Qu’il se faut quelques fois arrester,
apres avoir long temps couru:
Qu’il est bon de seruir au
public, tant qu’on luy est
vtile: & quelle doit
estre la retraitte
que nous
auons à
faire.
EPISTRES XXIII.
Or sus, Agathon, c’est asses couru: Plions les voiles: laissons les rames hors de l’eau tornons la veuë au riuage, & entrons desormais dans le port. Nous auons asses essayé les vents: nous nous sommes assez fiez à la Mer: courons à la terre ferme: & ne nous lais-[325/326]sons plus endormir au doux bransle de l’onde. O que ce grãd personnage respondit à propos à Pyrrhus, quand il nombroit les victoires desquelles il esperoit dompter tant de peuples diuers: Et au partir de là, que ferons nous Pyrrhus? Nous conquerrons, respondit-il encores, telles & telles prouinces, qui nous restent: & qui desia nous tendent les bras. Et puis, repliqua il encores, quand cela sera fait, que ferons nous? Ah mon amy, dit alors Pyrrhus en embrassãt, nous viurons à l’heure en repos ! Et qui nous empesche, adiousta ce Sage, que dés à cette heure nous n’y viuions?
Aussi, Agathon, quand nous aurons monté le haut de la Rouë de cette Fortune, qu’est-ce qu’il nous en restera? Sans [326/327] doute rien autre chose, que plus d’empeschement au repos, dont à cette heure nous pouuons iouïr plus facilement. Ie ne voudrois pas te donner conseil de faire vne retraitte honteuse, mais si la Fortune t’en presente quelque bõne occasion, Eh, amy, ie te prie vses en bien. Que peux-tu esperer d’auãtage d’elle, que Iules Cesar? & regarde que par les siens mesmes il est massacré: Et quand les destins te donroient vn moindre, mais plus asseuré bon-heur, quel peut il estre pour surmonter le repos?
Ne va donc point mendier chez autruy, auec beaucoup de peine, ce que facilement tu peux trouuer chés toy. Ie ne voudroy te conseiller, que, voyant vn grand naufrage, tu ne iettasses [327/328] ton esquif en l’eau, & ne te seruisses en toute diligence des rames, & de tout ton sçavoir, pour essayer de sauuer quelqu’vn. En cela ton repos seroit blasmable: Mais l’occasion estant passe, ou si tu cognois ne pouuoir profiter à personne de ton trauail,
Fuyez chetifs, rompez vos cables du riuage:
Car tel qu’est Polypheme, en son anstre sauuage
Resserant ses brebis, & le laict leur tirant,
Cent Cyclopes encor par ces monts errant,
Et hantant d ordinaire en ces riuages courbes.
Fuy, Agathon, de ces Cyclopes horribles, ou plustot de ces vices aveugles, qui vont errant le long du riuage des af-[328/329]faires du monde: ce n’est pas, comme ie t’ay desia dit, que ie te deffende, si ta Patrie brusle, que tu n’y portes de l’eau: mais le feu esteinct, ne t’arreste au pillage du bien d’autruy, comme il advient d’ordinaire en tels embrasements. Diogenes, plustot que d’estre seul oisif à Athenes, voyant le peuple pour le bien de la Republique tout en trauail, rouloit son tonneau du haut d’vne montagne en bas: & puis, comme vn autre Sysiphe, le remontoit. Ie ne louë ny sans mentir, il est bien honteux, en vne occasion publique, de demeurer les croisez: mais il ne doit estre moins de trauailler en vne chose inutile. Ie te conseille donc, [329/330] que si ton Prince, ou ta Patrie te iugent capable de les pouuoir seruir, que tu trauailles pour eux: Et si encores ta Patrie ne le iuge point: & que tu cognoisses que sans y estre appellé tu le puisses, ce seroit trahir l’occasion, pour laquelle tu es né, si tu y espargnois ta peine, ou si tu attendois d’y estre semond. Autrement de voler aux affaires du monde, au premier vent qui court, sans s’y cognoistre ny vtile ny desiré, c’est imiter les mouches, qui accourent au premier bruit, du bassin, que quelque enfant peut estre sans y penser, aura frappé. Vy en repos & ioüy du fruict que le Ciel fait naistre en ton propre terroir, sans te vouloir picquer aux hayes & aux buissons, pour entrer & vo-[330/331]ler le champ d’autruy.
Toutes ces faueurs que tu vois au monde, sont de l’heritage de la Fortune: & tout ce repos que la Vertu de donne, c’est de ton propre bien: Ioüys donc du tien, & te contente sans vouloir desrober ny vsurper celuy de la Fortune. Que s’il aduient qu’elle t’en donne, tu en peux ioüyr, & toutesfois comme d’vne chose suspecte.
Mais, me diras tu, i’ay vn si grand appetit des biens de cette Fortune: & vn si grand degoustement des miens propres, que ie ne puis iuger, puisque la nature nous pousse, & monstre tousiours nostre mieux, qu’ils ne soyent beaucoup meilleurs. La difficulté de l’vn, Agathon, t’en naist le desir: & la facilité de l’au-[331/332]tre le desdeing. Nostre ame ressemble en cela à l’arc: car plus la corde le plie, & l’efforce: plus aussi iette-il sa fleche loing. De mesme plus la difficulté empesche l’execution de nos pensees: & plus elle iette ses desirs forts & violents: Mais veux tu oster la force à cette flesche, delasche la corde: aussi veux tu oster l’ardeur de ce desir, rend tes desirs faciles: c’est à dire, ne desire point plus que tu ne peux. Si tu auois gousté à bon escient ces faueurs de cette fortune, tu ne les treuuerois point plus delicieuses que celles que tu ioüys de la Vertu: Mais sçays tu d’où vient que tu en as plus de volonté, c’est par ce que tu ne les as encor point goustees. Aussi qui les mesprise d’auantange que ce-[332/333]luy qui en a eu en abondance? En toy l’apparence est cause de cette erreur, & aux autres la preuue est cause de cette prudence.
Qui a esté plus accompagné de bon heur, & qui pour vn temps a plus ressenti de ses douceurs, que ce grand Prince que nous avons seruy? Ie croy que de toutes ces choses qui peuuent auoir ce tiltre, vne fois ou autre il en a esté possesseur: Toutesfois, quãd on luy dit, que le S.Pere receuoit son ennemy au giron de l’Eglise: Tant mieux, dit il, lors nous viurons en un repos honorable. Tu vois cõme il auoit desir de se rendre au port, apres auoir tant voyagé: Et comme il iugeoit, que pour le repos, les maniemens honorables mesmes estoient à desdeigner. [333/344] Or si tu croyois que la retraitte, que ie te sonne, fut pour te clorre dans les montagnes affreuses, ou pour te separer, comme vn Timon, entierement de la compagnie des hommes: tu te tromperois beaucoup. Ie veux que tu te retires seulement de la Mer sur le riuage: à fin qu’estãt là, tu puisses ioüyr d’vn estat asseuré: & considerer le danger que tu auras euité, par le naufrage des autres: & s’il est necessaire, pour aduertir encores ceux qui tenteront le voyage, de quels dangers ils ont à se garder & d’autant qu’il y a plusieurs Fares qui sont faux, que la Fortune allume, seulement pour nous faire perir, leur donner les marques de celuy auquel ils doiuent dresser leur routte.
[344/335] Par ainsi tu ne viuras point miserable: car tu seras en vn extreme repos, ny unutile, secourant ceux qui seront capables de tes instructions. Et en quoy pouuons nous mieux ressembler aux Dieux? Puis que, comme dit Platon, ils iouïssent d’vne eternelle paix: & conduisent les affaires du monde. Ie sçay que que tu ne me mettras deuant les yeux, puis que c’est vn bien si souuerain, pourquoy ie ne me l’eslis? S’il m’estoit permis, Agathon, auec quel contentement le feroy-ie ! Ie suis trop engagé au combat, il faut que nous sçachions à qui le champ de bataille demeurera: Et si i’ay la victoire, tu cognoistras que ie ne te donne conseil, que [335/336] ie ne vueille prendre pour moy.
Mais à cette heure elle se-
roit estimee fuite &
non pas re-
traitte.
Et à Dieu.
PROTESTATIO
HONORATI D’VRFÉ
Hic, alibíve, si quid à nobis dictum sit alienum ab Ecclesia Catholica, Apostolica, & Romana, reprobatum, repudiatum, miniméque dictum volumus.