L’ASTREE,
DE MESSIRE D’VRFÉ
Marquis de Veromé,
Comte deChasteau-neuf,
Baron de Chasteau-morand,
Cheualier de L’Ordre de Sauoye. [17]
AVX PRINCES,
ET
AVX SEIGNEVRS,
de L’Academie des parfaits Amants.
Trovvez bon, s’il vous plaist, que ie suiue vostre intention, & comme si ie vous mescognoissois sous vos habits de Bergers, ie ne fasse aucune difference entre les Gentils-hommes & les Princes: entre les subjets & les Roys. Ie sçay que le siecle n’approuuera pas la permission que ie vous de-[/]mande: & que la Fortune, qui seule fait en terre les distinctions que le merite fait au Ciel, voudra que ma priere soit punie comme vn attentat contre son auctorité. A n’en mentir point, ie deurois non seulement estre plus complaisant à la corruption generale des esprits, mais n’affecter pas la vanité de triompher en ma seruitude, puisque la Vertu elle-mesme, faute de Sceptres & de Couronnes, n’a iusqu’à cette heure paru deuant ceux qui les portent, que le genoüil en terre, & la crainte sur le visage. Toutesfois voyant que c’est par vous que cette innocente opprimee commence à regner sur ses ennemis, & que vous l’auez retiree de la solitude des Philosophes, pour la faire [/] asseoir dans le throne des Souverains: Ie me figure que vous auez le courage assez genereux pour voir sans jalousie, qu’elle oblige d’vne partie de ses faveurs, ceux auec lesquels vous auez voulu partager l’honneur de la seruir. Ie parle donc à tout ce que vous estes, comme à ces Sages, qui apres auoir esté si long-temps enseuelis sous les ruïnes de la Grece, ont voulu resusciter en Alemagne, & m’assurant que l’inegalité des conditions n’est pas moins incognuë en vostre compagnie, qu’elle estoit en la leur, ose me promettre que ma liberté ne donnera sujet ny aux vns de se croire mesprisez, ny aux autres de se croire loüez mal à propos. Mais quand en cela ie n’aurois point [/] failly, ie ne laisse pas de faillir en ne vous gardant pas tout le respect qui vos est dû, & vous traittant auec aussi peu de ceremonie, que si pour auoir les affections que vous auez, i’auois vos qualitez & vos priuileges. Cependant si ie tourne les yeux sur le bien que vous nous faites, ie me repens point de ma hardiesse: & m’attache à cette maxime des fauoris, que c’est tesmoigner qu’on ne merite pas les bonnes graces de son Maistre, lors que l’on a peur de n’en pas vser auec assez de moderation. Croyez-moy, la constance de ceux qui ayment les lettres, seroit trop austere & trop scrupuleuse, si durant le triomphe de cette grande victoire que [/] vostre secours seul vient de leur faire gaigner contre les forces du reste de la terre, ils craignoient de sortir de leur ordinaire modestie, & n’abusoient pas vn peu de leur bonne fortune. Cette licence leur doit estre permise, & personne ne peut trouuer à redire en l’excez de leur joye, qui auparauant ne se soit affligé du bon succez de leurs affaires. Ceste Aduenture est de celles où l’on peut auec bien-sceance mourir de trop d’aise: & ie ne m’euerueille plus, si le grand Vrfé n’a gueres vescu apres les nouuelles que vous luy enuoyastes de son incomparable conqueste: puisque pour vne moins fameuse, cet excellent Capitaine Grec consuma tout ce qui luy restoit [/] de vie, pour ne se desrober rien des douceurs qu’il goustoit en sa victoire. Tous les bons esprits prennent trop de part en l’interest des lettres pour ne faire pas eclater leur ressentiment, & pour rendre leur resioüissance moins publique, que la honte de leurs ennemis. Il faut, il faut qu’ils cessent de parler bas, & que s’ils ne veulent estre ostez du nombre des vainqueurs, ils se declarent pour la Vertu, & ne trahissent plus la iustice de son party, par la lascheté de leur complaisance. Pour moy qui n’ay iamais flatté le vice, ny adoré la Fortune, i’auouë que bien à peine la declaration que vous faisiez pour la defence des Muses fut entre [/] mes mains, que l’estonnement qu’elle me donna fut tel, que ie n’en serois pas encore sorty, sans le vœu solemnel que ie fis lors, de n’oublier rien de tout ce qu’ont les belles paroles de rare & d’immortel, pour rendre vostre gloire aussi grande que vostre vertu. Me voicy donc qui ne voulant pas retarder l’accomplissement de mon vœu, pour augmenter le prix de mon Offrande, ose vous en presenter vne, qui ne peut vous estre desagreable, encore qu’elle soit extremement petite, puis qu’elle est de celles que mesme auec queque sorte de passion vous-vous estes particulierement reseruees. Ie pense bien que n’estant pas de la façon de cét excellent ou-[/]urier, qui vous faisoit receuoir les autres auec plaisir: vous n’aurez pas pour elle le mesme contentement, & par consequent la mesme affection. Toutesfois s’il est vray que l’inégalité du zele & non celle des victimes, fait les sacrifices plus ou moins fauorables, ie me promets que trouuvant en ma volonté tout ce que vous auiez recognû en celle de ce grand homme, vous ne vous arresterez point à la difference qui peut estre en la valeur de nos presens. C’est tousiours la mesme Astree qui se presente deuant vous auec le mesme desir de vous plaire, qu’elle a tousiours eu. Il est vray qu’elle a perdu ses ornements. Il est vray qu’elle n’a plus aupres d’elle ce-[/]ste incomparable main, qui sçauoit la parer auec auantage, & ne luy faire faire action qui n’eust bonne grace. Il est vray qu’elle ne veut plus qu’on luy parle de pierreries ny de perles. Enfin il est vray qu’elle est toute cachee dans les crespes & les voiles de son dueïl. Mais il est aussi tres-certain que plusieurs Dames ont des appas en l’art dont elles sçauent pleurer, & des charmes en leur dueïl, qui leur donnant d’extraordinaires puissances, ont reduit à la necessite de mourir pour elles, des hommes qui auparauant estoient demeurez auec la liberté de les aymer, ou ne les aymer pas. Dieu vueille que ma Bergere soit de ces heureuses affligees: & que par la grandeur de ses pro-[/]speritez, elle me conuie à regretter moins que ie ne fais la perte de son veritable pere, & la deplorable occasion qu’il m’a offerte d’acquerir le reste de la reputation qu’il a laissee au premier qui y pourroit paruenir. Si l’obstination à se persecuter soy mesme, où il sembles que ceste belle fille veut viure & mourir, eust pû estre surmontée par mes conseils, i’aurois essayé de vous la faire veoir moins triste & moins desolee. Mais cognoissant que les armes dont ie voulois combattre son ennuy, & les remedes dont ie voulois guerir son mal, faisoient vn effect tout contraire, i’ay crû qu’il falloit laisser faire le temps, & luy reseruer l’honneur de ceste [/] grande cure. Toutesfois si vous iugez qu’il y ait non seulement de l’iniustice en ce retardement, mais assez de force en mon esprit pour venir à bout du sein, ie changeray de resolution, & me feray des efforts ou visiblement vous remarquerez que les miracles que beaucoup d’autres ont faits par l’absolu pouuoir de leur vertu: ie les auray faits par l’incroyable passion que i’ay de vous seruir.[/]
AVX PRINCESSES,
Et
AVX DAMES,
de L’ACADEMIE des parfaits Amans.
Diev vueille que ie sois trompé, belles & illustres Bergeres, & que vous soyez vn peu moins delicates que ie ne vous estime. La faute que i’ay faite ne me fera pas si difficilement pardonnée. Ce n’est pas qu’à cosiderer les choses à la rigueur, & peler les interests de vos incomparables Bergers auec iustice: ie ne me [/] sois rendu idigne de toutes les excuses qui peuuent me iustifier. Ie deuois sçauoir qu’il est defendu à tout homme de separer ceux que le toute puissance d’vn Dieu, & d’vn Dieu redoutable comme l’Amour auoir resolu de tenir eternellement vnis. Il falloit que ie me proposasse ses loix si glorieusement establies, & si generalement receuës, comme des necessitez qui ne sont pas moins immuables, que l’ordre de la nature & la constance de vos seruiteurs. Mais à quoy me pouuois-le resoudre, puis qu’entre ces deux precipices il m’estoit impossible de marcher si droit, que ie ne tombasse en l’vn ou en l’autre? La bien-seance du discours vouloit imperieusement que i’éuitasse toutes les occasions où vous pouuiez estre meslées parmy les armes & les affaires: & la bien-seance d’Amour me defendoit, sur peine d’estre de-[/]claré parricide, de vous arracher à la moitié de vous mesme. Qu’eust fait en vn destroit où personne ne s’estoit encore hazardé, la iustesse du plus adroit homme qui viue? Et quel art plus fort que les tempestes & les vents pouuoit me conduire entre ces deux rochers, sans que ie fisse naufrage? I’auouë que s’il m’eust esté permis de quitter la qualité d’vn homme qui escrit auec soin, pour m’attacher à celle d’vn amant qui ne croit rien si beau sur terre, ny plus puissant au Ciel que sa maistresse: I’aurois mesprisé toute l’eloquence, & violé tout le sens commun, plustost que de faire reprocher à mon Amour le commencement d’vne si importante reuolte. Ie ne laisse pas, belles Bergeres du nouveau Lignon, d’auoir vn extreme regret de n’estre pas demeuré aux termes de vous plaire en toutes choses: mais ce qui consolera quel-[/]que jour, est que ie n’ay fait aucune violence à vos Bergers, que cette fois le iour la defense de leurs troupeaux, la priere de leurs amis, ou quelque autre nouueauté ne leur fasse faire à eux mesmes. Ie les ay separez devous, il est vray: mais ie ne les en ay point esloignez: & pour peu que vous me soyez fauorables, vous iugerez que comme la faute que fit Celadon quand il osa se desguiser pour voir Astree toute nuë dans le temple de Venus, a esté loüee par l’euenement: Ainsi la hardiesse que i’ay prise de relascher des liens ausquels il n’est pas mesme permis de toucher, aura par le succez sa gloire & sa recompense. En vous donnant à chacun vne place separee, i’ay mis vos charmes, vos graces, & le reste de vos inestimables perfections d’vn costé: & de l’autre le courage, la vertu & la reputation de vos Bergers. Ainsi vous verrez combien vous doiuent estre [/] enuiez par les âutres merueilles du siecle, ces rares & parfaits Amants. Et à leur tour ils cognoistront à quel excez de bonne fortune leur merite les a esleuez, & quelles actions de graces ils doiuent à l’Amour, apres qu’il les a luy mesme choisis pour seruir les plus belles choses du monde. Cela estant, ne vous arrestez point, s’il vo plaist, à vne faute qui diminuë à mesure qu’elle est bien consideree, & sans m’obliger pour ma iustification à parler d’vn secret que vous n’auez pas voulu tenir moins caché que nous, ayez agreable que la plus parfaite Bergere de son siecle apprenne aux plus accomplies de celuy-ci ses dernieres aduentures. Vous l’auez desia veuë auec plaisir, & pour luy tesmoigner l’estime que vous en faisiez, auec aussi bien que les Nymphes de son païs, daigné prendre ses habits & sa houlette. Elle est vn peu differente de ce qu’elle estoit la [/] derniere fois qu’elle eut l’honneur de vous entretenir. Depuis qu’elle est cognüe de vous, elle n’a presque faict que soupurer la perte d’vn Berger que beaucoup de raisons luy rendoient cher; mais auiourd’huy, par vn changement sans exemple, elle commence à se plaindre de ce que ce Berger n’est point perdu. Ie sçay qu’elle peut s’excuser sur cette rigoureuse loy de l’honneur, & sur cette extraordinaire inclination qu’elle a pour vne Vertu plus scrupuleuse que la Chasteté ne l’est elle-mesme. Toutes fois cognoissant Celadon respectueux & obeyssant, comme il a tousiours esté, elle ne deuroit pas s’arrester à vne dispence, qui de soy estant tres-petite, est encore diminuée par la necessité de la prendre, où la reduit le commandement mesme de son Dieu. Ie vous supplie tres–humblement d’employer vne partie [/] de vos belles paroles pour la retirer de l’erreur où l’a mise la superstition. Remonstrez-luy qu’elle se doit rendre capable d’estre satisfaite: Qu’elle ne peut, qu’auec injustice, codamner vn innocent sans l’oüir: Qu’on ne desire pas qu’elle retranche quelque chose de son ordinaire seuerité; mais qu’elle soit le Iuge de sa propre cause, & en cette qualité se donne la peine d’oüir ce que celuy qu’elle accuse peut dire pour sa descharge. Que ie m’oblige deuant vous, c’est à dire, deuant ce qui est de plus inuiolable & de plus sainct hors des Temples, de luy faire veoir ce criminel despouïllé de tous les charmes, ausquels possible elle craint de ne pouuoir resister. S’il m’est permis d’attendre ceste bonne œuure de la vertu, dont sans penser à ce que vous estes, vous daignez secourir les plus miserables, [/] mon contentement sera à vn point si haut, que pour en trouuer vn au dessus, il faudra que vous preniez la peine de m’asseurer que i’ay eu de vous plaire.[/]
A LA MEMOIRE DE MONSIEVR D’VRFÉ.
DIVIN Esprit, qui maintenant au Ciel, faites vne de ces grandes Estoiles, dont la veuë est reservée aux Anges; si quelquefois vous abaissez vos yeux sur les hommes, voyez le regret que vostre perte donne à tous les honnestes gens de l’Europe. La France, l’Alemagne, & l’Italie semblent disputer à qui tesmoignera mieux le ressentiment de vostre mort: Et entre ce nombre infiny de sujets de vouloir mal à l’Espagne qu’ont ces Nations, celuy d’auoir retranché vne partie de vos iours ne leur est pas le moins sensible. Les Lettres ont perdu vn grand [/] esprit, les armes vn grand courage, le siecle vn grand ornement. Mais vos Bergers & vos Bergeres y perdent plus que toutes ces choses ensemble, & ne trouuent consolation que dans l’ennuy general des plus beaux esprits du monde. Destournez vn peu vos pensees de cet objet émerueillable où elles vont toutes aboutir: Et par la puissance qui est auiourd’huy inseparable de vous. Iettez sur ces Amants vne ombre du repos dont vous estes enuironné. Ce sont des orphelins qui en la mort d’vn pere si fameux, ont veu mourir toute leur bonne fortune. Ce sont des passagers qui combatus des vagues, & emportez par les vents voyent que l’orage auec leur Pilote leur oste l’esperance de leur retour. Il faut que ie l’aduouë, leur misere m’a faist pitié, & ie n’ay pû leur veoir tendre les bras vers la terre demander assistance, & implorer le courage de leurs amis, sans sortir du port, aller apres pour les secourir, & [/] me perdre auec eux, ou les sauuer auec moy. Ie le puis dire à la gloire de ma compassion, si ce n’est à celle de ma force; ie me suis hazardé le premier, & n’ay pas voulu qu’il me fust reproché que les pouuant seruir, ie me fusse attendu à ceux qui possible n’auoient que la volonté bonne. Ie les ay retirez du naufrage, & si ie ne leur ay pû rendre leur premiere grandeur, pour le moins ie pense les auoir mis hors de la necessité. Certes i’y estois obligé, non seulement par la consideration de l’humanité, mais aussi par celle du deuoir: Ie me souuenois des paroles que vous medistes la derniere fois que i’eus l’honneur de vous veoir. Vous me declarastes quel succez deuoient auoir les fortunes de vos enfans: Et comme si par vne preuoyance surnaturelle vous eussiez cogneu lors, ce qui est arriué depuis, me coniurastes de ne point publier ces mysteres, que la saison ne fust venuë. Pleust à Dieu, grand Vrfé, que cette saison ne fust iamais ar-[/]rivee, puis qu’elle deuoit estre si triste pour moy, & si deplorable pour les vostres. Mais ie n’ose me plaindre dauantage: C’est murmurer iniustement que de trouuer à redire en vne Sagesse qui ne peut estre trompée par l’apparence, ny gagnée par les artifices. Ie me restreins à la necessité d’admirer ses iugements, & tasche de m’acquitter de la parole que ie vous ay donnée. Soyez donc content de mon affection, si ma puissance ne vous satisfait pas: & voyant auec plaisir les tesmoignages que tout honneste homme rend à vostre vertu: Confessez que la gloire par laquelle vous viurez tousiours en terre, fait part des felicitez qui vous dureront au Ciel, autant que le Ciel mesme.
Extraict du Priuilege du Roy
Le Roy par ses Lettres patentes a permis à ROBERT FOÜET, Iuré Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer tant de fois qu’il voudra, Les Cinq & Sixiesme Parties de l’Astrée, de Messire HONORÉ D’VRFÉ. Et sa Majesté par les mesmes Lettres, fait tres-expresses inhibitions& defenses à toutes personnes quelles qu’elles soient, d’en imprimer ny vendre, & à tous estrangers d’en apporter dans ses Royaumes & pays, voire mesme d’en tenir d’autre impression que de celles dudit FOÜET, sous quelque cause ou pretexte que ce soit, pendant le temps & espace de dix ans finis & accomplis, à commencer du iour qu’il aura paracheué d’imprimer chacune desdites parties. Voulant en outre, le dit Seigneur, que l’extraict dudit Priuilege estant mis à la fin ou au commencement de chacun desdits exemplaires, il soit tenu pour deuëment signifié, à ce que nul n’ait à y contreuenir, sur peine de quinze cens liures d’amende, & d’autres portées par les dites Lettres. Données à Fontaine bleau, le dixieme iour de Iuillet, mil six cens vingt-cinq. Et signées, par le Roy en son Conseil,
Le Tellier [30/31]