Dédicatoire
LES
EPISTRES
MORALES,
DV SEIGNEVR D’VRFE’
Escuyer & Chambellan ordinaire de
S.A. Colonel general de sa Caua-
lerie & Infanterie Françoise,
& Capitaine de cent Che-
uaux legers de ses
ordonnances.
Dediees à ; son Altesse.
A LYON,
PAR IAQVES ROVSSIN.
M.D. XCVIII.
Auec Priuilege du Roy.[1/2]
[2/3]
A TRES-HAVT,
TRES-PVISSANT,
ET TRES-SOVVE-
uerain Prince,
CHARLES EMANVEL,
Duc de Sauoye, & c.
ANTOINE FAVRE, SENA-
teur au souuerain Senat de Sauoye,
& President en Geneuois, S.
MONSEIGNEVR,
ESTANT ces iours passez [3/4]
Monsieur d’Vrfé en telle extremité de maladie, qu’au iugement des Medecins il ne restoit espoir d’autre vie en luy que de l’eternelle, il luy aduint entre les propos que la force de l’amitié peut arracher de sa foiblesse, de parler de moy, comme de celuy dont il regrettoit l’absence, & auquel il donnoit vn rang principal entre ceux qu’il auoit chery le plus: Et pour m’hõnorer en peu de paroles d’vn tesmoignage qui en porta la memoire iusques à ; la posterité, il enchargea l’vn des plus cõfid?s de ses amis là ; present, de garder soigneusement les discours qu’il [4/5] auoit n’agueres cõposez en forme d’Epistres morales, auec vne bien estroitte recommandation de me les remettre pour en faire ce que ie voudray, comme de chose qu’il faisoit mienne. Dieu voulut, & mon bon-heur, quoy que ja presque esperdu, par la seule apprehension d’vne si griefue perte, qu’au premier aduis que i eu de son mal, ayant accouru, & m’estant rendu pres de sa personne, plustost pour recueillir, & cõseruer religieusement dãs mes larmes les derniers souspirs de ses faueurs, que pour esperance que i’eusse de pouuoir iamais plus luy rendre [5/6] seruice, ie le trouuay sur les approches d’vne cõuallescence: laquelle dés ce temps là ; s’auançant de iour à ; autre, luy donna tost apres autant de force qu’il auoit de courage de me declairer à ; bouche: mais bon Dieu auec quelle affection ! combien il m’aimoit, & ce qu’il auoit ordonné de ses escrits, & de moy tout ensemble. Il n’eust pas esté bi ? seant que sa guerison, laquelle i’auoy tant desiree, m’eut rauy, ou enuié vn si precieux gage de sa bien-veüillance. S’il ne m’en eut hõnoré que par forme de legat, ie n’y auroy point eu de droict pendant sa vie, mais puis-[6/7]que ç’a esté par titre de donatiõ, qui n’a eu autre chose que sa pure liberalité, ny autre but que mon honneur, ie la doy tenir de tant plus precieuse, que Dieu par sa bonté, luy redonnant vne seconde vie, pour de plus fort animer cette premiere affection sienne en mon endroit, il a faict que la donatiõ soit desormais irreuocable, & comme entre vifs, qui autrement eut semblé n’estre que pour cause de mort. Dés lors ne doutãt point que ie ne deusse suiure le conseil, lequel ie luy auoy souuentefois baillé, bien que iamais il n’y eut voulu entendre, de publier ces [7/8] beaux, & rares discours, comme tres-propres & conuenables à ; toute condition de personnes, en tout temps, mais principalement en cestuy-cy où nous sommes. I’estimay quant & quant, que cette grace m’estoit arriuee du ciel pour me mettre en main dequoy pouuoir faire vn present agreable à ; V.A. Et en cela ( quoy qu’il semblat qu’en quelque sorte i y fusse obligé ) ie n’y voulu demander ny attendre plus particuliere permißion de luy, craignant que ses considerations ordinaires n’interrompissent mon desseing. Et cela ie l’ay faict, tant pour [8/9] maintenir le don de son amitié, que pour sçauoir qu’en l’offrant à ; V.A. ce n’estoit luy presenter rien de nouueau: mais continuer seulement le væu qu’il luy a faict de tout temps de tout ce qu’il est, & de tout ce qu’il a: cõme moy encores de tout ce peu qui iamais pourra despendre de moy, si ma bassesse me permet de ioindre mon deuoir au sein, pour le rendre tant plus honnorable. V.V. qui a veu tant de preuues de sa rare valeur en toutes les occasions de ces guerres, & singulierement en la reprinse de sa Mauriane, treuuera encores en ces discours, combien il [9/10] est vaillant, & adroit Champion des Muses, tant ils sont eslongnez de ceste vulgaire façon de discourir & escrire, qui ne plait communement qu’à ; ceux lesquels n’ont rien de rare. Ce sont discours qui ne respirent autre qu’vne extreme generosité d’vne belle ame, & releuee, qui ne se plait en autre aßiette qu’au mespris de la mort & des vicißitudes de ce monde. Philosophie de laquelle plusieurs font profeßíon pour en brauer, mais dans leurs chaires: bien peu cõme luy dans le lict de la mort. & en l’escole de la Fortune. I’adiousteroy librement, [10/11] & sans rougir, que quand ie ly Ces Epistres, il me semble que c’est Vn nouueau Seneque: n’estoit l’auantage qu’a cettuy-cy sur l’autre, d’auoir mieux sceu que luy, conformer ses mœurs à ; ses escrits. La vie de celuy-là, selon ce que plusieurs en rapportent, dem?toit ses escrits de toutes parts. Sa mort ne fut loüable que parce qu’elle dementit sa vie. Et en cela, s’il est ainsi, sa memoire doit beaucoup à ; l’execrable cruauté de Neron, qui luy fournit le suiect d’vne si fiere constance. Cestuy-cy au contraire, ayant apris de bien faire, außi tost que de bien [11/12] dir, n’a formé les enseignemens qu’il donne de la vertu, sur autre moule, que sur sa propre vie: & ayant soustenu & surmonté courageusement les plus durs assaut de la mort, & recogneu son visage de si pres, que tout ce qui estoit au delà, ne luy pouuoit estre ny douloureux, ny effroyable. Il a faict voir sans mourir, qu’il sçait bien mourir encores, & qu’il n’y a rien de plus aisé à ; quiconque sçait bien vivre. Les escrits deceluy-là ; ont suruescu, non seulement à ; sa cendre: mais außi à ; la mauuaise renommee de ses actiõs vicieuses. Ceux-cy viuront auec [12/13]leur autheur ( si mes souhaits ont quelque lieu ) de longues annees: suruiuront à ; sa cendre sans doute, & mesurans leur duree, par l’estendue des siecles, qui retiendront tãt chery & fauorise de V.A. qu’en faueur de ses merites, elle aura daigné prendre encor en bonne part, qu’vn si digne present, luy aye esté offert par les [13/14] mains du moindre de ses seruiteurs, & qui n’eut peu, ny de soy-mesme, ny du sein, offrir autre chose à ; V. A. qu’vn pur zele de luy rendre autant de tres-humble & perpetuel seruice, que luy en peut deuoir celuy qui est & sera perpetuellement,
Monseigneur
De Necy, ce 6. De V. A.
Auril, 1598.
Tres-huble, tres-
Fidele, & tres-
Obeissant suiect
& seruiteur. [14/15]
MADAME,
L’Amitié d’Agathon durant ma prison, m’a desrobbé ces petits discours, qui vont maintenant se presenter à ; vous: pource que voulant donner commencement à ; leur fortune, ils croyent ne le pouvoir faire plus heureusement. Et comme iadis le feu qui descendoit du Ciel sur les sacrifices estoit vn asseuré presage qu’ils y deuoyent estre receus. Ils estimeront que vous aurez celuy [15/16] qu’ils vous offrent, pour agreable, s’ils se voyent esclairez d’vn seul ray de vos yeux. Et si ces flammes, dont leur Pere a tant ressenty d’embrasemens, les daignent allumer. C’est l’heureux augure qu’ils desirent à ; leur naissance, & duquel ie vous supplie tres-humblement les fauoriser. S’ils sonz tristes & noirs, ils n’en sont que d’autant plus semblables à ; ma vie & à ; ma fortune. Que si encor entre leur tristesse & noirceur quelque resolution, & quelque magnanimité reluit, c’est vne estincelle, qui plus elle esclaire, plus retient elle aussi de la Deité dont elle procede, qui est vous, Madame. Car si ma main leur a donné ces caracteres, qui leur seruent de corps, ils ont eu de vous la franchise de la parole, [17/18] & la constance du courage, pour ame. Receuez les donc & de leur part & de la mienne, non pour vn don, mais pour vn deuoir qu’ils vous rendent: eux comme animez de vous: & que ie vous offre,
Madame, comme
A Montbrison ce 24,
Septembre, 1595.
Vostre tres-humble, &
Tre-fidele seruiteur,
HONORE´ D’VRFE´. [18/19]
IN EPISTOLAS
NOBILLISSIMI
VIRI D. D’VRFE,
EPIGRAMMA.
Que canit arma Maro, Latiuque neglecta pericla Hæt Anchesiades arma fuere manus.
Summum ambo meruisse decus sacla illa fat?tur: In dubium tamen est, plus quis honoris habet?
Sed tua tu pariter factis scriptisque notasti, Et quod agunt duplices, persicit vna Manus.
Qua tibi, quæ laudu præconia? Præmia quænam, VRFE, tuis meritus Gallia digna canet?
G. DE LA THEOLIERE, [29/20]