ODE A LA RIVIERE DE LIGNON

Par le Sieur de Baro.

Lignon qui par un doux murmure

Charmes les soucis plus cuisans,

Pour te garantir de l’injure

Et de la puissance des ans,

Urfé faict voir à tout le monde

Tant de merveilles de ton onde,

Et tant de beautez, que je croy

Que par sa plume glorieuse,

Il rendra la mer envieuse

Et ses eaux jalouses de toy.

Aussi les bords que ton rivage

Emaille de belles couleurs,

Par un miracle de nostre aage,

Ont moins de roseaux que de fleurs,

Et les beaux yeux de tes bergeres

Plus divines que boccageres,

Bruslent nos cœurs; mais tellement

Que tu peux benir la fortune,

Si l’eau que tu dois a Neptune

S’oppose à cet embrasement.

Encor’ seroit-il impossible

A cet Element d’empescher,

Que ton cur ne receust sensible

Les traicts qu’elles sçavent lascher.

Mais considerant leur visage,

[8/9] La crainte de vivre en servage

Donne des aisles à tes pas,

Et faict que tu fuys leur presence,

Pour rencontrer plus d’asseurance

Dans la mer que dans leurs appas.

Combien de fois la jalousie

M’a faict souhaitter de pouvoir

Gouster les douceurs de la vie,

Dont tu jouys sans le sçavoir!

Poussé de ce desir extreme,

J’ay dict mille fois en moy-mesme:

O Dieu! dont j’adore le nom,

Fais à mon amour ceste grace,

Que Lignon occupe ma place,

Ou bien moy, celle de Lignon.

Jamais la clairté de mon onde

Ne s’esloigneroit de ces lieux, ’

Pour chercher ailleurs vagabonde

Des objects qui luy plussent mieux;

Car ravy de les voir si belles,

Je serois paisible pres d’elles,

Autant que dureroit le jour,

Et puis soubs une nuict contraire

Nous porterions à nostre mere

Pactole l’or, et moy l’amour.

Les vents de leurs fortes haleines

N’estonneroient plus les zephirs,

Mais seroient pour plaindre mes peines,

Changez en amoureux souspirs.

Que si quelquefois ma frisure,

Bien que sans point faire d’injure,

S’eslevoit par des tourbillons,

C’est que foible pour tant de flamme,

Le feu qui brusleroit mon ame

Seroit cause de ces bouillons.

Mais qu’est-ce que me represente

La vaine ombre de ces plaisirs?

Il en faut esloigner l’attente,

Comme en estouffer les desirs;

Car je sçay (s’il est necessaire

Qu’un souhait bien que temeraire

Desormais me serve d’object),

Qu’il faut que mon ame ravie,

Juge digne de son envie

Plustost l’autheur que le subject.

Ainsi, Lignon, si dans toy-mesme

Tu retiens quelque sentiment,

Admire la faveur extréme

Qu’Urfë te faict en t’estimant.

Et afin que l’ingratitude

Ne soit le prix de son estude,

Prise le beau feu qui l’éprit,

Et confesse dans tes limites

Que tu tiens ce que tu merites

De sa plume et de son esprit.