qui s’en disoit chez le mal-heureux Polemas. Ie confesse en cecy, reprit Galathee la foiblesse de mon esprit: car ie ne le puis croire & le tiens pour vne fable qui n’a pû estre vraye qu’au temps des Amazones. Bien, bien, Madame, le miracle, continua Leonide, n’est pas si esloigné qu’il faille courir de grandes fortunes pour s’en esclaircir. Affeurément, reprit Galathee,i’en seray hors de doute, deuant que ie dorme: Et pour cela, dit elle, se tournant vers Meril qui estoit entré dans sa chambre, va t’en chez Adamas, & sçache à quelle heure ie pourray voir Alexis. Et delà chez Ligdamon, & luy dis que ie veux le visiter cette apresdinee auec Leonide & Syluie: mais à condition que nous le puissions faire sans l’incommoder. Aussi-tost que Meril fut party, la Princesse Rosanire Dorinde, Daphnide & Madonthe entrerent dans la chambre de Galathee, & apres quelques dis-[253/254]cours du siege, qui fuiuirent les compliments elles furent toutes ensemble au Temple. Elles y trouuerent Amafis & y furent arrestees plus qu’elles ne pensoient, pource que les funerailles de Semire, se faisans à l’heure mesme, le commencement du conuoy, entra au Temple, comme elles en croyoient sortir. Elles se retirerent toutes dans des galleries d’où l’on pouuait voir & ouyr sans estre vû. Là elles eurent suiet de plaindre la condition des hommes & des affaires, voyans la nouueauté de ses obseques metlees(????????) de guerre & d’Amour: & d’aduouer qu’vn vaillant homme, & vn fidelle Amant sont des miracles qui ne peuuent estre assez admirez. Ces funebres ceremonies acheuees, les Dames se retirerent au Chasteau, où peu apres Godomar, Alcidon, Damon, & les aures Cheualiers les ayans fuiuies, on se mit à table & le premier discours qui fut mis sur le tapis, fut celuy de Semire. Godomar, en entama le propos, & s’addressant à la Nymphe Amasis. Madame luy dit-il, i’ay ce matin appris le nom de Semire & par ce nom me suis remis en memoire ce qu’autres-fois, si ie ne me trompe, i’ay sçû de sa vie. Il fau aduoüer qu’il auoit de tres grandes qualitez, & encore de meilleures fortunes. Car ie puis dire que i’ay esté l’vn de ceux qui ont pris part aux interests d’vne belle Dame qui l’a long-temps aimé, & qui l’aime encore, si elle est viuante. Cette Dame estoit Italienne, & par vn accident estrange passant par les Allobroges i’eus sa cognoissance & appris ces infortunes: Elle se nommoit Liuie, & me conta, comme quoy Se-[254/255]mire estoit deuenue Amoureux d’elle, & apres l’auoit quittee. Ce Prince se voyant prié par toutes les Dames de dire cette histoire, leur appuit tout ce que Bias à l’heure mesme disoit à Celadon & estant demeuré au temps que Liuie sçeut des nouuelles de Semire, & sortit de Lion pour venir en Forest le chercher, les laissa auec tous les regrets du monde, de n’en pouuoir apprendre le reste. Et cependant toutes d’vne voix, adoüerent que sa mort estoit iuste, & quelque grande que peut estre la cause de son infidelité, ou quelque exemplaire qu’eust esté la satisfactió que depuis il estoit croyable qu’en auoit euë Liane, toutefois les Dieux qui n’estoient pas si aysez à contenter que les Amoureux lauoient à la fin voulu apprendre, que tost où tard leur iustice punit les mauuaises actions. La compagnie s’estant là dessus leuce de table. Amasis suplia le Prince Godomar, & les autres Cheualiers de tenir conseil l’apresdinee, & pouuoir, tant aux necessitez de la ville, qu’à la conseruation de toute la Prouince. Adamas arriua comme la Nymphe faisoit cette proposition. De sorte que tous ensemble ils se retirerét dans la chambre du Conseil, & y voyant desia ceux qui auoient accoustumé d’y estre appellez, Godomar print la parole & tint ce langage. Qu’il ne falloit point douter que Polemas ne fust resulu à vn siege, & par consequent d’emporter s’il pouuoit la ville par famine, ou autrement. Que dés le matin il auoit fait approcher son armee, plustost pour presser la ville, que pour donner vn assaut. Qu’il faisoit commencer [255/256] de longues & profondes tranchees, auancer des forts & des tours & loger des compagnies iusques sur le bord du fossé. Que ces choses luy faisoient penser que ce rebelle n’ayant pas trouué son conte aux assauts passez, il n’y retourneroit point qu’à l’extremité. Cependant qu’il se falloit resoudre à ne rien precipiter, attendre du secours, viure le plus reglément qu’il seroit possible, & sur tout de veiller iour & nuit sur la pluspart des habitans, de crainte d’intelligence. Adamas voyant que Godomar ne parloit plus, dit qu’il commenceroit son discours par la fin du celuy du Prince & estoit asseuré, non seulement qu’il falloit preuenier les trahisons qui pouuoient naistre; mais pouruoir à elles qui estoient dés-ja formees. Et pour vous faire voir, continua t’il, que cela est, c’est que ce matin vn ieune Vacie qui a esté nourry chez moy, m’a presenté vn hóme de la ville, qui m’a fait entédre qu’il auoit quelque chose à me dire en secret. I’ay fait sortir ceux qui estoyent auec moy, & voyant ce bon Bourgeois, & bon Cheualier nommé Lisistras qui tesmoignoit beaucoup d’estonnement, & de dépit sur son visage. Vertueux Lisistras luy ay-ie dit. Sommes nous pas en vn estrange Siecle, que la foy, ny le deuoir ne puissent empescher vn rebelle de s’attaquer à son Prince, & troubler le repos des gés de bien? Ie ne doute point que la meschancete de Polemas ne vous fasse bien mal au cœur. Il est vray, Adamas, m’a t’il respondu, que Polemas ne sera iamais detesté, ny puny comme il le merite, mais dans son crime, il y a cette excuse qu’ou-[256/257]uertement il nous fait la guerre, & par consequent nous donne la liberté d’opposer la bonne cause à la mauuaise, & les forces de tous les gens de bien, à celles de tout ce qui ne vaut rien en cet estat: Mais sage Druide, ce qui me fait tomber des larmes, & maudire ma vie, est que nous ne sommes pas en seureté parmy nous. Que l’ennemy est entre nos murailles aussi bien que deuant, & dautant plus dangereux qu’il est incognu.Voilà ce qui vous apprendra ce que le dépit ne me permet pas de vous dire, & apres ie vous diray comme, quoy, cela m’est tombé entre les mains. Il me presenta vne fleche au tour de laquelle estoit vn papier que i’ay apporté pour vous le faire voir, En mesme temps Adamas tira de sa poche vn rouleau, qu’ayant mis sur vn baton, Godomar y lut ces paroles.

ie me suis??? en peine pour vous, et m’imformant aux hommes de l’estat de vos affaires, ay trouué qu’ils estoient fort meschants, ou fort ignorants. Cela m’a fait recourir aux Dieux: et voicy ce qu’ils m’ont respondu.

Oracle

Le Citoyen pire que l’estranger O??? remet en vn danger, Dont tous les riens ne peuuent te deffendre: Bien dans vn mois. Vn ennemy te reoid, et se resont dete reduire en cendre, mais vainement, si??????? [257/258]

C’est à vous ô vrays protecteurs de Forests qu’est reseruée l’explication de cet Oracle aussi bien que la conseruation de vostre pays, et la ruine des traistres que le veulent destruire.

Comme i’eux vû ces aduertissemens, non seulement d’vn amy, mais d’vn Dieu, reprit Adamas, j’auouë que i’en demeuray surpris, & ne voulant pas que Lisistras cognut tout mon estonnement, ie le priay de m’apprendre par quelle merueille ce papier estoit tobé entre ses mains. Il me respondit qu’estant dans son iardin qui tient aux murailles de la ville, du costé, du couchát & de la montagne, il veid voler vne fleche qui vint tóber à quelque vingt pas de luy. Il courut pour la prédre & se retirer croyát qu’il estoit vn des ennemis: mais il y trouua ce papier, qu’il relut plusieurs fois sans l’entendre. Qu’en fin ne cognoissat ny l’escriture, ny le style il me l’apportoit pour en faire mon profit, & en aduertir tout ce que vous estes icy de gés de bien resolus à nesue protection. S’il vous plaist que ie veux dierecs conicctuics??? que comme le moins capable, ie reçoiue les vostres pour corriger les miennes, ie vous diray ce que i’en pense. Godomar l’en ayant prié au nom de toute la copagnie,il poursuiuit ainsi. Ie ne doute point encore que l’S qui infalliblement est la premiere lettre nom du celuy qui a escrit ce papier, ne me remette aucun de ma cognoissance en memoire, toutefois que ce ne soit vn des seruiteurs de la Nymphe qui laduertit qu’elle a presque tous ses sujets pour enne-[258/259]mis, en partie par mauuais naturel, & en partie par stupidité. Pour l’Oracle ie le trouue d’autant plus clair, mais aussi d’autant plus plein d’vne menace presque infallible, que nous reduisant à la necessité de n’attendre secours que de Clidamant, il nous fait voir nostre perte indubitable par la trahison de quelques traistres qui sont en cette ville puisque pas vn de nous ignore que Clidamát est mort. Amasis estonnee de ces paroles, mais tesmoignant plus de resolutió & plus de courage qu’on ne deuoit vraysemblablement esperer, par la fort sagement, & apres auoir appellé les Dieux, & les hommes pour estre tesmoins de la iustice de sa cause, asseura que le plus grand ennuy qu’elle auoit à la veille de sa perte, estoit celuy de veoir tant de gens de bien & de qualité enucloppez dans le mesme danger. Que cela ne vous mette point en peine, luy dit Godomar en se leuant, ie iure tout ce qu’il y a de plus sainct au Ciel, que ces vaillans Cheualiers & moy, mourrons en vous defendant, ou par la mort de vos ennemis ferons veoir que les Oracles ne sont pas toujours des Arrests, qui doivent estre executez par des presages, qui ne peuuent estre cuitez. Alcidon, Damon, & trente cinq ou quarante autres Cheualiers se leuerent auec le Prince, & mettans tous l’espee à la main, confirmerent le serment que Godomar venoit de faire à la Nymphe. On ne proposa rien dauantage, sinon que plus exactement que de coustume à toutes les heures du iour, on visiteroit les corps des gardes, [259/260] on feroit toutes les nuicts changer de quartier aux Bourgeois & sous ombre de chercher quelque ennemy, on iroit dans toutes les maisons suspectes, les foüiller depuis les greniers iusques aux caues. Le Conseil estoit prest de se lever lors que Godomar arrestant l’assemblee, les supplia d’entendre la proposition, que, peut-estre, les Dieux tutelaires de Forests luy venoient d’inspirer. Cela dit il se tourna vers Amasis. Est il pas vray, Madame, luy dit-il, que la mort de Clidamant vous est d’autant plus sensible qu’en luy vous auez perdus vn tres-bon fils, vn tres vaillant cheualier, & vn tres-puissant appuy: Amasis ayant aduoüé qu’il disoit vray: Ie voudrois bien, continua-t’il, auoir aussi-tost les qualitez de vaillant & de capable de vous deffendre, comme i’ay de passion & de naturel à vous servir. Asseurez-vous, sage Nymphe, que vous n’auriez rien perdu en Clidamant, qui ne vous eust esté redóné en Godomar. Ie vous tiens pour ma mere si vous voulez me faire la honneur que de m’aduoüer pour vostre fils. Et en cette qualité quád ie n’aurois rien fait iusques icy, ie m’engage de faire tant de bonnes actions, & vous deffendre au peril de ma vie si ardément, que quád vous verriez vostre fils auec moy, vous feriez en doute a qui en dóner le nom, si vous estiez obligee de ne le donner qu’à celuy qui vous seruiroit auec plus de zele. Faisons donc vne chose, tenez-moy, s’il vous plaist pour vostre fils, commandez que ie ne sois plus nommé que Clidamant, & par vne adoption publique, qui jus-[260/261]ques icy est en effet tenuë pour vne legitime voye, par laquelle il naist des enfans à ceux qui n’en ont point, où accomplissons l’Oracle, ou en détournons le sens à nostre aduantage. Adamas se leuant tout ioyeux, frappa trois fois des mains, & s’escria: Cette inspiration n’est point vostre, ô Godomar, elle est des Dieux ouy dis-ie, elle est des Dieux qui ne veulent ny vostre ruïne ny la nostre. Amafis consolce par cet expedient, qui fut trouué iuste & venant du Ciel, remercia Godomar & sans differer cette fameuse adoption, pria le grand Druide de l’informer de tout ce quelle y deuoit obseruer, & haster toutes choses. De sorte que le iuor mesme elle fut contente. Adamas prenant la parole, luy parla ainsi deuant tout le Conseil. Auant que Cesar & ses successeurs, Madame, eussent corrompu la pureté de nos loix & de nos Coustumes, nos adoptions se faisoient, auec ie ne sçay quelle majesté , qui, a n’en point mérir, estant vn peu moins polie que celle des Romains, estoit en recompense plus haute & plus guerriere. Les Princes particulierement en ces occasions fasoient mettre leurs armees en bataille, & se mettans à la teste auec celuy qu’ils vouloient adopter, declaroient leur intention au peuple, remettoient leur puissance & leur qualitè à celuy qu’ils prenoient pour fils, luy donnoient effectiuement leurs espees, leurs boucliers, leurs iauclots & le teste de leurs armes, & pour marque publique de cette eternelle alliance, prenoient des [261/262] ciseaux & luy couppoient vne poignée de ses cheuex. Mais aujourd’huy, Madame,cela ne se pratique plus: Au contraire nous estans tout a fait assujettis aux ceremonïes Romaines, nous auons faist vne distinction en cette naissance artificielle & cluile, & par des mots empruntez de leur langage, appellons adoption, lors que par le consentement de ceux en la puissance de qui vn mineur le doit estre, nous iurons de le prendre pour nostre fils. L’austre est appellée Adrogation, & c’est quand vn homme libre, & en aage se donne à vn autre, & remet de sa volonté tout le pouuoir que les loix & la naissance luy permettent d’auoir. Cette ceremonie est celle dont vous auez affaire, mais pour ce qu’elle est extremement longue, & extremement difficile pour la saison, ie me persuade qu’il faut, s’il vous plaist, que vous suiuiez la coustume de beaucoup d’Empereurs & de Roys, qui en plein Senat deuant leurs sujects dans leurs armees se sont contentez de dire leur volonté, & d’en faire vne declaration par escrit, qui a toujours esté approuuee comme tres autentique & tres affeuree. Car de deux iours on ne pourroit commencer cette action, pour ce qu’auant que le peuple fust assomblé par tributs & par corps comme necessairement il faut qu’il soit en ces Estats generaux, que nous appellons apres les Romains Comices curiales, & que le grand Pontife & les autres, les Druides, lamines, Augustales & Prestres eussent fait les prieres & les mysteres accoustumez, il se parleroit encore plus de temps que ie ne dis. Il vaut [262/263] donc mieux retrancher toutes ces langueurs, & se tenant aux ceremonies des Princes les plus estimez, commander que le peuple soit assemblé dans la place publique, deuant le Temple de Iupiter Teutates, & là en la presence du corps de la Noblesse, de la Iustice, & du peuple, vous declarerez que le Prince est receu au lieu de Clidamant mort. Que vous voulez qu’il porte son nom & qu’il ait les droicts, priuileges, & honneurs qui ont esté conseruez aux veritables fils de vos Ancestres. Amasis & le Prince approuuans cette resolution, le Conseil se leua, & la Nymphe ayant prié Godomar de commander que tous les Heros, & les Trompettes allassent par la ville aduertir le peuple de cette resolution, pendant que les Officiers tant de paix, que de guerre feroient leurs charges, se retira auec Adamas dans son cabinet. Comme ils furent ensemble, Adamas l’instruist fort particulierement de ce qu’elle deuoit faire, & luy dressant les memoires des langages qu’elle deuoit tenir au Prince, & au peuple, la laissa se preparer, & fut acheuer ce que le Prince auoit desia fort aduancé. Le peuple attiré de la nouueauté de ce commandement, & d’aillueurs poussé du desir d’apprendre la fortune generale du pays, & chacun sa condition particuliere, fut dans la grande place plustost que les Trompettes n’eurent fait le tour de la ville pour ce que le bruit allant de maison en maison, & de rue en rue, le voisin aduertissoit son voisin, & preuenoit le commandement qui [263/264] estoit apres à luy faire. Les eschaffaux, & les ornemens qui peu auparauant auoient esté faits lors que Godomar fut fait Dictateur, se trouuerent si entiers, que sans y mettre la main, on s’en seruit pour cette seconde ceremonie. Les Pontifes accompagnez de leur chef, & les Druides d’Adamas, se mirent aux deux bouts du grand theatre, sur lequel deuoit estre la Nymphe, & sa suitte. Le Prince les suiuit, & s’arresta sur vn eschaffaut à costé droit de ce grand, fait de sorte que par vne gallerie de balustres de bois, on pouuoit passer de l’vn à l’autre. Les gardes, & le reste des Solduriers d’Amasis, se mirent en haye le long de la rue, par laquelle elle deuoit venir, cinquante Cheualiers armez, mais à pied, fuiuoient deux Heros aussi à pied qui s’arresterent au bas du theatre de la Nymphe. Les gens de la Reyne des Pictes vindrent à cheual, & huict ou dix Seigneurs estrangers, qui pour rendre la venuë de la Nymphe plus magnifique, n’auoient point suiuy le Prince, armez & vestus à l’aduantage, arriuerant deux à deux, iusqu’au milieu du peuple. Là ils mirent pied à terre, & apres monterent sur le grand theatre, aux lieux qui leur auoient esté preparez. Aussi tost que chacun eut pris sa place, douze petits garçons vestus de dueil, marcherent au petit pas, & apres eux alloient les Officiers de la maison de la Nymphe, elle venoit couuerte d’vn grád crespe noir, qui du haut de la teste, luy tóboit iusques sur les talons. Sa constance estoit grande, quoy que son visage parust triste. Vn peu au des– [264/265] sous d’elle, marchoit Galathee, habillee comme elle, sinon que son dueil n’estoit pas de la mesme estoffe que le sien, que son voile estoit plus ouuert, ses cheueux moins cachez, & la gorge moins fermee. La Princesse Rosanire n’auoit autre dueil que son voile, qui luy couuroit vne fraise fermee, & vne robbe de toille d’or qu’elle portoit: Ces deux ieunes Princesses marchoient ensemble. Toutes les autres estoient habillees de mesme façon, & marchoient selon leur qualité: Dorinde, Daphnide, & Madonte les fuiuoient, & estoient fuiuies de Circeine, Palinice, & Florice. Astree vestuë de ses ordinaires habillemens, & assez triste de son humeur pour l’estre en cette occasion, alloit entre Leonide, & Syluie, & vingt ou trente, ou Nymphes, ou Dames de qualité venoient apres deux à deux, & acheuoient l’ordre de cette ceremonie. Comme elles furent toutes sur le grand Theatre. Amasis & Galathee prenant leurs places sous vn Dais d’estoffe noire, couuerte d’ouurages d’argent, furent longtemps sans rien dire, tant les plaintes estoient grandes, & les acclamations reïterees, par lesquelles le peuple sembloit demander la cause de ce second dueil, & tesmoigner qu’il la ressentoit, mesme auant qu’il en eust la cognoissance. Ces premiers mouuemens du peuple estans passez les Heros firent faire silence, & lors la Nymphe prenant Galathee par la main se leua, & tint ces langages à toute l’assemblee. C’est de tout temps, mes amis, que vous auez accoustumé de voir vne femme com– [265/266] me moy dans le thrône, & ie le puis dire à leur gloire, aussi bien qu’à vostre loüange. Cette sorte de gouuernement que tout le monde a essayé de décrier, a iusques icy esté si heureusement conduitte, que i’ose asseurer que les meschans ont esté les seuls quï s’en sont plaints. Et plût au grand Hesus, que les femmes seules se fussent meslees de vous rendre la lustice, & songer à vostre protection: Nous ne verrions pas vn traistre violer les loix diuines & humaines, se reuolter contre l’obeïssance qu’il me doit, & outre cela vous mettre par vne rebellion sans exemple, à la veille d’estre la proye de son armee, aussi perfide & barbare que luy. Mais esperons en la bonté de nos Dieux, mes amis, & croyons qu’ils n’ont enuoyez tant de vaillans Cheualiers à nostre secours, que pour ne laisser pas impunie la desloyauté de Polemas. Ce qui me touche plus viuement, & qui m’oblige à me faire voir en ces funestes habillemens, n’est pas vne affliction nouuelle. C’est la mort d’vne personne que ie pleins & comme mere, & comme mere de tout ce que vous estes. Ouy peuple, de Marcilly, ie vous l’ay dés–ja dit: Mais permettez que ie le repete, i’ay perdu vn fils vnique. Clidamant est mort: mais ie le perds doublement, pource qu’apres L’auoir perdu, comme mon fils, ie le perds encore comme le plus puissant deffenseur de vostre liberté, & le plus ferme appuy de la tranquilité, qui sans sa mort ne vous auroit esté iamais troublee. Il fut impossible à la Nymphe de passer outre: car quelque violence qu’elle se fist, la [266/267] nature ne voulant pas demeurer sous la tyrannie d’vne vertu trop austere, l’obligea de ceder aux sentimens du sang, & partager son esprit entre les passions d’vne mere, & les vertus d’vne Princesse. Elle pleura donc, & pleura tant qu’elle voulut, pource que le peuple qui à ce mot de la perte de Clidamant, comme si c’eust esté la premiere fois qu’il en eust ouy parler, estoit deuenu immobile, bien tost apres se pleignit si haut, & monstra vne si veritable douleur, que les Trompettes & les Heros crierent plus d’vne heure, auant que de la pouuoir remettre. Il fallut le laisser pleurer & pleindre tant qu’il voulut, & attendre que desoy mesme il cognûst ce qu’il deuoit faire pour en venir à bout. Chacun donc se contraignant le plus qu’il pouuoit, & estouffant son ennuy en son sein, se contenta de pleurer, & d’ouyr ce que la Nymphe auoit encore à leur dire. Comme elle les veid bien remis, & que le silence fut vniuersel, elle continua de cette sorte. Ie serois desnaturee & mescognoissante, mes amis, si vostre douleur n’estoit vne espece de consolation pour la mienne: toutesfois ie la trouue vn peu excessiue, puis qu’il n’y a que cette Nymphe, (elle dit cela en leur monstrant Galathee) pour qui doiuent estre reseruez les desbordemens de larmes & de pleintes. C’est elle à qui seule est reserué par la naissance & par les loix, l’honneur de vous gouuerner. Elle sera vostre Dame si les Dieux sont iustes, [267/268] & le fera si heureusement pour vous, qu’vn iour vous aduouërez que quand elle ne l’auroit point esté par l’ordre de cet Estat, elle eust merité de l’estre par la douceur de son esprit, & la vertu de toute sa vie. Il est vray que Clidamant est digne de vos pleurs, & quand vous ne le confidereriez que comme vn bon Citoyen & vn Cheualier affectionné au bien de son pays, qu’il deuoit attendre de vostre compassion, ce qu’il en vient de receuoir: Mais ie ne veux pas vous laisser dauantage auec le regret d’auoir perdu vn si bon amy. Ie veux vous en rendre vn autre, & pour l’amour de vous m’obliger encore vne fois aux sentimens & aux inquietudes d’vne mere. Ie ne vous ay fait assembler icy, que pour vous monstrer auec quel soin ie pense à vostre conseruation, & cherche iusques dans les pays estrangers, ce que vostre repos me demande. I’ay donc tourné les yeux sur vn Prince digne d’estre fils de vostre Dame, & frere de celle qui le fera bien tost. Il est tel que le choix que i’en fais, est sinon le moindre fruict de sa vertu, au moins est–il le moindre honneur qu’il doit attendre de sa naissance, & de son courage. Quand ie vous l’auray nommé, vous ferez de mon opinion: & si vous trouuez quelque difference entre luy & Clidamant, l’aduantage en fera tout de son costé. Les enfans que la Nature nous donne, souuent trompent nos esperances: mais ceux que nous choisissons sont tousiours tels que nous souhaittons de les auoir. La voix publicque fortifie nostre iugement, & le consen– [268/269] tement general des peuples, nous enseigne qui est celuy auquel nous nous deuons arrester. Voyez à ce coup, mes amis, la felicité de ma vie, puisque n’ayant point sujet de me plaindre d’auoir mis vn fils au monde, i’en auray perpetuellement, de remercier les Dieux de m’en auoir donné vn autre, capable de me consoler de la perte du premier. Comme elle eut dit cela, elle s’aduança iusques sur l’entree de la galerie, qui alloit à l’echafaut du Prince: & l’appellant par son nom, alla au deuant de luy iusques à la moitié de ceste galerie: C’est vous, dit elle, grand Prince, que ie souhaitte pour mon fils, & pour le pere de mon peuple. Auez vous agreable, que tout ce que nous sommes vous ayons ceste obligation? Le peuple qui cognoissoit Godomar, & qui estoit tout plein des merueilles qu’il auoit glorieusement acheuees par l’Europe, ne peut attendre la responce du Prince. Comme il change à toute sorte d’objets, il se mit à batre des mains, à demander la ruïne de Polemas, & remercier la Nymphe de son election. Cependant Godomar auoit mis vn genouil en terre, & attendoit que le peuple se fust teu, pour respondre à la Nymphe: Ceste action imposa mieux silence que tous les commandemens des Heraux. Aussi le Prince parlant fort haut, dit ces paroles. Il semble, Madame, que les Dieux ne m’ayent enuoyé en vostre Cour, que pour y receuoir tous les iours de nouueaux honneurs, comme ie serois fol si me figurois que ie les merite, de mesme ie serois stupide, si ie n’auois pas la har– [269/270] diesse de les accepter. Ouy, Madame, continua t’il, ie reçoy la qualité de fils que vous daignez–me donner, & comme maistre absolu de ma liberté & de ma vie, remets l’vne & l’autre entre vos mains, pour en faire tout ce qu’il vous plaira, sans que pour quelque cause que ce soit, ie puisse iamais rompre le serment que ie vous faits deuant tout ce peuple, d’estre vostre, & soustenir vos interests contre qui que ce puisse estre. Voilà tout ce qui pût estre ouy: car le peuple renouuellant ses applaudissemens, & ses acclamations, ne permit pas au Prince de faire à la Nymphe les remercimens qu’il s’estoit proposez. On n’oyoit autre chose que ces mots, Viue Amasis, viue son heritiere, & nostre legitime Dame Galatee, Viue son frere Godomar. Apres que ce cry de ioye eut long–temps duré, le peuple comme touché d’vn mesme desir, ou poussé d’vn mesme mouuement, se teut en mesme temps: Et lors Amasis renforçant sa voix, demanda au peuple s’il ne vouloit pas recognoistre le Prince pour son fils, & frere de Galatee. Chacun ayant respondu, Oüy: Et moy, dit elle, ie le veux & l’entends ainsi; & pour nous rendre tout à faict Clidamant, ie luy donne ce nom, & le supplie qu’il ne se fasse plus nommer autrement. Godomar receut ceste condition, auec tesmoignage qu’elle luy estoit fort chere: & en suitte les trompettes ayans sonné trois fois, le Heraut dit aussi trois fois: Le Prince Clidamant vit. Et fit defence sur peine de punition, d’appeler desormais le Prince Godomar fils du Roy des Bour– [270/271] guignons: mais Clidamant fils de la Nymphe Amasis. Ce cry faict, les Cheualiers Sebusiens vinrent recognoistre Clidamant, comme fils de leur Dame. Les Pontifes & le corps des Druïdes en fit de mesme: Et le peuple par sa joye faisoit voir qu’il n’aymoit, ny ne haïssoit personne, qu’autant que l’estat present des affaires, & la foiblesse de son esprit, luy rendoient les choses bonnes ou mauuaises. Le grand Pontife accompagné du grand Druïde, fuiuant la coustume de tout temps obseruee, fut faire vn sacrifice au milieu de la place, & apres de longues & mysterieuses oraisons, offrit pour le salut de l’Estat, & la conseruation de leur nouueau Prince, vn Taureau blanc. Ceste beste espouuantee par les armes, ou resistant par la volonté des Dieux à celle des hommes, se mit en colere, & se secoüa tellement qu’apres auoir blessé deux ou trois des Vacies & des Eubages, s’enfuit, & ne pût estre arresté que par la foule du peuple, qui le prit, & par vne deuotion fort ardente le reporta sur ses espaules, iusques prés de l’Autel. Comme il y fut, toute sa colere se trouua esteinte, & sans qu’il fust besoin de le tenir, se laissa immoler. Les Prestres se mirent à consulter long–temps, & iugeans par les entrailles que le sacrifice estoit tres–bien fait, & la victime tres–entiere, ne peurent dire autre chose sinon, que ceste resistance tesmoignoit que c’estoit sans sujet que ceste jceremonie auoit esté resoluë: toutefois qu’en toute saison les Dieux aymans les Sacrifices, ils auoient receu [271/272] celuy là comme vne bonne oeuure FEHLER, mais non comme vne oeuure necessaire. Quand Adamas vint faire ce rapport aux Nymphes, & au Prince Clidament, il fut le tres–bien venu, pour ce que se figurans que les Dieux les menaçoient d’vn grand mal–heur, par la des–obeissance & la fuitte de la victime: ils ne pensoient auoir rien fait qui leur eust testé agreable. Les Eubages furent de ce pas dans le boccage sacré, où les Augustales s’estoient assemblées pour rendre ceste action heureuse, & demeurerent iusqu’à la nuict en prieres. D’vn autre costé Amasis s’en retourna au Chasteau, au mesme ordre qu’elle estoit venuë, sinon que faisant marcher toutes les Dames deuant elle, elle auoit Clidamant à sa main droite, qui attirant les yeux de tout le monde sur luy, estoit beny & admiré de quiconque aymoit le salut de son pays, & la prosperité des Nymphes. En entrantau Chasteau, vn nombre infini de trompettes & de clerons sonnans l’vn apres l’autre, les accompagnerent iusqu’en la grande salle, où la colation estoit dressee. Les Dames se mirent toutes d’vn costé, & les hommes de l’autre. Ce festin de confitures & de fruicts, fut d’autant plus plaisant qu’vne musique de lires, de luths, & d’autres instruments de Musique, estoit entremeslee d’vne de voix, où plusieurs airs furent chantez: Et entre autres la fable d’Ixion appropriee à Polemas, par vn Barde fort fameux en la Cour d’Amasis. Chacun en voulut auoir des copies, tant les vers furent trouuez excellens, KOMMA iusques–là mesme que Clidamant [272/273] en voulut voir & aymer l’Autheur, & Polemas par le moyen de Meronte les eust aussi, mais s’y trouuant mal traicté, se contenta de dire à celuy qui les luy auoit aportez, qu’il n’y auoit sotise dont les Poëtes ne s’auisassent. Toutes ces ceremonies acheuees, Galatee se souuint de la responce que luy auoit faite Meril de la part de Ligdamon & de ses compagnons: C’est pourquoy aussi tost qu’elle se pût desrober, elle laissa la Princesse Rosanire en la compagnie de Dorinde, Criseide, & Madonte, & prenant arecque soy Leonide & Syluie, fut où elle estoit attenduë. Ligdamon tout blessé qu’il estoit, n’auoit pas voulu demeurer au lit pour receuoir ces Nymphes: Aussi ne furent–elles pas plustost entrees chez luy, qu’il vint au deuant d’elles, mais si changé que Galatee voyant l’effort qu’il se faisoit, luy iura qu’elle s’en retourneroit s’il n’alloit se remettre au lit. Ligdamon se jetta à ses pieds pour la supplier de le souffrir comme il estoit: mais n’ayant peu l’obtenir: Madame, luy dit–il, que dira la belle Syluie que ie voy auprés de vous? Galatee souriant de cette question se tourna de costé de la Nymphe, comme voulant luy demander ce qu’elle en pensoit. Syluie ne peut s’empescher de rougir voyant que ces trois personnes auoient les yeux tournez sur elle: toutefois faisant bonne mine, elle respondit à Galatee qu’elle n’auoit ny parole, ny volonté, où elle estoit. S’il ne tient qu’à cela Syluie, reprit Galatee, ie vous remets la liberté de dire tout ce que vous voudrez: à condition que vous ne me desobligerez point. Ha! Madame, [273/274] s’escria Ligdamon, pardonnez moy, s’il vous plaist, si ie parle ainsi; mais vous ne deuiez point mettre de condition à la volonté de ceste belle Nymphe, autant de fois qu’il sera question de moy. Hé bien, puisque vous le voulez, Ligdamon, repartit Galatee, voyons comme quoy Syluie vous traittera par ses propres mouuemens. Fort bien, dit Syluie en riant, & pour ne vous en laisser pas dauantage doubter, c’est que ie prie ce Cheualier de faire ce que vous voulez de luy, & s’asseurer que ie veux toute seule luy en auoir toute l’obligation. O parole à faire resusciter vn mort! ô remede pour me guerir! meilleur que ceux de tous les Myres du monde, s’ecria Ligdamon: qu’ay je souffert en toute ma vie, qui ne soit trop recompensé par de si bonnes paroles? Prepare–toy donc, Ligdamon, à de nouueaux tourmens, à de nouuelles souffrances, & ne laisse aucune sorte de trauaux ou de perils, que pour meriter encore vn iour vne aussi bonne parole, tu ne cherches iusqu’aux extremitez de la terre. Ie vous vay obeïr, Syluie, mais pourquoy me commandez–vouz vne chose qui m’est tout à fait inutile, puisque vostre commandement estant plus puissant que ces vnguents, qui par vne miraculeuse sympatie guerissent les playes sans les toucher, non seulement a osté le danger que les Mires se sont figurez aux miennes, mais les ont si parfaitement gueries, que ie n’en puis plus auoir de douleur, ou n’en puis auoir que quand vous me laisserez icy seul à la mercy de mes impatiences & de mes inquietudes. C’est assez parlé pour vn [274/275] malade, luy dit Galatee, pour l’interrompre: estes–vous BINDESTRICH? encore à sçauoir qu’obeïssance vaut mieux que sacrifice. I ohne e? obeïray donc, Madame, reprit Ligdamon: aussi bien ayant, il y a si long–temps fait à la belle Syluie, le seul sacrifice que ie luy puis faire, ie ne sçaurois plus que le recommencer. Galantee voulut ayder à Ligdamon, pour le faire releuer: mais Syluie se mettant entre–deux, prit le bras du Cheualier, & le priant de se leuer, dit tout haut: C’est à moy, Madame, à soulager Ligdamon, ie serois tres–ingratte, si le voyant blessé comme il est pour m’auoir fauué la vie, ie ne commençois par ce petit feruice à me reuancher. Ceste declaratiõ fut la premiere marque que Syluie auoit iamais donnee de la bonne volonté qu’elle auoit pour Ligdamon: Aussi il en demeura si rauy, que d’excez de joye ses playes se r’ouurans, il s’esuanoüit entre les bras de ces Nymphes, mais ayant esté secouru par les siens, il fut porté au lit, & si bien pensé que ses playes furent refermees, & luy hors de son éuanoüissement. Durant que cela se faisoit Galatée estoit entree en vne sale auec Leonide & Syluie, & s’estans toutes trois mises à parler de Ligdamon: Leonide qui l’aimoit comme son allié prenant la parole: Il faut auouër, Syluie, luy dit–elle, que vous auez long–temps mis à vous cognoistre & vous éclaircir des doutes que iusqu’à present vostre cruauté prenoit plaisir de faire naistre. Vrayment continua Galatee: Ie ne croy point qu’il y ait au monde, homme dont la constance & l’Amour puissent estre comparees à celles de Ligdamon. Ce ne sont [275/276] pas des ioyes pour luy que les moindres demonstrations d’amitié que luy fait Syluie, ce sont des rauissemens, & des extases si incroyables qu’infalliblement il mourra s’il arriue vn iour que cette glorieuse luy declare qu’elle l’ayme bien fort. Madame, luy dit Syluie, s’il ne meurt point qu’en ce temps–là, asseurez–vous qu’il n’est pas pour mourir que fort vieux. O ma compagne dit Leonide, ie ne puis vous pardonner cette inhumanité. Deuriez–vous pas estre contente de luy auoir fait des maux, & exposé à des perils dont son seul courage & sa seule Amour estoient capables de le retirer? & apres tant de merueilles le rejetter aussi loin du bien qu’auec raison ses esperances luy promettent, que le premier iour qu’il vous offrit son seruice. Ma sœur, respondit Syluie, contentez–vous, s’il vous plaist, que ie fais des choses dont ie m’estonne moy–mesme, & si ie l’oze dire ie rougis: Mais is ne m’en repentiray iamais. Ligdamon est veritablement digne d’vne bonne fortune, & si sa fidelité est telle quand elle aura esté bien examinee, qu’elle paroist, souuenez–vous qu’elle ne luy sera pas infructueuse. Mais Madame, que direz–vous de moy, continua Syluie, se tournant vers Galatee, de prendre la hardiesse en vostre presence de parler si librement de mes folies? Non, non, Syluie, respondit Galatee, ne croyez pas que ie desapprouue des actions honnestes & belles, comme sont les vostres: Ie prends part en tous vos interests, pour ce qu’ils seront tousiours conformes à la raison, & veux que vous ne [276/277] doutiez point des soins que ie prendray à faire reüssir tout ce qui vous sera, ou agreable, ou necessaire. Syluie vouloit la remercier lors que des voix se haussans tout à coup, la curiosité porta toutes ces trois Nymphes à vouloir ouyr ce que s’estoit. Elles ouïrent vne fille qui respondoit ainsi à quelqu’vn. Ne troublez point vostre repos & le mien: ne vous doit–il pas suffire que deux fois vous m’ayez portée l’espee à la gorge, & que par vn excez de cruauté sane pareille, vous m’ayez couuert de chaisnes & de fers, dans vn cachot, ou la mort mesme, quelque effroyable quelle soit, ne paroist iamais que comme la plus belle chose du monde. Il est vray ce qu vous dites, belle Melandre, mes crimes sont encores plus grands que vous ne les representez: i’ay violé toutes les loix diuines & humaines: i’ay’outragé la Nature & les Dieux en la plus parfaitte de toutes leurs oeuures: ie ne merite, ny d’estre regardé de vos beaux yeux, ny d’estre absous par vostre belle bouche. Vous ne me sçauriez imposer sorte de supplice & de penitence, que ie treuue digne de vous satisfaire. Aussi la grace qne ie vous demande, est que considerant mes fautes & vostre vertu, vous rendiez à toute la terre vn tesmoignage, que vous sçauez à la grandeur des offences, proportionner la pesanteur des peines. Ceste Melandre au lieu d’escouter cét affligé, s’estoit tournee vers vn autre, qui estoit en vn autre [277/278] lit, à ce que virent les Nimphes, & luy disoit ainsi: Ce fera donc pour toute ma vie, cruel, que tu me rendras malheureuse, & qu’insensible à toutes les obligations que tu ne sçaurois nier que tu m’as, tu prefereras vne perfide à Melandre, qui pour te seruir a oublié toutes choses, s’est oubliee elle mesme, & changeant d’humeur en changeant d’habillement, t’a sauué la vie, a reduit tes ennemis à te mettre en liberté, & plus que tout cela, t’a fait maistre absolu de ce qu’elle a de plus cher & de plus precieux. Ces Nymphes estoient tellement attentiues à tous ces discours, que ne songeans ny où elles estoient, ny contre quoy elles s’appuyoient, elles ouurirent la porte de la chambre ou disputoient ces Amants, & l’ouurirent: tellement que ne s’en pouuans dédire, elles furent contraintes de se laisser voir. Il est vray qu’elles ne fussent pas entrees, mais l’vn de ceux qui estoient au lit, leuant la teste fut cognu des Nymphes: C’est pourquoy elles allerent à luy, & Galatee prenant la parole: Vrayment, Ligdamon, luy dit elle, vous nous auez long–temps fait attendre. Ie ne vous pardonnerois pas ce peu de soin, si vostre mal ne vous estoit vne tres bonne excuse. L’autre auec vne ciuilité, & vn respect extreme: Madame, luy respondit il, ie ne suis pas assez honneste homme pour estre Ligdamon. Ie m’appelle Lydias. O Dieu? s’escria Galatee, & falloit il que ie fusse aussi bien trompee que les autres? Cheualier, luy dit–elle apres, ie vous prie de m’excuser: i’aurois honte d’auoir fait [278/279] ceste brevëue, si d’aussi clair voyants que moy ne m’auoient precedee. Hé quoy! Madame, luy dit Siluie auec vne grande froideur, voyez vous pas que c’est Ligdamon; mais qu’il feint d’estre vn autre, afin que nous luy donnions patience, & le laissions acheuer la reconciliation qu’il a commencee auec ceste belle Dame? Leonide sembloit estre attachee sur le visage de Lydias, & ne sçachant qu’en penser, demeuroit la plus estonnee du monde: mais en mesme temps vn valet de Ligdamon entra dans la chambre où les Nymphes estoient, & les vint supplier au nom de son maistre, de prendre la peine de monter où il estoit: Il ne fait que de reuenir de son éuanoüissement, continua–t’il, & vous auez esté la premiere chose qu’il nous a demandee, apres auoir regardé par tout sans vous voir. Il est au desespoir de l’inciuilité qu’il a faite, & s’est voulu leuer pour venir vous en demander pardon. Galatee & ses filles reuenans comme d’vn profond sommeil, s’entreregardoient sans mot dire, & toutefois pressees par ce valet, qui leur representoit l’impatience de Ligdamon, elles se forcerent. Et alors Galatee reprenant la parole: Lidias, dit–elle, si souuent pris pour Ligdamon, & vous Lipandas, car ie croy que c’est ainsi que vous estes nommé, (en disant cela elle tourna les yeux sur celuy qui estoit dans vn lict proche de celuy de Lydias) nous vous laissons auec ceste belle fille: mais à la charge que tantost nous reuiendrons vous voir, & apprendre vos fortunes de vos bouches mesme. Melandre alors se jettant aux pieds de la [279/280] Nymphe, & luy embrassant les genoux: Madame, luy dit–elle, si vous auez pitié de la plus infortunee fille du monde, ne souffrez pas que ie sois opprimee par la cruauté de Lydias, & par l’importunité de Lipandas. Faites–moy la grace d’oüyr les raisons que i’ay contre l’vn & contre l’autre, & daignez pour iamais imposer silence aux troubles, dont iusques icy mon pauure esprit a esté persecuté. Lidias & Lipandas s’estans leuez à demy, supplierent les mains jointes, Galatee d’accorder la requeste de Melandre, le le veux, dit–elle, chere troupe: mais à condition qu’auant, nous irons veoir Ligdamon, & reuiendrons incontinent à vous, Galatee à ce mot prit congé d’eux, & emmenant Leonide & Siluie, qui ne pouuoit s’oster de l’esprit que Lydias estoit Ligdamon, entra dans la chambre où estoit le veritable Ligdamon. Ce fut alors que l’amour s’ostant pour vne bonne fois le bandeau des yeux apprist à Siluie qu’elle en deuoit faire de mesme, & voir sur le visage de Ligdamon des caracteres qu’elle seule pouuoit remarquer n’auoir iamais esté sur celuy de Lydias. Elle les aperceut donc, en considerant ce Cheualier, & demeura si satisfaite que sa joye paroissant iusqu’en ses yeux, elle alla trouuer Ligdamon, & luy dit de fort bonne grace: Il faut aduoüer que vous ressemblez tellement à Lydias, qu’il est impossible que vous ne soyez pris pour luy. Ie dis mesme par ceux qui vous pensent le mieux cognoistre. Pour moy [280/281] i’aduouë, que non seulement i’y fus prise il n’y a que deux iours; mais toute à ceste heure, ie n’ay pû m’empescher d’y estre encore trompee. Confessez la verité, Ligdamon, vous auez bien des fois maudit ceste ressemblance? Ligdamon qui voyoit que sa fortune alloit de bien en mieux, reprit son visage, quelque foible qu’il fust: Et demandant permission de respondre à Siluie, luy dit cecy: Tant s’en faut, belle Siluie, que i’aye maudit la ressemblance qui est entre Lydias & moy, qu’au contraire l’en ay remercié les Dieux, & reçeu les trauaux & les dangers dont elle a esté suiuie, comme autant d’occasion de rendre à vostre vertu, & à mon Amour, les tesmoignages que i’ay tousiours souhaitté de laisser en quelque lieu que ie fusse. Il est vray, discrette Siluie, que quelquefois ceste ressemblance m’a faict appeler les Dieux complices de la plus grande injustice du monde: mais c’estoit lors que tantost Amerine, & tantost la Iustice de Rhotomague, quoy que par deux bien differentes voyes, essayoient de m’arracher de vostre seruitude & de vos fers, c’est à dire, de la seule liberté que ie veux conseruer aux despens de ma vie. Galatee interrompant ce discours: Vrayment, dit–elle, il ne faut point que ie fasse plus la suffisante que les autres, i’aduouë que i’y ay esté attrapee, & que i’ay commis par ceste beveüe, vne faute, dont, sans vous, ie ne croirois pas pouuoir obtenir pardon. Là dessus elle luy conta tout ce qui luy venoit d’arriuer: & ce que [281/282] pour couurir son erreur, elle auoit promis à Melandre, & aux deux Cheualiers Lidias, & Lipandas Madame, reprit Ligdamon, si vous faites ceste bonne oeuure, croyez que les Dieux vous en fçauront gré: Essayez, s’il est possible, de les mettre d’accord, & quoy que Melandre, semble auoir Lipandas en horreur, faites, s’il vous plaist, en sorte que sa haine se change en amour: Aussi bien ne faict–elle que perdre son temps de rechercher Lidias: car il ayme Amerine, & à ce qu’il m’a dit, luy a depuis trois iours confirmé son amour, & protesté de n’aymer ny n’espouser iamais qu’elle. Au reste Lipandas est si courtois & si hardy Cheualier, qu’outre les obligations que luy a Melandre, pour le danger où il se mit hier, afin de luy obeïr: elle luy en a encores d’autres qui ne sont pas petites: car apres les peines qu’il a souffertes pour elle à Callais, & durant sa prison, il est allé la chercher par tous les coins des Gaules: & , qui est bien plus considerable, a eu ces extraordinaires passions, pour vne personne qui iusques icy ne l’a iamais regardé de bon œil. Mais, Madame, suis–je pas bien plaisant d’estre pauure & mal–heureux, comme ie suis, & cependant au lieu de penser à mes necessitez, m’oublier pour assister les autres? En cela, luy respondit Galatee, vous monstrez la generosité de vostre ame, qui ne sentant son mal qu’apres auoir eu compassion de celuy d’autruy, se rend digne d’estre secouruë la premiere. Pour moy ie croy tellemét cela cóme ie le dis, que si Siluie veut estre de mon aduis, vous [282/283] n’aurez pas plus de delay pour estre content, que celuy que nous demandons maintenant aux Dieux, pour l’estre tous ensemble: c’est à dire, de veoir ceste ville libre, nostre pays heureux, les rebelles remis en leur bon sens, & l’infidele Polemas puny comme il merite. Ligdamon ayant tres–humblement remercié la Nymphe des preuues de sa bonne volonté, vouloit parler à Syluie, lors qu’il fut interrompu par Leonide, qui ne voulant pas que son parent languist dauantage, sans sçauoir s’il estoit aymé ou hay de sa compagne, s’adressa à Galatee, & luy dit, qu’il ne falloit pas, si elle vouloit commencer dés le viuant d’Amasis la charge qu’elle auoit à prendre apres sa mort, qu’elle permist que la violence & l’iniustice eussent si long–temps la vogue: que l’humeur de Syluie auoit esté aussi bien vne resistanve contre les loix de son Estat, qu’vne rebellion contre celles d’Amour: Qu’il n’estoit pas croyable combien dedaigneusement iusques icy elle auoit reçeu les seruices de Ligdamon: combien indifferemment elle auoit oüy les Fortunes qu’il auoit couruës pour elle: Et en fin combien inhumainement elle payeroit tant de peines & tant de trauaux, si vne inspiration du Ciel ne luy touchoit le cœur: & si l’auctorité de sa souueraine Dame, ne luy defendoit de viure ingratte. Siluie alloit se mettre en colere des langages de Leonide: mais Ligdamon suppliant les Nymphes qu’elle luy permissent de parler, il respondit ainsi à Leonide: Sage & [283/284] trop iuste Nymphe, pardonnez–moy, s’il vous plaist, si mesme en ce qui me touche ie suis contreint de n’estre pas de vostre opinion; Siluie ne m’a point traitté cruellement, comme vostre amitié vous faict croire, & s’il est vray que les Dieux sont equitables, elle ne couronnera point mes seruices d’vne recompense si mal–heureuse que vous pensez. Et à dire vray, qu’a t’elle faict iusques icy, qu’elle ne fust obligee de faire? Elle a mesprisé mes seruices, que sçauoit–elle s’ils valoient la peine d’estre receus? Elle n’a iamais voulu de la moindre bonne parole qu’elle eust pû dire, me faire esperer que mon amour estant bien recognuë, ne seroit point rejettee. Mais pourquoy m’eust–elle asseuré d’vne chose, qu’elle ne pouuoit promettre qu’auec le temps? Ie ne me plains donc en façon du monde: mais supplie tres–humblement ceste belle Nymphe, que se laissant toucher, lors que mon amour aura souffert toutes sortes d’espreuues, elle daigne aduouër, que si ie ne puis auoir l’honneur de ses bonnes graces par merite, qu’au moins ie les dois esperer par la volonté que i’ay tous jours euë de les pouuoir meriter. C’est trop vous faire marchander vne chose que vous voulez acheter ce quelle vaut, reprit Galathee: Oüy, Ligdamon, il faut vous prendre au mot; car vous–vous estes mis à la raison. Et vous, Syluie, continua–t’elle, ne pensez pas faire la rencherie: il est equitable que vous cessiez d’estre cruelle: Ligdamon ne vous presse point; mais vous don– [284/285] nant tout le terme que vous voudrez prendre pour le cognoistre, ne desire de vous, sinon qu’en fin le iugeant tel que vous le pouuez demander; vous luy accordiez par grace, ce que vous seriez obligee, s’il n’estoit injuste contre soy–mesme, de luy donner par iugement. Quoy, vous ne dites mot, Syluie? Vne promesse conditionnee comme est celle qu’on vous demande, peut elle vous mettre en peine? certainement cela n’est pas croyable qu’en la personne des ingrats, ou des insensibles. Madame, respondit Siluie, auec vne parole qui monstroit combien elle pensoit à ce qu’elle vouloit dire: s’il ne s’agissoit icy que d’vne promesse pure & simple, ie ne ferois pas la difficulté que ie fais: mais quand ie pense que vous me voulez obliger à peser toutes les actions, examiner toutes les paroles, & n’oster iamais l’œil de dessus Ligdamon, pour juger s’il ne sera pas tel que ie le souhaitte, vous m’engagez sans y penser, à la plus deplorable condition qui puisse estre: & voicy comment. Ligdamon m’ayme, ou pour le moins feint de m’aymer. Ha! iudicieuse Siluie, dit ce Cheualier en joignant les mains, ne dites iamais cela, s’il vous plaist. Bien, bien, Ligdamon, reprit Siluie, nous cognoistrons ce qui en est: mais par vne autre espreuue que par celle qu’on me propose. Ie dis donc, Madame, poursuiuit–elle, que s’il estoit vray que Ligdamon ne m’aymast qu’en apparence, ou qu’il ne m’aymast que pour vn temps: Aujourd’huy qu’il espereroit par la promesse que ie luy ferois, qu’vn iour il auroit de moy [285/286] ce qu’il en desire, est–il pas vray qu’il s’empescheroit bien de monstrer que sa passion est artificielle? Au contraire, conduisant toutes choses auec plus d’art & de iustesse que iamais, non seulement il tromperoit mes yeux; mais tromperoit ceux de la desiance mesme, iusqu’à ce qu’il eust obtenu ce qu’il auroit si long–temps & si subtilement poursuiuy? Ie ne veux donc rien promettre à condition: mais pour l’amour de luy–mesme, & pour vous faire voir que ie sçay me reuancher aussi bien qu’on me sçait obliger: Ie luy iure en vostre presence, Madame, & en celle de son Aduocate Leonide, que son respect m’a plû, que i’ay du ressentiment des accidents qu’il a courus pour moy: & qu’autant que ie puis aymer, ie luy promets de l’aymer. C’est trop, c’est trop, belle Nymphe, s’escria Ligdamon, n’expliquons point, s’il vous plaist, ces mots, Autant Fehler? que ie puis aymer, quelque desaduantageuse que soit pour moy leur signification, ie la reçoy auec action de graces, & pour preuue que ie m’estime le plus heureux homme qui viue, c’est que si vous daignez me donner vostre belle main à baiser, ie vous iureray comme sur vn Autel, pour le respect duquel l’on n’est iamais dispensé des sermens que l’on y a faicts, que de ma vie ie ne vous demanderay chose qui s’estende au delà de ce que vous me faites l’honneur de me promettre. Syluie rougit de ceste proposition: mais Galatee qui vouloit acheuer cet accord, luy dit ainsi. [286/287] Quoy! vous faites difficulté d’estre vous–mesme gardienne des gages que Ligdamon vous veut donner: Non, non, ne vous refusez pas ce que vous voulez obtenir d’autruy. Ceste main que ce Cheualier demande, est vne marque qu’il ne veut pas faillir à ce qu’il vous promettra, puis qu’il vous laissera tousiours en liberté en cas qu’il y contreuint, de luy produire ceste main, comme cinq tesmoins qui l’accuseront d’auoir violé la seincteté des Dieux, & la pureté de sa foy. Leonide en riant la tira par le bras, iusques aupres de Ligdamon: mais Syluie voulant qu’il luy en eust toute l’obligation de ceste grande affaire: Ie veux vous accorder encore ceste grace, luy dit–elle, mon amitié peut s’estendre iusques–là: Mais souuenez vous que vous deuez y mettre vos bornes, & qu’il n’y a rien plus auant. Comme Ligdamon estoit prest de remercier Syluie, deux medecins entrerent dans sa chambre, qui le venoient visiter tous le iours. Il les eust volontiers querelez: mais ne l’osanr faire, il pensa qu’en leur donnant sa main, il en seroit plustost quitte. Il en demanda donc la permission aux Nymphes, qui ayant faict approcher les Medecins, leur donnerent le temps de voir leur malade. Mais bien à peine le premier luy eut–il tasté le poux, que luy sentant vne fort grosse fievre: Madame, dit–il à Galatee, trouuez bon que nous–nous pleignions de vostre visite: ce Cheualier pour rendre ce qu’il vous doit; & ne [287/288] dementir en la moindre chose du monde, l’estime qu’on a tousiours faite de sa ciuilité, s’est fait vn tel effort, que sa fievre en est fort augmentee: & si les Dieux ne benissent nos remedes, il court fortune d’estre long–temps au lict. Mon Dieu! s’escria Syluie, serions–nous bien cause d’vn si grand mal heur, en vne saison où Madame a tant de besoin de personne faites comme ce Cheualier? Galatee se tournant vers la Nymphe: En conscience, luy dit–elle, ceste Madame, au nom de laquelle vous venez de pleindre le mal de Ligdamon, se nomme t’elle point Syluie? De graces, Madame, luy respondit elle, ne me faittes pas la guerre: mais essayez de rendre à ce Cheualier la santé que vous luy auez ostee: Cela est bon pour vous, Syluie, reprit Galathee, toutesfois puis qu’il est raisonnable que nous songions à ne pas faire empirer les playes de Ligdamon, allons voir ce que fait la pauure Mellandre, & essayons de guerir les blesseures de l’esprit, puisque nous ne sommes pas fort expertes à celles du corps. Adieu done Cheualier, dit–elle en se leuant: tenez vous en repos, & ayez soin de ne nous donner plus gueres la peine de vous venir voir. Leonide luy dit quelque chose qui plut à l’vn & à l’autre, & Syluie qui commençoit à bon escient d’apprendre ce que c’est que d’aimer, demeura la derniere, & s’approchant tout contre Ligdamon. Ie verray, luy dit–elle, par le soin que vous prendrez à vous guerir, celuy que vous auez de me plaire. En luy tenant ce langage, elle auoit mis le [288/289] cossin de forte, que Ligdamon la pût baiser comme à la desrobée, & Syluie s’en allant là dessus, sembla estre bien aise qu’il eust pris ce qu’elle estoit trop glorieuse pour luy permettre sans violence. Ainsi ces Nymphes quitterent le contant Ligdamon, & descendirent dans la chambre de Mellandre où elles estoi?t impatiemm?t attenduës. Comme elles furent entrées & que les complimens eurent esté rendus de part & d’autre, elles prirent des chaires, & Galathee faisant l’office de Iuge souuerain, fit iurer l’vne apres l’autre ces trois personnes, qu’elles se tiendroient à ce qu’elle ordonneroit, & pria Mellandre de luy representer succinctement ce qu’elle auoit contre Lidias & Lipandas. Alors cette ieune fille fit vne tres–humble renerence, & parla de cette sorte.

DIRE DE MELLANDRE

Ie ne vous feray point l’histoire de ma vie, grande & sage Nymphe, ny vous contant les aduantures de Lidias hors des Gaules, ne vous repeteray point des choses, qui sans doute, vous ont esté desia dites. Ce que ie veux faire est, que ce Cheualier aussi mescognoissant auiourd’huy qu’il sembloit ne l’estre point au logis de mon pere, se souuienne des promesses qu’il me fit durant sa mauuaise fortune, & trouue bon de les accomplir apres les auoir recognuës. Premieremét donc, ô Lidias, tu sçais, & quand tu feindras à cette heure de [289/290] l’ignorer, ta conscience te le dira, que tu n’eus pas plustost receu de mes parens les bons offices, par lesquels ils t’obligerent à demeurer auec eux, que trouuant l’occasion de m’entretenir seule, tu me iuras que rien ne t’auoit obligé à prendre la maison de mon pere, & y attendre le succez de tes affaires que l’Amour que ma beauté t’auoit donnée. I’estois fort ieune quand tu me fis cette declaration, mais ie ne l’estoy point assez pour me persuader qu’elle fust veritable, kein Punkt? Ie te respondis, ce me semble, assez à propos: & s’il te fust resté quelque sorte de conscience, tu ne m’eus pas poursuiuie ardemment comme tu fis, pour me contraindre à t’aimer. Ie l’aduouë, chetiue & desolée que ie suis, ie t’aimay, & sans considerer ce que ie deuois à ma naissance, ou plustost à moy–mesme, te monstray combien absolument tu m’auois gaignée. Mais que ne pouuoient emporter sur la resolution d’vne ieune & credule fille, deux ans entiers de poursuites, de tesmoignages d’amour, & outre tout cela, perfide Lidias, ta courtoisie, ta bonne mine, ton excellent esprit, tes serments qui me font dresser les cheueux à la teste toutes les fois que tes froideurs me contraignent à m’en ressouuenir. Si tu n’auois enuie de me tenir parole, pourquoy par tant d’artifices prenois–tu la peine de m’en asseurer? Le bon traittement & la retraitte que tu auois trouué chez les miens, ne t’obligeoient–ils pas à les recognoistre autrement que par vne si barbare trahison? Hoste, ingrat & mescognoissant, qui violant les loix de l’hospitalité épie l’occasion [290/291] d’oster l’honneur & le repos à ceux qui luy auoient sauué l’vn & l’autre. Mais tu as inuenté des excuses, sous lesquelles tu penses auiourd’huy te mettre à couuert. En ce temps–là dis–tu, offensé de l’indifference d’Amerine, & resolu de la quitter, puisque ie fortune que tu auois couruë pour elle, n’auoit pû la disposer à prendre part à tes peines, tu ne me iurois rien que tu n’eustes enuie de me tenir: mais depuis ayant sceu la grandeur de l’Amour de cette Dame, & les incroyables perils où elle s’estoit volontairement exposée pour te rendre des preuues de sa constance, tu serois le plus abominable, & le plus criminel homme du monde, si tu ne voulois viure & mourir sien. Plûst aux Dieux, ô Lidias, que cette vertu dont tu essayes de te rendre recommandable, eust eu d’aussi profondes racines en ton ame que tu veux qu’on le croye. Tu n’aurois pas oublié si tost cette Amerine que tu fis, & ton Amour t’empeschant de penser à d’autres, m’eust fait euiter le mal heureux passage, où, insensiblement m’engage ta perfidie. Ne croy pas toutesfois que mon propre exemple ne me rend sage. L’estat auquel tu m’as reduitte, m’apprend assez qu’il est dãgereux d’adjouster foy à tes paroles. Non, non, Lidias, ie ne te croy point, & comme tu feignois autresfois de m’aimer, pour t’oster peut–estre hors de l’esprit le reste de ta passion volage que tu auois euë pour Amerine, de mesme tu feinds maintentant que tu comm?ces à l’aimer plus que iamais pour te despouiller de quelque nouuelle [291/292] Amour, qui ayant possible duré vne Lune ou deux, qui sont des siecles pour ton inconstãce, te lasse aussi bien qu’ont fait toutes les autres. Donc mon innocence trompée, mon Amour sans pareille, mes longs voyages, les armes que i’ay prises les combats que i’ay faits, la prison où ie me suis volontairement enfermée, les chaisnes & les fers dont i’ay esté couuerte, & tout cela pour toy, ne pourront arrester ton inconstance, ou flechir ta cruauté? Ha! Lidias, il y va de ton honneur, & de ton iugement de ne paroistra pas insensible à tant d’obligatiõs. Ce n’est pas que ie te reproche chose du monde. Ie voudrois en auoir fait mille fois dauantage: Possible que l’excez de tant de peines, & d’auantures, surmontant ton insensibilité, te feroit resoudre à me presenter, la recompense qu’ingrattement tu refuses à ce que ton propre salut m’a fait faire. Il est temps, Madame, (Mellandre dit cela se tournant vers Galathee) il est temps que ie vous demande iustice, & sans exagerer l’ingratitude de Lidias & l’infortune de Mellandre vous fasse voir qui de luy ou de moy, a le droict de son costé. Est–il pas vray, grande Nymphe, que celuy est coulpable de tout le mal, & consequemment digne de tout le supplice, qui vend le bien qui n’est pas à luy, & engage dans des precipices, dont il ne les peut retirer, ceux qui le suiuent innocemment, & s’en rapportent à ses promesses. Lidias a fait pis que cela, il m’est venu promettre vne affection qui n’estoit plus sienne, puis qu’il l’auoit dõnée à son Amerine [292/293] & par vne malice trop noire pour n’estre point punie, s’est estudié deux ans durant de gaigner mon esprit, & tromper ma facilité. Ie l’ay crû, Madame, pource que ie ne pensois pas qu’il voulust tirer aduantage de tromper vne fille pleine de bonne volonté pour luy, & l’ay tellement crû, que quand il se preparoit à me laisser & faire emporter par vn mesme vent son nauire & sa foy, ie n’en osois rien croire: pource qu’il me iuroit le contraire. Possible que ses promesses de la grand’Bretagne ne sont pas pour estre obseruées aux Gaules, & qu’il ne croit pas estre obligé de tenir icy ce qu’il a iuré là. Mais, Madame, voyez s’il vous plaist, si ces excuses sont vallables, & si vn trompeur, comme l’est Lidias, s’il me manque de parole, peut estre absous pour dire qu’il ne m’a seruie que par occasion, & ne me peut garder sa foy au preiudice de celle qu’il auoit donnée à son Amerine. Ie ne finiroy iamais de trouuer de nouuelles raisons pour le conuaincre, si ie n’auois peur, Madame, de vous importuner. I’aime mieux donc que vous le condemniez moins rudement, que de vous faire horreur de tous les crimes dont ie pourrois l’accuser: Ie ne suis pas de ces parties animées à la ruine de ceux qu’elles poursuiuent en iustice. Ie ne demande point sa ruine. Ie souhaitte sa repentance, Madame, qu’il m’aime & souffre que ie l’aime. Voilà tout ce que ie desire. Pour Lipandas ie m’estonne fort comme il ose me poursuiure iusqu’au bout des Gaules. Quoy! ne se contente–t’il pas de m’a– [293/294] uoir si outrageusement traittée dans la ville? Pense–t’il que sa tyrannie s’estende iusques icy? Qu’il se souuienne des chaisnes dont il m’a si long temps accabiée, de la sale & infecte prison où il m’a fait languir, & de la mauuaise foy qu’il me tesmoigna apres que ie l’eus vaincu. Quoy! pense t’il que i’aye changé de memoire comme d’habillemens. Il faudroit estre plus aisée a tromper que, par la grace de Lidias, ie ne suis pour receuoir le seruice & la fidelité que me iure vn homme, qui contre les loix de Cheualerie, ne s’est pas soucié de fausser la foy qu’il m’auoit donnée. Lipandas, Lipandas, croyez–moy, l’honneur a des loix bien plus exactement obseruées que l’Amour. On fait gloire de ne rien tenir de tout ce qu’on promet aux Dames, mais on ne l’a iamais fait de ne garder pas ses paroles aux affaires du monde. Que feriez–vous donc à vne Dame qui se plairoit à vos tromperies: puisque vous vous estes monstré homme sans foy, apres auoir esté contraint de la donner par la loy de nostre combat, & la coustume des honnestes gens. Ie sçay, Cheualier, ce qu’il y a pour vous à respondre, mais ie ne suis pas payée pour vous iustifier. Ie me contente de vous auoir fait veoir l’imprudence de vostre affection. Ce n’est pas que ie n’estime infiniment vostre personne. Ie vous ay de l’obligation de ce que vous auez fait pour moy: Aussi croy–je m’en estre acquitée, quand ie vous ay retiré des prisons de Ligdamon, & fait rendre vostre liberté. Ne croyez pas que cette grace soit [294/295] petite, ie la tiens si grande, que ie n’en demanderois qu’vne pareille aux Dieux pour recompense de tout ce que ie pourray de bien en ma vie. C’est assez Lipandas, consolez–vous à mon exemple, & puisque nous cherchons tous deux vne mesme chose, qui est de nous faire aimer à qui ne nous aime point, essayons à l’enuy à qui aura plustost trouué cet art incomparable Galathee, voyant que Mellandre ne parloit plus, se tourna vers les deux Cheualiers pour les ouyr: mais voulans parler ensemble, ils disputerent à qui se iustifieroit le premier. La Nymphe les mit d’accord, en commandant à Lidias de commencer, pource qu’il estoit le premier de qui estoit plaint cette belle Angloise. Leonide & Syluie cependant admiroi?t l’esprit de cette Dame, & auouoient qu’elles auoient choisi la meilleure part, de se laisser aimer, sans estre contraintes de courir apres leurs seruiteurs. Elles estoient prestes d’en dire dauantage: mais la Nymphe leur commanda de se taire, & se tournant du costé de Lidias: Or sus, luy dit–elle, heureux Cheualier, c’est à vous à nous apprendre si vous estes aussi coulpable qu’il semble, Lidias se leuant le mieux qu’il pût, parla ainsi.

RESPONSE DE LIDIAS À MELLANDRE

[295/296] Donnez–moy, belle & genereuse Amerine, vne partie de cette grande constãce, auec laquelle vous auez surmonté tout vostre sexe, & donné de l’enuie au nostre, de crainte que ie ne perde courage au milieu des puissants assauts, dont me combattent les charmes, l’Amour & la vertu de l’inestimable Mellandre. Ie l’aduouë, ô beauté, qui a fait pour moy des choses qui par leurs merueilles se rendent incroyables: si ie ne suis auiourd’huy soustenu de cette indomptable generosité, qui me fait rougir de honte par l’excez de ses faueurs, ie cours fortune d’estre emporté malgré mes efforts, au gré d’vne passion estrãgere, comme il arriue souuent au vaisseau, deslié par vn vent contraire, ietté en des plages incognuës, & quelquesfois ennemies. Mais à quelles impossibles violences me fait penser l’extreme puissance des charmes de Mellandre. Il est vray qu’elle est belle, qu’elle est sage, qu’elle est pleine de tout ce qui peut faire aimer. Il est vray qu’elle me donne la hardiesse de croire qu’elle ne me veut point de mal: Mais ie me remets en mon bon sens, & apres l’auoir considerée toute, ie veoy qu’elle n’est point Amerine, & par consequent, qu’elle ne peut rien sur moy. Ie dis cecy de propos deliberé, belle estrangere, & pense qu’auec raison ie le puis [296/297] soustenir. Punkt? Ouy, Amerine est la seule qui fait mes destinées bonnes, ou mauuaises, & tourne mes mœurs, & mes passions de quelque costé qu’il plaist à son absolu pouuoir. Ie ne vis que pour elle, ie n’ay volonté que pour elle, & si son Amour ne me soustenoit, ou plustost n’estoit la conseruation de mon estre, vous me verriez estendu dans ce lict, comme vn corps qui vient d’estre priué de son ame. Ce n’est pas que i’ignore les obligations que ie vous ay: ny que ne les ignorant point ie vueille demeurer dans l’infamie de les desaduouër. Ie ne feray iamais ingrat des bien–faits que i’ay receus. Ie ne feray iamais l’ennemy de la societé ciuile, & en vn mot iamais on ne me prendra pour ce monstre espouuantable, qui n’a des yeux que quand il ne se veut point regarder. Ie cognoy mon deuoir, ie sçay ce que son amitié vous a fait entreprendre pour ma conseruation, & le sçay si parfaitement, que depuis qu’il y a des hommes sensibles, iamais bons offices ne fur?t grauez dans le cœur de celuy pour lequel ils ont esté faits, comme les vostres l’ont esté, & le feront eternellement dans le mien. Ie vous parle Mellandre, comme vostre seruiteur: mais comme Amant, C’est vne chose qu’Amerine de droit de souueraineté s’est reseruée toute entiere. Quoy! vous ne pouuez souffrir que ie parle ainsi? vous voulez que ie vous trompe: & s’il estoit veritable ce que vous auez trouué bon de dire, que ie perseuerasse en Forests, où est la fontaine de la verité d’Amour, en vn artifice que i’aurois commencé [297/298]en la grand’Bretagne. Non, Madame, ie ne vous donneray de ma vie sujet de me vouloir mal. Ie vous ay à la verité dit autresfois que ie vous honorois bien fort, & s’il faut tout cõfesser, ay desiré que vous en creussiez quelque hose. Mais estre tous les iours en vostre maison, auoir l’honneur de vostre compagnie depuis le matin iusqu’au soir, & outre tout cela estre deuant ce visage charmant, & ouyr les pensees de cet esprit incomparable, sans deuenir Amoureux, & ne l’oser dire, c’eust esté vn prodige pour l’expiation, duquel toute la grand’Bretagne n’eust eu assez ny de Guy sacré, ny assez de Victimes. Il est vray que c’estoit violer les loix d’Amour, de vouloir vous persuader vne chose, qui ne pouuoit estre, puisque n’ayant plus de volonté libre, ie ne pouuois auoir d’affectiõ veritable. C’est, belle estrangere, où est le comble de vos forces, & de mes foiblesses. Si est–ce que ce mesme Amour qui lors m’auoit osté la volonté, auiourd’huy ne m’oste pas les moyens d’y respondre. Si les premiers mouuemens fussent passez à vne deliberation arrestee, & par vne continuelle poursuitte eussent forcé vostre esprit à se rendre: I’aduouë que mon infidelité seroit conuaincuë: mais qu’ay–je fait en vingt–quatre Lunes, que i’ay eu l’honneur d’estre aupres de vous, que de vous dire quelquesfois, qu’il n’y auoit grandeur de courage, ny puissance de raisonnemens qui puissent sauuer vn homme qui vous auoit veuë, de vos chaisnes & de vos prisons? Il vous en sou– [298/299] uiendra, s’il vous plaist. I’ay esté huict Lunes que entretenant vne petite colere, dont vous m’auez esloigné de vous, i’euitois les occasions de me remettre bien, & de faire ma paix. Pourquoy, pensez–vous que ie le fisse, sinon pour vous obliger à ne faire estat quelconque de moy, & retirant vostre grace, m’abandonner aux iniures, & aux outrages de vostre esprit indigné? Vous ne le faites pas toutesfois, au contraire oubliant mon ingratitude, & preuenant mon repentir, vous vous abbaissastes iusqu’à me parler la premiere, & par vne occasion qui s’offrit durant les deuotions publiques, vous me dites des choses, dont pour la gloire seule de vostre esprit, ie me souuiendray toute ma vie. Nous sortions du grand Temple de Londres, lors que vous approchant de moy, Lidias, me dites–vous, c’est prophaner nos mysteres, & se mocquer de la Religion, d’aller presenter nos offrandes auec la haine dans le cœur, & demãder au grãd Teutates, le pardon que nous ne voulõs pas donner à nos ennemis. Pensez à vous, si vous etes sage, & par vne perseuerance à mal faire, ne vous refusez pas les benedictiõs, qu’en ce temps de grace, Bellenus le bõ, verse du Ciel en terre sur la teste de quicõque se repent de ses fautes. Belle Mellandre, vous respõdis–je, il est bien difficile que ie pardõne à des gens qui m’ont bãny de mon pays, qui me poursuiuent contre toute iustice, & qui pis est, me cotraignent de vous desplaire. A ce mot ie veis que vous chageastes de couleur, [299/300] & comme si ces dernieres paroles vous eussent esté d’infaillibles marques d’vne extreme affection, vous deuinstes toute autre que long–temps deuant vous n’auiez esté. Pourueu que vous continuiez à vous repentir, me repliquastes–vous, comme vous commencez, ie ne pense–pas que le grand Teutates tout iuste qu’il soit, puisse vous condemner. Pour moy, si i’estois en sa place, vous seriez desia abious, & si vous m’auez desobligée autresfois, de peur que ce peché ne retarde vostre absolution, ie consens non seulement de l’oublier, mais d’en faire la penitence pour vous. Il vous souuiendra, s’il vous plaist, genereuse estrangere, de la froideur premedirée auec laquelle ie respondis à ces obligeantes paroles, & s’il vous en souuient, vous vous souuiendrez aussi qu’en estant offencée vous me dittes, que ie faisois fort peu d’estat de la puissãce des Dieux, & que si ie n’estois plus humble dans le cœur, que ie n’estois en apparence, il falloit que Teutates auec sa majesté & toutes ses foudres se resolust de venir à gen ouil en terre, me supplier d’auoir agreable qu’il me pardonnast mes fautes. Ie me figuray que ces paroles estoient de nouueaux presages de la continuation de vostre haine: mais elles furent plustost comme ces vents furieux, qui apres auoir amassé des nuees espoisses & noires en vn moment, en vn moment aussi les dissipent, & rendent l’air plus pur que deuant: ie vous reuis dés le soir du mesme iour reprendre vostre visage d’amour & de paix, & me dire: Hé bien, Lidias, [300/301] ses deuotions ne vous ont–elles point humilié? Ie l’aduouë, cette parole me toucha, & cognoissant qu’elle venoit d’vne ame toute brulante d’Amour, ie me forçay de vous oster des inquietudes dont vous estiez rongée. Mais voyant que vous commenciez tout de bon à vous essoigner du port, & mettre les voiles au vent pour courre ma fortune, ie vous pleignis de ne vous pouuoir accompagner à ce voyage, & afin de vous en destourner, prins vne autre route, & au peril de ma vie aimay mieux repasser en Gaule, que de vous causer tant d’insensibles peines, & de vaines passiõs. A cette heure que pouuez–vous me dire, sinon que vous vous estes oubliée pour moy? Que comme vn autre Cheualier errant, vous auez couru toutes les Gaules les armes sur le dos, combattu mes ennemis, sauué mon honneur & ma vie, & en fin obtenu ma liberté aux despens de la vostre? Souffrez, belle estrangere, que sans vous repeter ce que desia ie vous ay dit plusieurs fois, ie vous demande à vous–mesme ce que ie dois faire. Au mesme temps que vous estiez à Calais, Amerine estoit à Rothomague, & tandis que vous vous battiez contre Lipandas pour ma deliurance, Amerine se presentoit à mes Iuges pour me retirer des griffes & de la gueule des Lyons. Voyez, Madame, (il dit cela se tournant auec beaucoup de respect vers Galathee) voyez, dis–je, Madame quelle est ma fortune, & sans vous laisser vaincre aux persuasions de l’vn ny de l’autre, lors que vous m’aurez ouy, [301/302] iugez, s’il vous plaist, de ce que ie suis obligé de faire. Voilà Amerine que i’ay long temps aimée d’vn costé: voilà cette vertueuse estrangere qui m’aime infiniement de l’autre. L’vne se bat pour me faire sortir de prison: l’autre apres auoir esté deux ans sans auoir receu de mes nouuelles, se presente pour me retirer du supplice, & comme si mon oubly ny mon mespris, ne l’auoient point euë pour object, elle me supplie tres–humblement que i’aye agreable qu’elle soit ma femme. Incontinent apres cette belle Dame que voicy, apprend que son combat n’auoit pû forcer. Lipandas à me donner la liberté. Elle se bat derechef, & voyant ce remede vain, entre en prison & prend mes chaisnes & mes fers pour me donner la commodité de sortir. Mais que fait cependant Amerine, elle se prepare à m’espouser, & voyãt que par vn breuage empoisõné i’aimois mieux mourir que d’estre son mary, elle par Amour sans exemple, aime mieux mourir pour vn ingrat, que de viure sans Lidias. Cette belle estrãgere me rencontre depuis auec Amerine, la Ialousie luy met les armes à la main, & la porte à me vouloir ou tuer, ou faire commettre vn crime. Amerine en mesme temps me voit prisonnier, elle me donne des habillem?s, & quoy que le danger fust grand ne laisse pas de s’en mocquer pour me le faire euiter. Cette Dame m’a suiuy iusqu’en Forests, Amerine y est aussi venuë, & en vn mot cognoissant que celuy pour lequel elle auoit tant pris de peine estoit Ligdamon. & par consequent que i’estois vn [302/303] meschant, vn insensible, vn ingrat, de ne l’auoir point esté chercher, ny enuoyé personne luy porter de mes nouuelles, elle ne laisse pas de continuer en son Amour, & le iour que ie fus pris par les Solduriers de Polemas, l’ayant rencontrée, elle se iette à mon col, me dit les meilleures paroles du monde, & me confond tellem?t par le recit des fortunes qu’elle auoit couruës pour moy, qu’encore ie ne puis sortir de l’admiration de tant de merueilles. Ce fera donc icy, ô belle & sans pareille Amerine, que ie cesseray de parler pour vous, puisque le Ciel & la terre, les Dieux & les hommes, les choses sensibles & insensibles, & si ie l’ose dire, cette belle estrangere, soustiennent vostre cause, & par vne eloquence, plus forte que toutes mes raisons, me commend?t de vous seruir & vous aimer eternellement. Aussi ie vous promets de ne contreuenir point à ce iuste cõmandement, & iure deuãt cette grãde Nymphe, qu’aussi tost que mes blesseures seront en estat de me permettre de marcher, ie sortiray d’icy, & au trauers des piques, & des traits de tous nos ennemis, vous iray chercher iusqu’en la tante de Polemas, & vous retirer de ses prisons au peril de ma vie.

Lidias finit ainsi, & se sentant foible, se mit la teste sur le cheuet: mais Mellandre en extreme colere. Voyez, dit–elle à la Nymphe, l’ingratitude de Lidias, Madame. A–t’il d’vne seule bõne parole essayé d’adoucir mes amertumes? A–t’il sceu euiter mon nõ mesme, & tout ce qui pouuoit m’obliger pour vous faire voir qu’il ne veut pas seulement payer mes bien– [303/304] faits d’ingratitude: mais perdre la memoire de celle qui l’a si sensiblement obligé? Mais fais tout ce que tu voudras: sois desnaturé iusqu’au bout, iamais Mellandre ne se repentira de t’auoir aimé. Galathee admirant son courage, la supplia de se mettre son esprit en repos, & coniura Lipandas de dire ce qu’il pensoit pouuoir seruit à sa cause. Il se leua le mieux qu’il pût, & apres quelques compliments, commença ainsi.

LANGAGE TENU PAR LIPANDAS À MELLANDRE

Les meilleurs esprits qui se sont arrestez à philosopher sur l’Amour, ont diuersem?t parlé du bandeau qu’il porte deuant les yeux. Pour moy qui en parle par mes propres sentim?ts, plustost que par les subtilitez de la Philosophie, ie croy que nos peres sages & experimentez en toutes choses, n’ont voulu rien entendre par cet aueuglement volontaire, 2KOMMAS que celuy duquel sont offosquées toutes les fonctions de l’ame d’vne personne qui est passionnément Amoureuse. Il semble que la memoire n’a plus l’vsage de se souuenir des choses passées: Que l’imagination ne peut preuoir les futures: Et que l’entendement n’a plus de liberté de iuger des presentes. Ie tiens ce langage, Madame, il dit cela se tournant vers Galathee, pource qu’il ne seroit pas croyable, s’il en alloit autrement, qu’on pûst aimer vne [304/305] personne, & qu`’on desirast d’en estre aimé, apres luy auoir fait sentir tout ce que peuuent les armes & la colere.

I’ayme la belle Mellandre, Madame, & comme si ie ne me souuenois plus que ie l’ay autresfois blessee: que ie luy ay manqué de parole, & bref que la tenant dans mes prisons ie l’ay chargee de chaisnes & ne luy ay pas presque donné la liberté de viure, ie souhaitte qu’elle m’aime, & si i’en estois crû, dés à present ie serois en ses bonnes graces. Ouy, belle Mellandre, ie suis assez audacieux, pour auoir ce desir, & vous aime si passionnément que ie me figure qu’il m’est permis de la pretendre. Ie sçay que ie deurois suiure les reigles & l’ordre des discours ordinaires, & me mettre en estat de grace auant que ie souhaittasse d’estre recompensé: mais ie ne suis point de ces foibles esprits qui croyent qu’il faut laschement excuser ses fautes pour auoir plus aisément misericorde. Ie ne veux point estre obligé de ma vie à des moyens perfides & supposez. Il faut que vostre iustice esclaircie de mes fautes me condemne absoluëment, où que generalement vostre clemence me les remette. Si mes actions passees n’ont iusques icy parlé pour moy, & au trauers de l’amour que vous auez pour Lydias ne vous ont fait cognoistre celle que i’ay pour vous, il sera tres–difficile que moy qui sçais aimer mieux que representer combien i’aime, le puisse faire par les paroles que ie vous pourrcis dire. S’il estoit question de vous persuader vn mensonge, comme fit autresfois [305/306] Lydias, quand il vouloit faire accroire qu’il vous aimoit, ie le supplierois tres–humblement de m’apprendre ses pensees & ses cajolleries pour esbloüir encor vne fois la clarté de vostre iugement: mais les Dieux m’enuoyent la mort, ou me mettent encor vn coup l’espee à la main pour vous offencer, plustost que ie suiue vn si mauuais exemple. Non, Madame, (ie ne trouue point de nom, par lequel ie dorue desormais vous appeller qui soit plus propre que celuy cy, qui me represente le pouuoir absolu que vous auez sur moy.) Non, Madame, dis–je, quand ie serois assez heureux pour vous donner l’Amour, que vous auez pour Lidias, ie ne seray iamais assez meschant pour vous traitter comme il fait. Ne croyez donc pas, s’il vous plaist, que ie vueille vous persuader que vostre beauté estant infinie il faut que mon Amour la soit aussi. Que vostre vertu estant sans comparaison, il faut que mon affection l’esgale. Et en vn mot qu’vne grande cause ne peut produire de petits effects. Ie vous ay aimé, & ne puis dire par quels charmes, si ce n’est par ceux de l’inclination ou de la necessité, cette passion m’est arriuee. Ie ne vous veis iamais qu’armee où prisionniere, c’est à dire, sans beauté. Ie ne vous pris iamais que pour mon ennemy, & vous ay tousiours traittee comme telle. Cependant aussi tost que vous n’estes plus en mon pouuoir, & que i’ay appris que vous estes la belle Mellandre, cette Mellandre, dis–je, qui a fait tant de miracles pour vn ingrat & pour vn infidele, i’en deuiens extraordinai– [306/307] rement Amoureux, & ne pouuant vous rendre mes hommages, ny vous adorer comme vous le meritez, i’adore vos chaisnes & vos fers. Ie les baise comme des reliques, pource qu’ils vous auoient touchee, & de ce maudit cachot qui me representoit par son horreur celle de mes actions passees, i’en fis au commencement vne retraitte de penitence, & de peur de ne vous rendre pas tout ce que ie vous deuois, le changeay en fin en vn Temple de Gloire, encore tout plein de la splendeur, & de la diuinité de celle qui si long–temps y auoit esté retenuë. Mais quoy! ie ne veois pas qu’apres vous auoir promis de ne rien dire à mon aduantage, ie vous fay ressouuenir de ce que i’ay fait, & semble le faire pour en tirer quelque sorte de recompense. Ie dis seulement qu’il le semble, Madame: car en effect ce n’est point mon intention. Et comme ie vous ay des–ja dit, ou vostre Iustice me condemnera, ou ie n’auray obligation de ma vie qu’à vostre misericorde. Il est vray que c’est à la derniere que i’addresse mes vœux. Que c’est d’elle de qui i’espere mon repos, & que c’est par elle qu’vn iour apprenant des actions de Lidias comme vous le deuez traitter, vous ferez par vne insensible voye passer de luy en moy cette Amour qui vous rend la merueille de toutes celles qui ont iamais aimé. Vous me faittes mauuais visage, vous tournez la teste, & si la bienseance ne vous le defendoit, vous boucheriez les oreilles de peur de m’escouter, mais ce supplice est trop leger si vous [307/308] auez enuie de vous vanger.[307/308] auez enuie de vous vanger. Dittes moy. Va, importun Lipandas, deliurer Mellandre de tes fascheux langages. Cesse de la traitter en tyran, & s’il est vray que tu l’aimes, donne tout ton sang pour les gouttes de celuy qu’au tresfois tu luy as fait respandre. Vous pleurez, Madame, est-ce du despit de me veoir encor en vie? Est-ce de regret d’aimes un desloyal? Mais n’est-ce point, comme ie le desire, de la pitié que vous avez de veoir combien ie me repents de vous auoir, contre mes sentiments, indignement traitee? Si cela est, Madame, essuyez vos larmes & laissez-moy ces monstres à combattre. I’en ay desia deffait une grande partie. Ie sçauray bien purger mon Amour de ce qui reste. Ayez donc agreable de rayer des iours de ma vie, ceux que ie n’ay point employez à vostre seruice. Commencez à cognoistre Lipandas du iour que vous estes sortie de ses prisons. Et si depuis ce temps là il a fait quelque action qui demente l’estime, qu’il vous supplie treshumblement de faire de son Amour, ne cessez de luy reprocher vostre sang respandu, vostre prison si longue & si cruelle: sa foy pariuree, & son inhumain traittement. Vous me direz que vous aimant contre vostre intention, i’ay commencé de me declarer vostre ennemy, quand ie me vante d’auoir cessé de l’estre. Mais c’est à cette grande Nymphe à iuger si la plainte que vous en faites est iuste: & si ce ne me seroit pas un crime irremissible de ne vous estre point desobeïssant. Cepen [308/309] dant, s’il vous plaist, de me faire l’honneur de peser les raisons qui sont pour soustenir la cause d’une veritable Amour, vous aduouerez que tout vous parle pour moy, & que ie ne m’en sers que pour n’estre redeuable de mon salut qu’ à vostre seule bonté. le n’aurois plus rien à vous dire, s’il n’estoit à propos de vous faire une protestation qui sembleroit, peut-estre un attentat contre mes serments, ou une simple obeïssance aux commandements de cette grande Nymphe, si ie ne la faisois qu’apres son iugement. Protestation, dis-je, par laquelle, au peril de ma vie, ie m’engage à ne cesser iamais de vous adorer, demeurer ferme en la volonté que i’ay de vous seruir, & receuant auec benediction vos rigueurs, vos mespris, & tout ce que la colere ou l’injuste amour de Lydias vous pourront faire inuenter contre moy, acheuer l’ouurage glorieux que i’esleue en vostre nom, & en l’entreprise duquel i’ay pour ayde & pour compagnon celuy-mesme que vous recognoissez pour le plus grand des Dieux.

Lipandas ayant ainsi finy, tesmoigna combien grande estoit son amour: mais ce qu’il fit apres en donna bien encor de plus certaines preuucs; car comme si en faisant ceste protestation il eust recueilly tous ses sens, & toute son ame sur le bord de ses levres, pour leur faire à tous ratifier ce qu’il promettoit si solemnellement, & passer iusques dans le cœur de Melandre, pour y prendre la place qu’y tenoit injustement Lydias. Il demeura froid [309/310] & pasle comme un mort, & s’esuanoüit auec un si grand transport hors de soy, que Melandre mesme fut contrainte, aussi bien que les trois Nymphes, de mettre la main pour le secourir. Long temps apres il reuint: mais si foible & si changé, que Galathee cognut qu’il n’estoit pas capable d’entendre ce qu’elle auoit à luy dire. Elle parla quelque temps à l’oreille de Melandre, & tesmoignoit qu’elle parloit auec affection: mais Lipandas estant bien remis, & d’ailleurs voyant que l’heure pressoit, elle se tourna vers Lydias, Lipandas, & retenant Melandre par la main, parla de ceste forte.

CONSEIL DE GALATEE 

Si les differents qui naissent en Amour, estoient de la nature de ceux qui arriuent dans les affaires du monde, ie me promets assez le mes soins & de mon esprit, pour croire que ie pourrois terminer les vostres auec justice. Mais puisque iusques icy personne n’a fait des loix pour reigler les querelles des Amans, & que la Raison a tousiours esté bannie, ou esclaue en l’Empire d’Amour, ie me contenteray de vous conseiller sur ce que vous auez à faire, & vous laisseray la liberté de vous iuger vous-mesmes ie sçay que l’expedient que ie vous propose, n’est pas celuy qui vous peut mettre en repos sur le champ, pource que difficilement vous accorderez vous, si vous n’y [310/311] estes forcez par un absolu pouuoir. Mais s’il est vray que vous ne trouuiez pas mon conseil conforme à vos sentimens, à plus forte raison auriez-vous resité à ce que ie vous ordonnerois par un iugement difinitif. Il faut donc que vous ouuriez les veux vous mesme, & que sans donner tout à vostre passion, vous pensiez enfin à vostre bien, & ne contreueniez plus à ce qui est raisonnable. Ie commenceray donc par vous, belle Melandre, & au lieu d’estre vostre Iuge, me faisant vostre Aduocate, diray qu’il n’y a forte d’obligations au monde, que Lydias n’ayt à vostre amitié: Que les peines que vous auez endurees, & les fortunes que vous auez couruës pour luy, font si extraordinaires, que les seruices de toute sa vie ne sont pas suffisans de satisfaire à la centiesme partie. Les choses qu’a faites pour vous Melandre, ô Lidias, sont de soy-mesme si merueilleuses, qu’elles font honte à celles que ces grands amis, dont l’antiquité nous parle auec estonnement, ont autrefois entreprises. Mais, outre cela, il y a des circonstances qui en rendent le prix beaucoup plus inestimable: C’est qu’une jeune & honneste fille abandonnant sa maison: &, s’il faut ainsi dire, abandonnant son propre naturel, a pris, les armes pour vous secourir, & s’est resoluë sans force & sans experience, de combattre un des plus hardis Cheualiers de son aage. Certes quand l’Amour ne seroit pas la cause de ces émerueillables effects, & par consequent n’en rendroit pas la recognoissance impossible, si est ce que vous m’aduourez que vostre honeur [311/312] & vostre vie, qui est tout ce que vous auez de cher, ne sont rien à comparaison de ce que vous voudriez hazarder pour vous reuancher. Voyez donc, Lidias, s’il est possible, ce que vostre imagination vous represente en faueur de Melandre: Pesez ses actions & ses trauaux, ne retranchez rien de vos ressentimens, de peur d’offencer ceux que vous deuez auoir pour Amerine. Tournez les yeux sur Melandre, non comme une fille amoureuse de Lidias: mais simplement sur une fille amoureuse: & jugeant vostre cause en une tierce personne, rendez la juftice à quiconque elle est deuë. Le discours que vous m’auez fait, ne me laisse aucune doute de vostre bon naturel: l’ay veu auec quelle admiration vous parlez des bons offices de Melandre, & auec quel desespoir vous tesmoignez qu’il vous est impossible de les recognoistre dignemen t: mais ce n’est pas assez, Lydias, il faut que vous ne vous contentiez pas d’esuiter le mal; vous deuez faire le bien, c’est à dire, que ie me plaindrois auec Melandre de vostre insensibilité, si vous vous croyez quitte pour n’estre point ingrat. Non, non, vous deuez seruir ceste belle fille plus utillement, & puis qu’Amerine vous empesche de disposer de vous, on ne doit point forcer la necessité: mais il faut, si vous estes capable de raison, que vous ne reposiez, iamais que Melandre ne sois contente, & n’aduoüe qu’elle n’a pas obligé un meschant. Quoy! Lydias, ce conseil vous faict changer de couleur? Ne vous troublez pas sans sujet: Ma proposition semble difficile d’abord, & [312/313] toutesfois elle l’est moins qu’elle ne paroist. Ayez la patience de m’escouter, & vous verrez si ie pense à vostre contentement. Ie retourne donc à vous, belle Melandre, & vous demande si Lydias a teu quelque chose de ce qu’il vous a promis ou reçeu de vous des faueurs plus particulieres que celles qu’il a dites? Melandre ayant respondu à la Nymphe que non, elle continua de ceste forte. Puis qu’il est aussi clair que le iour que par une imprudence de jeune homme, plustost que par un ferme propos d’Amát, Lidias vous tesmoigna qu’il estoit vostre seruiteur, & vous fustes assez malheureuse pour oüyr & croire ces cajolleries: croyez-moy, Melandre, vous ne serez iamais bien fondee de le poursuiure, pour vous faire tenir parole. Il n’estoit plus à luy quand il vous l’a donnee, & comme en cela il ne peut estre condemné, il le sera tousiours en la trahison qu’il vous a faite. Il dit pour sa iustification que iamais il n’eust pensé estre si puissant ou plustost si heureux de s’estre pû si facilement faire aymer, & qu’il ne quitta vostre maison, que de peur de vous engager trop auant en ceste infructueuse affection. Cela estant, belle Melandre: pleignez-vous de vostre naissance: pleignez-vous de la Fortune, pleignez-vous des Dieux: ils ont esté les instrumés de vostre malheur, autant ou plus que Lydias. Ils luy ont faict passer l’Occean, & l’ont jetté chez vous comme un coup de tonnerre, ou comme une gresle dót ils reduisent en poudre les maisons, & gastent les moissons de ceux qu’ils veulét affliger.[313/314] Receuez ceste dis-grace comme un coup du Ciel, & n’ayant pas moins de courage que ces pauures laboureurs, qui apres auoir sué sang & eau toute l’annee pour auoir dequoy viure, ne se desesperent pas, quoy qu’ils ne recueillent que de la paille au lieu de grain: monstrez que vous ne murmurez iamais injustement. Et en effect, vous seriez coupable, si vous ne voyez pas l’extrême Amour dont les Dieux ont voulu recompenser la vostre. Lipandas n’a esté vostre ennemy qu’autant qu’il ne vous a point cognuë. Son affection a pris naissance de vostre vertu: & s’il est vray que ces amitiez-là sont les seules qui sont eternelles. considerez les obligations que vous auez à ceux que vous auez tant accusez, puis qu’ils ne vous ont faict aymer Lydias, que pour faire esclatter vostre vertu, & par ces voyes extraordinaires, vous acquerir un Cheualier donc les amours sont veritablement extraordinaires. Mettez-vous donc entre l’une & l’autre de vos fortunes: mais comme un fer entre deux aimans d’egale force, & vous confesserez, que si la mauuaise a de puissans moyens pour vous faire tomber, que la bonne n’a pas moins de force pour vous soustenir. Faites ce que ie vay vous dire, discrette Melandre, & sans vous porter par mon aduis à rien de contraire à vos sens, iugez comme ils vous conseilletont. Voicy Lidias, regardez-le cóme il le doit estre. Representez-vous que c’est un ieune hóme, qui pour se diuertir est venu vous parler d’Amour sans en auoir: & vous a quittée aussi-tost qu’il a iugé que [314/315] vous estiez prise. Passez de ceste consideration à celle de l’auoir cherché par tout, auoir faict le Cheualier Errant pour luy, vous estre batuë, estre entree en prison pour l’en retirer, l’en retirer, l’auoit depuis suiuy iusques icy, & enfin vous supplier pour tout fruict de luy pardonner, si autrement que par une amitié de frere, il ne peut payer vostre Amour, vos trauaux, vos playes, vostre sang, & en un mot la fidelité de Melandre. De l’autre costé tournez les yeux sur Lipádas que voicy: mais il faut que vous vous le figuriez comme il estoit, lors qu’il eut appris que vous n’estiez pas un Cheualier; mais la vertueuse Melandre. Considerez son desespoir, cótez ses larmes & ses pleintes: pésez à la logueur de sa maladie, pésez ces chaisnes & ces fers qu’il mit sur luy pour vous auoir touchez, cóme autant de reliques de la vertu qu’il vouloit adorer toute sa vie. Ceste amour ne vous émeut elle point? Ie dis ceste Amour, qui n’ayát autre cause que vostre vertu, croist par elle, s’entretient par elle, & encore auiourd’huy ne cósidere qu’elle. Mais ce n’est pas tout, que direz-vous de ceste obeïssance dót il a rauy tout ce que nous sómes icy. Quoy! pour vous dóner ce contentemét de voir Lydias hors de danger: Ce Lydias, dis-je, qu’il deuoit haïr cóme riual se ietter du haut des murs de ceste ville dás les fossez, & s’y ietter pour executer vos cómandemens, mesme au prejudice de son repos. C’est ie ne sçay quoy, discrette Melandre, que iusques icy les hommes auoient ignoré. Voila la peinture de ces deux Cheualiers: jugez lequel vous doit estre le plus cher, [315/316] & donnez à la raison autant de credit en sa propre cause que vous eu voulez donner à l’Amour. Ie vous laisse mediter là dessus, belle & sage estrangere, cependant ie veux parler à Lydias pour la seconde fois, & luy conseiller pour sa gloire de trauailler pour vostre contentement. Oüy, Lydias, ie vous prie par le grand Taramis, de vous souuenir des obligations que vous auez à Melandre: le plus remarquable seruioe qu’elle doit attendre de vous, est de luy rendre ce que vous lui auez osté. Elle estoit heureuse auant qu’elle vous eust veu: faites qu’elle le soit encore apres. Ie çai qu’il ne depend pas absolument de vous, mais vous pouuez grandement auancer l`ouurage. Lipandas vous a sauué la vie, cela se peut dire sans vous offencer, rendez-lui la pareille. Faites que son amour ne soit pas vaine, & ne pouuant par vostre destinee estre possesseur de Melandre, essayez de vous l’acquerir par une tres-juste & tres desirable alliance: & ainsi ioignez deux Amans, dont la fortune aura long-temps esté semblable. On vous laisse vos affectiós inuiolables: Amerine qui a fait voir cóbien gráde peut estre l’amour d’une hóneste fille, seroit trop mal traittee, si vous pensiez auoir comme Amant des obligatiós à d’autres qu’à elle Sa vertu vous arreste. Sa constance vous doit faire fermer les yeux à Melandre, si ce n’est pour la seruir cóme vostre sœur. Et vous, parfaict & veritable Amát, quel conseil vous puis ie donner, que ie ne voye pratiqué en toutes vos actions passées? Il faut l’aduoüer Lipandas, vous n’estes non plus [316/317] coupable du mal que Melandre a receu de vostre espee, & dans vos prisons, qu’est la mer du naufrage que tous les iours y font tant de vaisseaux. Vous auez crû mal traitter vos ennemis, & non une fille, ou pour mieux dire, la Vertu sous la personne d’une fille: Mais par combien de penitences & de chastimens auez-vous expié une faute dont vous ne pouuez èstre accusé? Il est vray que si iusques icy vous eussiez faict moins que vous m’auez faict, & si vous-vous fussiez moins persecuté, non seulement ie me promettois de retrancher beaucoup de l’estime que ie fais de vostre affection: Mais ie ne croirois pas que la belle Melandre fust obligee absolument, comme elle l’est, d’en auoir du ressentiment. Poursuiuez, braue Cheualier, esperez en la justice des Dieux, & ne vous figurez pas qu’ils permettent que Melandre demeure long temps dans l’obstination d’aymer & hayr sans cause & sans iugement. Comme Galate eut ainsi parle, elle se teut, pour oüir ces Amans si fort opposez l’un à l’autre. Lidias fut le premier, qui par des remercimens & des actions de ioye incroïable luy fit voir combien ponctuellement il suiuroit son conseil. Lipandas, tout blessé qu’il estoit, se fit un tel effort, que l’excez de son contentement ne luy laissant des functions de la vie que celle de respirer, il fut un grand temps sans faire autre chose que monstrer l’infinité de sa ioye en ne l’exprimant point. La pauure desolee Melandre estoit celle qui ne trouuoit que des espines parmy tant de roses, & [317/318] des sujets de pleurer parmy ceux de se resiouïr qu’auoient ces deux Cheualiers Galatée alla aupres d’elle pour la consoler, & luy faire voir auec combien de raison elle euoit oublier Lydias; & aymer Lipandas le voy bien, luy respondit-elle, que ie deurois suiure vostre aduis, Madame: mais ie ne sçay quelle force plus grande que celle de la raison, m’entreine d’un autre costé. Ie me fais le mal que ie ne deoiois pas me faire, & ne me fais pas le bien que ie me puis faire. Non, Madame, ie consulte, depuis que vous parlez auec moy -mesme, pour ne rejetter pas un conseil salutaire comme le vostre.  Ie voy que ma passion (telle, helas! puis-je iustement nommer mon amitié) n’aura aucun bon succez: que Lidias est engagé ailleurs, & qu’il ne peut, sans ingratitude quitter Amerine, pour me seruir: mais tous ces pensers ne seruent qu’à me troubler. Les bons sont confondus aussi-tost qu’ils sont nez , & les autres que j’appelle mauuais, puis qu’ils entretiennent mes ennuis, sont suiuis plustost qu’ils ne sont deliberez. Il y a un expedient à tout ceci, grande Nimphe, un mal sans un remede ordinaire est tres aisément gueri par un extraordinaire. De toutes ces amantes que l’Antiquité nous represente si mal-heureuses & si desesperees, il n’y en a pas une que la mort n’ait guerie.  Ma condition n’est pas pire que la leur, ni la mort moins pitoiable aujourd’hui, qu’elle a tousiours esté  C’est à quoy ie me resous, c’est où mes vœux font tous recueillis. La Nimphe voiant le mal trop irrité, ne voulut pas l’empirer par les remedes. Bien, [318/319] bien, dit-elle, sage Melandre, ie vous donne huict iours pour y penser: mais à condition que sans vous porter aux extremitez vous consulterez toutes les nuits une heure auec vous-mesme, & quelquefois le iour auec moy. Comme Galatee lui eut faict promettre cela, elle prist congé d’elle, & des deux Cheualiers, qui ne la pouuans accompagner à cause de leuts plaies, l’accompagnerent au moins auec leurs benedictions, & leurs actions de graces iusques à la porte de leur chambre. Melandre la conduisit iusques hors du logis, & laissa ceste bonne compagnie en pleurant, Galatee la baisa, & lui promit de l’enuoier visiter par Leonide & Siluie. Ces deux filles sensibles par contagion aux ennuis de Melandre, lui promirent toute forte d’amitié, & l’aiant baisee, monterent auec Galatee dans son chariot, pour aller voir la seinte Alexis, au logis d’Adamas. Ce Druïde qui à toutes les heures du iour estoit occupé pour le salut de sa patrie, n’estoit point allé au Chasteau auec les autres: mais pour oüir chez Clindor un espie, qui dés le poinct du iour estant entré dans la ville, s’estoit desrobé tout seul. Ce rusé garçon, qui n’estoit iamais deux iours de mesme façon, tantost manchot, tantost borgne, tantost boiteux, & encore quelquefois pis, lui aprit la resolution que Polemas auoit prise d’assieger tout de bon la ville, & attendre, sans faire donner aucun assaut le grand secours qu’Alerante lui auoit promis au nom du Roy des Bourguignons. Adamas veid que toutes choses confirmoient l’Oracle qui leur auoit esté enuoyé, & en [319/320] ayant donné aduis à Clindor, le pria de se trouuer le soir au Chasteau, pour en parler ensemble à la Nymphe: & emmenant l’espie auec luy, s’en alla en sa maison. Il ne faisoit presque que d’y entrer, lors que le traistre Meroute, qui auoit oüy quelque chose de la resolution qui auoit esté prise de fouiller toutes les maisons suspectes, se presenta deuant luy, & auec la mine d’un tres-fidele seruiteur d’Amasis, luy dit, que depuis deux iours il auoit oüy un fort grád bruit en quelqu’unes des maisós de sa ruë, & que ne se faisant que depuis unze heures du soir, iusqu’à quatre heures du matin, il n’y auoit point apparence, que ce fust pour un bon dessein. Adamas voyant l’affection que ce traistre tesmoignoit par ce rapport, le considera fort long temps, & ne remarquant rien en luy qui le pûst faire soubçonner, le remercia particulierement, & luy promettant de representer sa fidelité au Prince & aux Nymphes, le fit entrer en son cabinet. Comme il y fut, le grand Druïde s’informa de luy comme quoy il auoit ouy ce bruit, & ce qu’il en pensoit? Ie vous diray, luy respondit Meronte, qu’estant dans une caue fort basse que i’ay la nuict du premier assaut, j’oüis (assez loin toutefois) remuer des pelles & des pics, & incontinent apres fousiler & creuser en terre. A ceste heure de vous dire ce que ce peut estre, c’est, grand Druïde, une chose qui passe mon esprit: Mais si ie dois croire la petite cognoissance que i’ay des affaires de guerre, pour m’estre trouué en beaucoup d’occasions depuis [320/321] depuis que nos voisins ont les armes a la main, ie me figure que ce pourroit bien estre quelqu’un qui gaigné par les promesses de nostre ennemy, ou de tout temps son seruiteur, auroit entrepris de faire une mine, & la conduisant dessus les fossez de la ville, auec l’ayde des gens de Polemas, le faire entrer par là, & luy mettre entre les mains nos vies, nos libertez, nos biens, nos femmes & nos enfans. Adamas se souuenant lors de l’Oracle qui luy auoit esté enuoyé comme du Ciel, & le confirmant par les conjectures de Meronte, fit mine que cela n’estoit pas faisable: toutefois embrassant ce meschant homme, & le conjurant s’il oyoit recommencer ce bruict de l’en aduertir à l’heure mesme, afin que tous ensemble ils peussent y mettre ordre, le renuoya auec protestation que la Nymphe luy feroit sentir combien utilement trauaillent pour leurs fortunes ceux qui luy sont fideles. L’artificieux Merotne prit congé du Druïde, & promit de luy obeir en cela, aussi bien qu’en toute autre chose. Adamas ayant refué long-temps sur cet aduis; O grand Taramis, dit – il, si vous ne ioignez vos forces aux nostres, & à l’aduertissement que vous nous donnez de nostre perte, n’adjoustez la prudence de l’empescher, que ie preuoy de desolations, de meurtres, & de sang respandu dans ceste mal-heureuse Prouince! Comme il eut dit cela, il prit courage, & se promettant que Hesus le fort ne l’abandonneroit point en sa necessiteé, fut voir comme Celadon s’estoit gouuerné en son absence. Il troubla une [321/322] extrême joye: car Astree qui l’estoit venu voir il y auoit plus de deux heures, ne cessoit de luy representer sa passion, luy faire voir combien grandes auoient esté les apprehensions qu’elle auoit eues pour elle, & l’asseurer que si les ennemis eussent esté si cruels que de la faire mourir, qu’elle n’eust pas vescu une heure apres. Celadon luy auoit respondu selon l’excez incroyable de son Amour: mais de son Amour trop discrette & trop cachee. Aussi-tost que le Druide entra, Astree se leua, & allant au deuant de luy, luy demanda pardon de la hardiesse quelle auoit prise de venir troubler le repos de la belle Alexis. Ma belle fille, luy dit le Druide, vous ne sçauriez plus obliger le pere & la fille, que de vous en fouuenir, & par vos visites consoler ceste Druide, qui n’a pû s’exempter, non plus que vous de la meschanceté des hommes. Astree vouloit respondre au Druide lors qu’elle en fut diuertie, par l’arriuee des trois Nymphes, qui sortans du logis de Ligdamon, estoient venuës à celuy d’Adamas. Le grand Druïde fut receuoir Galatee, & luy faisant voir par ses subroissions & ses paroles, auec quel ressentiment il receuoit l’honneur d’estre visité par sa Dame, luy dit, que luy & sa fille ne deuoient faire toute leur vie autre chose que deprier Dieu pour sa gloire, & le repos de son Estat, en recognoissance des faueurs qu’ils receuoient d’elle. Mon Pere, respondit Galatee, vous n’estes point en doute de ce qu’Amafis & moy voudrions faire pour vostre seruice. Nous vous auons [322/323] de tres-grandes obligations, & les soins que iour & nuict vous prenez pour nous, vont bien au delà de tout ce que nous pouuons faire pour vous en reuanche  Mais ce discours n’est pas pour ceste heure: Ie viens seulement icy rendre à ceste belle & vaillante Druïde les premiers tesmoignages de mon amitié, & la conjurer de ne me pas refuser celle que ie luy demande. Celadon auoit tellement paly en voyant Galatee, au souuenir des choses passees, qu’il representoit fort bien le personnage d’une fille malade. Galatee s’approcha d’elle, & l’y voyant ceste extrême blancheur que la crainte luy auoit laissee sur le visage. Hé quoy! Iuy dit-elle en la baisant, est-ce vous qui hier, l’espee à la mais, auez, à ce que l’on m’a dit, fait teste à tous nos ennemis, & tué cinq ou six des leurs? Celadon parlant le plus bas qu’il pouuoit: Non, Madame, ce n’est point moy qui ay faict toutes ces choses, luy dit-il, ie suis trop foible, & trop peu courageuse pour en venir là: mais Hesus le fort qui a deffaict des armees, à ce qu’on m’a appris aux Camutes, quelquefois auec le bras d’un enfant, & quelquefois auec un vent, m’a tenu la main, & se seruant de l’espee que Semire m’auoit baillee, pour faire voir sa puissance, a tué ceux qui le vouloient empescher de se faire voir tel qu’il est. Galatee reprenant la parole: Ie n’ay garde de croire que vous ayez sans miracle pû souffrir de si grands efforts, dit- elle, & combattu auec tant de courage: Aussi est-ce ce qui m’estonne dauantage, de voir une fille si [323/324] chere aux Dieux,que visiblement ils ayent voulu se seruir d’elle pour nous secourir. Celadon, pour la confirmer en son opinion, luy repartit ainsi: Quand ie n’aurois point esté si heureuse que d’auoir seruy à Dieu, pour se declarer contre la rebellion & la perfidie, toutesfois vostre cause est si iuste, Madame, que se defendant de soy-mesme, plutost que par les forces d’autruy, elle donne du courage à ceux qui n’en ont point: & ne met personne dans le peril que pour l’en retirer plein d’honneur & d’immortalité. Encore que ie croye aussi bien que vous, discrette Alexis, luy dit Galatee, que sans vanité nous pouuons estimer iuste la cause que nous soustenons, si est-ce que ie n’ose en auoir si bonne opinion que vous. Mais ie veux changer de propos, & sçachant que ce seroit tenter l’impossible que de vouloir combattre de courtoisie contre Alexis, aussi bien que contre só pere, ie me contenteray de le ressentir. Dites moy donc, belle Druïde, comme vous-vous portez, & ce que nous deuons attendre de vos blesseures ? Madame, luy respondit Celadon, ie me porte assez bien, & si c’estoit un de ses hardis Cheualiers de vostre Cour qui fust blessé comme ie fuis, il n’en garderoit pas seulement la chambre. I’ay, à la vérité, une blesseure à l’espaule: mais si legere, que ma condition seule la rend considerable  Ie ne sçay, reprit Galatee, s’il y a moins de valeur aux langages que vous tenez, qu’aux merueilles que vous auez faites: C’est pourquoy ie rougis de honte de vous faire une question, qui me semble toutesfois digne [324/325] d’estre sceuë entre des filles: c’est que vous m’apreniez comme quoy vous pûstes vous resoudre à prendre une espee, & ce qui m’estonne encore plus, vous en seruir contre vos ennemis, sans que la frayeur de voir tant de traicts tirez sur vous, & tant d’armes baissees pour vous tuer, ne vous fist tomber l’espee de la main? Madame, quand vous considererez, continua Celadon, ce que i’ay eu l’honneur de vous dire de la puissance de Dieu, vous cesserez d’admirer ce que i’ay faict: toutesfois pour respondre humainement à ce qu’il vous plaist sçauoir de moy: l’aduouë que ie n’allay point au combat comme les Histoires nous apprennent qu’y vont tous les iours ces vaillans Capitaines. Car ie fus si transportee de me veoir dans le peril, que prenant 1’espee & le bouclier, que me presenta Semire, sans sçauoir ce que ie faisoy, ie suiuis ceux qui estoient auec moy, & me deffendant au hazard, au hazard aussi ie frappois. Et si i’ay tué quelqu’un, cela est arriué de mesme. Si Leonide n’eust esté de la partie auec Adamas, pour cacher la feinte Alexis, elle eust pû dire des choses ausquelles il n’y eust point eu de responce: Mais ne voulant ny esclaircir l’affaire, ny laisser dauantage Galatee en ceste humeur d’interroger Celadon, luy dit: vrayment, Madame, vous estimez bien moins Leonide qu’Alexis, puis que ne pouuant vous oster de l’estonnement où vous mettent cinq ou six coups d’espee qu’à donnez ceste Druïde, vous n’en auez, point eu du tout pour-ce que i’ay fait en me fauuant des mains de Polemas & des [326] siens. A n’en point mentir, reprit Galatee en sous-riant, vous auez raison Leonide, ce que vous auez fait tesmoigne que vous estes vaillante: Mais il y a ceste difference entre vostre consine & vous, que l’une est sortie du peril en fuyant, & quittant iusqu’à sa chemise pour se sauuer: & l’autre en tuant ceux qui l’attaquoient, & ne laschant le pied que quand le secours de la ville a obligé Alexis & ses compagnons à se retirer auec aduantage. Me voila payee, dit Leonide: A vostre conte, Madame, ie n’ay paru vaillante que pource que ie ne l’estois point: & n’estimez-vous courageux que celuy qui attend l’ennemy de sang froid, & de pied ferme? Leonide, ce n’est pas nostre question luy respondit la Nymphe, contentez-vous que vostre valeur consiste à fuir, comme celle d’Alexis est à combatre, & à vaincre. Ie me tairay donc puis qu’ainsi est, reprit Leonide, & attendray qu’il faille fuïr pour me faire estimer. Cependant Galatee ne detournoit point les yeux de dessus Celadon , si ce n’estoit pour regarder Astree: Et pource que depuis qu’elle l’auoit salueé en entrant, elle ne luy auoit dit mot, elle se mit à luy faire diuerses demandes, & la trouuant tres-sage, & aussi iudicieuse qu’elle estoit belle: II faut aduoüer, luy dit-elle, que ie ne m’estonne plus de l’extresme amitié qui est, comme m’a dit Leonide, entre Alexis & vous: car apres vous auoir long-temps considerees l’une & l’autre, ie n’y trouue autre difference que ceste extraordinaire valeur, qui semble estre reseruee toute [326/327] entiere pour ceste Druide. Mais dites-moy, ie vous prie, quand vous fustes prise auec les habillemens d’Alexis, & que pour telle vous-vous vistes condemnee à mourir, eustes- vous le mesme courage que ceste fille tesmoigna pour se defendre, & vous donner loisir de vous sauuer? I’aduoüe, Madame, respondit Astree, qu’il semble que la valeur ait esté reseruee pour Alexis, aussi bien que la beauté: Toutesfois elle trouuera bon, s’il luy plaist, que luy en disputant une petite partie, pour ne vous point cacher la vérité, ie die que i’auois une telle enuie de mourir pour la mettre hors de danger, que i’eusse voulu estre capable de mourir deux fois, afin que la cruauté de Polemas pouuant estre assouuie pour moy seule, elle eust laissé la belle Alexis en liberté. Celadon croyant qu’il y alloit de son Amour de ne taire point la vertu d’Astree. Si vous sçauiez, Madame, dit-il à Galatee, l’excez de courage auec lequel ceste belle Bergere a desiré la mort, & estonné l’esprit du barbare Polemas, vous auoüeriez que ma valeur n’est pas si merueilleuse que vous auez agreable de la croire. Elle alla volontairement à la mort, & deuant qu’elle y fust condemnee, soustint si hardiment qu’elle estoit Alexis, qu’il fut hors de ma puissance de me pouuoir faire prendre pour celle que i’estois. Et de faict, Polemas ne sçachant qu’en penser, se resolut de nous faire mourir toutes deux, aymant mieux enueloper Astree auec Alexis, c’est à dire auec moy qu’il croyoit coupable pour mon pere, que de ne se pas venger. Galatee [328/328] demeurant confuse de tant de merueilles, fut plus d’une demie heure qu’elle laissa tousiours parler Celadon, Astree, Adamas, Leonide & Syluie, sans faire autre œuure que regarder Celadon; non pas comme Alexis, mais comme Celadon, & quelquefois Astree comme la plus heureuese fille, si elle cognoissoit son bien, qui eust esté iamais sur la terre. La nuict surprit Galatee en ceste meditation: Mais Adamas qui vouloit aller au Chasteau trouuer Amasis, & le Prince Clidamant, la reueilla: (car on peut dire que quand il la retira de ses pensees, elle estoit plus hors de soy que si effectiuement elle eust esté endormie.) Mon Pere, dit-elle à Adamas, allons nous-en, puisque vous auez si haste. Pardonnez moy, s’il vous plaist, Madame luy respondit le Druïde, ie n’ay point de haste, & ne suis pas assez indiscret, pour ne vous garder pas en tout le respect qui vous est deu. Mais, mon Pere, reprit Galatee, pardonnez moy vous-mesme: car i’estois si réveuse quand vous m’auez dit qu’il estoit nuict, que ie n’ay pas pensé à ce que ie vous ay respondu. Elle se leua à ce mot, & alla baiser Celadon, estant bien ayse de se donner ce contentement, vray ou faux: Et faisant de mesme à Astree, eut patience pour s’en aller, que Leonide & Siluie eussent faict leurs complimens à leur tour. Elles la suiuirent toutefois aussi-tost, & s’en retournerent auec Adamas au Chasteau. La Princesse Rosanire, Dorinde, Madonte, Daphnide, & plusieurs au [328/329] tres Dames, estoient ensemble, qui estoient en peine de Galatee: mais comme elles la virent, elles se leuerent pour luy faire leur plainte: & s,’estans baisees, se mirent à luy dire, à quoy elles auoient passé l’aspresdinee Galathee qui vouloit paroistre tousiours obligeante, leur dit qu’elle venoit de chasser pour elles, & qu’elle auoit pris une chose excellente. Là dessus elles s’allerent mettre à table, & les tables ostees, elles se mirent toutes ensemble auec plusieurs Cheualiers pour ouyr le raport de la chasse de Galathee. Elles les entretint trois heures durant des aduantures de Lidias, de Lipandas, d’Amerine, de Mellandre, & de Ligdamon, qui estoit le meilleur du conte: mais sans parler de Syluie, afin que personne ne tournast les yeux sur elle. Elle continüa par la valeur d’Alexis, & le combat à qui mouroit l’une pour l’autre, qui auoit esté entr’elle, & Astree. Cependant Amasis, le nouueau Clidamant, Adamas, Damon, Alcidon, & Clindor, comme Capitaine de la ville tinrent Conseil sur ce que Meronte auoit rapporté au Druïde. Quand tout le monde eut parlé, Clindor prist la parole, & dit cecy. Il faut, s’il vous plaist, Madame, & vous mon Prince, qu’apres vous auoir ouys parler sur ce que vous viét de dire le grand Druïde vous me pardonniez si en ce qui est de Meronte, i’ay toute une autre opinion que vous. Ie cognoy de longuemain cet homme, & sçay qu’outre la hardiesse dont il a tousiours esté plein, c’à esté le plus artificieux, le moins fidelle, & plus grand brouillon [329/330] qui fut en cette ville. De vous dire s’il est amy de Polemas, c’est ce que ie ne iuge point. Mais ie sçay qu’il n’est point si fort affectionné au bon party, qu’il ne soit homme à se laisser corrompre pour peu de chose. Le passé me fait iuger du present, & m’asseure de l’aduenir. Croyez moy, s’il vous plaist: allez auec luy bride en main, & ne vous y fiez que sur bon gage. Adamas estant obligé de respondre, dit qu’à la vérité Meronte d’abbord l’auoit estonné de sa franchise apres auoir ouy dire à tout le monde qu’il ne sçauoit  ce que c’estoit, toutesfois que s’il n’y eust esté à la bonne foy, il n’y auoit point d’apparence que pour se faire de feste il fut venu inuenter cette fourbe. Apres un nombre infiny de responces & de repliques, il fut resolu que si Meronte ne faisoit ouyr au Druide ce qu’il luy auoit promis, on se saisiroit de sa personne, & luy presentant la question, tireroiton de luy, les raisons de sa fausse nouuelle. Le Conseil s’estant separé auec ces resolutions, Adamas prit congé d’Amasis & de Clidamant, & sans autre compagnie qu’un valet, s’en retourna chez luy au petit pas. Il estoit toute nuict, & la Lune qui estoit en decours augmentoit tellement l’obscurité que tout ce que pouuoit faire le Druide, estoit de se conduire. Il ne faisoit que d’entrer en sa ruë quand il ouyt deux hómes qui y estoient arrestez & parloient auec affection Il s’arresta pour escouter, & en cela faisant ce que doit faire un hóme entre les mains de qui on remet la vie & la conseruation des autres, crût non seulemét qu’il estoit obligé [330/331] de se seruir de toutes fortes de personnes: mais de soubçonner tout, afin de ne pounoir estre surpris. Il entendit donc qu’un rehaussant sa voix parla de cette forte: Vous cognoissez mal l’humeur des grands: tout ce que nous sommes qui mesprisons nostre vie pour leur deffence, receurons en fin une recompése digne de nos sottises. Croyez-moy Sentorix, quelque affection que nous apportions à leur seruice, & quelque excez de fidelité que nous fassions veoir en leurs interests, il se mocquent de nous, & pensent nous auoir trop payez quád ils nous presentent les occasions de les seruir. Cela estoit bon du temps que le merite & la vertu auoient quelque forte de credit: mais auiourd’huy que les intrigues, & les considerations, la faueur sont les seuls degrez pour paruenir aux honneurs, on ne fait cas d’homme du monde s’il ne sçait estre effronté, fourbe, menteur, & porté à faire une mauuaise action aussi gayement qu’une bonne. Ie vous conseille donc de viure clos & couuert, ne quitter iamais le bon party, mais ne vous y eschauffer pas dauantage que ceux qui y ont le principal interest, & ne reculer pour chose du monde aux occasions où l’honneur qu’il y a à y acquerir, tient lieu de toute autre recompense. Ce discours finy, celuy auquel il se faisoit respondit ainsi: Vous parlez comme un parfaittement bon Philosophe à qui l’une & l’autre fortune est indifferente, & qui ne voyant rien au dessus ny au dessous de soy, cherche son repos en soy-mesme, & ne parle du monde, que cóme fait un passager [331/332] d’un vaissau duquel il n’a plus que faire, aussitost qu’il a mis pied à terre. Mais moy ie veux que les vertus morales ne soient estimees qu’autant qu’elles nous conduisent aux heroïques  Ie ne me soucie, que de mon deuoir, c’est à dire, ie n’ay pour obiect de mes actions que la gloire & la raison. Ce qu’il faut que ie fasse pour moy ie me tiens obligé de le faire pour mon ennemy mesme: & sans penser si ce que j’entreprends sera cognu de quelqu’un, ou ignoré de tout le monde, ie ne laisse iamais une bonne action à faire, aussi bien dans les deserts que deuant tout un peuple. Ce n’est pas que ie vueille vous engager dans le peril, si vous n’en auez la volonté: mais pour moy & pour ceux que ie viens de vous nommer, il est sans doute, que nous executerons ce que nous auons entrepris, & ferons veoir qu’il se peut truouuer un Sceuola dans Marcilly, aussi bien que dans Rome. Adamas demeuroit attentif pour ouyr la cótinuation de ce discours: mais il fut bien trompé, pource que ces deux hommes s’en allans sans parler dauantage, il fut contraint d’acheuer son voyage, sans pouuoir s’esclaircir de la doure, où le mettoit, ce mot de Sceuola. Comme il fut chez luy, il monta droit où estoit Celadon, & luy tesmoignant la ioye qu’il auoit de le veoir en estat d’estre bien-tost guery, luy demanda s’il auoit bien ioüé son personnage. Mon pere, luy respondit Celadon, ie le ioüe trop bien pour mon repos: car il faut que vous sçachiez que depuis que ie suis auec Astree, caché sous les habillemens & le nom d’Alexis, comme si ses yeux [332/333] & sa memoire eussent essayé de cótribuer à mon artifice, elle ne s’est pas mesme imaginé que ie pûsse estre autre que vostre fille. Pour auiourd’huy i’ay fait tout ce que i’ay voulu, & bien que Galathee m’ait tesmoigné ie ne sçay quelle curiosité de sçauoir qui i’estois, & par consquent qu’elle met en doute mon visage, mó habillement, & mó nó, si est-ce que ie l’ay tellemét preuenuë de la toute puissáce des Dieux, qu’elle s’en est allée en opinion, que i’estois la plus vaillante de toutes les filles du móde. Mais mó pere iusqu’à quand durera ce cruel bannissemét, qui non seulement m’este le bó heur que i’ay entre les mains: mais semble par une nouueauté qui ne peut-estre creuë, m’esloigner & m’arracher de moy-mesme? Celadon, luy repliqua le Druïde, n’acheuez pas mal ce que vous auez prarfaittemét bien cómencé. Vous estes à la veille de vostre repos, ne le perdez pas en le voulant precipiter. La raison n’est pas la seule chose qui vous y conuie. Nos guerres, le siege de cette ville, & les troubles où sont tous vos amis, ne vous permettent pas d’este le seul heureux parmy le mal-heur general des vostres, & de rire pendant que tout le reste pleure. Attendez donc encore un peu, & continuant vostre vie de fille, remettez à triompher de vos ennemis lors que nous triompherons de Polemas, & de la rebellion des Segusiens & des traistres du Forests. Adamas eust passé outre si un des siens ne le fust venu querir de la part de Meronte. Il donna le bon soir à Celadon & fut dans une de les sales où ce Fourbe l’attendoit. Seigneur, luy dit [333/334] il en l’abordant, ie viens m’acquitter de ma promesse, & il ne tiendra qu’à vous que ie ne satisfasse à ce que vous auez desiré de moy. II y a plus d’une heure que ces gens trauaillent, & que ie suis aux escouttes pour cognoistre d’où peut venir ce grand bruit. Adamas ayant le deffaut comme fatallement attaché aux gens de bien, qui est de iuger d’autruy par soy-mesme, print pour franchise la desloyauté de Meronte, & luy faisant veoir combien grande seroit la recompense de sa fidelité, le suiuit accompagné ds deux ingenieurs seulement, & de trois ou quatre valets. Le traistre se desesperoit de veoir ces gens auec Adamas, mais n’osant le faite paroistre fut forcé d’approuuer tout ce que deliberoit le grand Druide, & pour faire le bon valet, adiouster quelques inuentions nouuelles à celles qui estoient proposees. En fin les voila arriuez en ce logis detestable par où deuoit estre liuré Marcilly à la rage de ses ennemis, & cependant qui en cette occasion auoit l’apparence d’un des plus forts bouleuarts & des plus inexpugnables dessences de la ville. Les ingenieurs qui sont des sots, ou ne se fient iamais aux oreilles ny aux yeux d’autruy, prirent chacun un flambeau à main, & marcherent les premiers par tout. Ils commencerent d’ouyr le bruit dés l’entrée du degré de la caue: & l’un comme prophete: mais prophete qui ne deuoit point estre crû, dit qu’infailliblement le bruit se saisoit dás le logis mesme où li estoit, Meronte eust esté descouuert sans l’obscurité, qui ce coup là fut sans doute complice de sa [334/335] trahison, pour ce qu’elle empescha qu’on ne se veist changer de couleur. Il se remit toutesfois sur le champ, & sans se hausser ny se baisser. Ie serois bien trompé, dit-il à l’ingenieur si vostre infailliblement estoit infaillible: Mais, sage Druide, dit il, se tournant vers Adamas, descendons,s’il vous plaist, & voyons si ie pourrois bien m’estre abusé. Adamas qui se fust defié de soy-mesme aussi tost que de Meronte le suiuit auec ses Ingenieurs, & comme ils furent au fonds de la caue, ils ouyrét le bruit qui se faisoit, à ce qu’on pouuoit coniecturer, assez loin d’eux. L’ingenieur cognût sa faute, & en demanda pardon à Meronte, qui faisant je rieur, luy dit que cette excuse estoit superfluë, & qu’il ne pouuoit estre condéné de faire sa charge auec soupçon. Apres auoir esté pres d’une heure dás la caue chacun donnant son aduis sur ce bruit, il fut cóclud qu’il se faisoit en la deuxiesme, ou 3. maison à main droitte apres celle de Meróte, & cela estoit vray. Car Meróte auoit depuis peu loüé une maison, ioignant la sienne où il alloit sans passer par la ruë, & bien qu’il y eust du móde logé, si est-ce que les locataires estás attachez à fa fortune, & à son party estoient les instruments dont il se seruoit pour tromper tout le monde. Ce n’est pas qu’il voulust conduire sa mine par ce logis voisin: car il auoit deliberé auec Polemas qu’il en feroit l’ouuerture dans sa caue basse, mais c’estoit pour esblouïr les yeux & le iugement d’Adamas, qui par ce moyen ne le pourroit descouurir, quelque exacte qu’apres [335/336] peust estre la recherche de toutes les maisons, que le iour mesme il auoit resolue auec Amasis & Clidamant. Ce bruit fit sur le champ prendre resolution au Druïde d’aller dés le lendemain fouiller par tout soubs ombre de chercher un espie, & l’obligea en sortant de chez Metonte de l’asseurer que la Nymphe sçauroit luy rendre la pareille d’un seruice si important. Qu’il n’y auoit charge qu’il ne dût esperer d’elle: & pour luy qu’il luy iuroit par sa dignité en consideration de laquelle tous sermets sont inuiolables: Qu’il croiroit auoir esté tres ingrattement traicté, si Amasis apres cette bonne action differoit de le recompenser. Meronte auec la mine & la parole d’un homme qui n’auroit autre obiect en tout que la raison & la vertu, remercia tres-humblement le Druïde, & luy protcsta tout haut, que l’honneur d’auoir seruy ceux que Dieu luy donnoit pour le gouuerner, luy estoit une recompense qu’il preferoit à toutes les autres. Adamas l’embrassa là dessus, & la nuit estant desia fort auancee: il s’en retourna chez luy auec les siens. Il se mit au lit, mais refuant à Meronte, & parmy un nombre infni de loüanges qu’il luy donnoit en luy mesme, ne luy estant arriué qu’une seule fois de penser aux soupçons de Clindor, passa toute la nuit; sans dormir, & pour auoir trop de soin du salut, & du repos des autres, oublioit ses affaires, mesprisoit sa santé, & couroit à toute heure fortune de la vie.

Fin du troisieme Livre.