Quand je suis née, on a dit qu’une petite fille était venue au monde. Longtemps, j’ai cru que ce monde était notre maison commune. En grandissant, j’ai compris que non, et que toutes les terres étaient occupées. Et la mer et le ciel. Les arbres, les fruits, les noix, les pissenlits, les chiens, les chèvres, les forêts…
Ainsi, je me suis confrontée à des frontières. Entre les maisons, les jardins, les pays. J’ai appris que de celles-ci découlent des guerres et des cris. Que le pays qui m’enfermait s’était construit sur l’extrême violence. Un jour, j’ai quitté ce pays. J’ai fui. Sur le chemin, en me détachant de mes entraves, j’ai commencé à voler. Pas comme une Oiseau mais comme une Cerf-Volante : je volais grâce à des mains solidaires. En volant, je suis devenue une femme sans frontière, mais fragile. On peut facilement me déchirer, m’écraser. Je suis une Cerf-Volante, parmi tant d’autres, de milliers de couleurs, de milliers d’expressions. Je suis une de ces femmes exilées qui représentent 54% des migrant·e·s en Europe. Des invisibles condamnées à une existence sans droit, à l’exploitation et à la violence. Pourtant…
Pourtant, dans cette invisibilité, il y a les rencontres magiques des invisibles qui agissent, qui inventent des luttes collectives. Notre vieux monde voit naître les liens forts et transnationaux des pensées utopiques. Ce qui est nouveau est en train de se former par le bas : par les convergences des femmes, des sauvages, des sans catégories, des sans droits, sans maison, sans nation, des « autres » issu∙e∙s d’ailleurs, de la pauvreté, de la nature, qui s’échappent de plus en plus des machines normalisatrices pour déclencher de nouveaux processus. Se diffuse un mouvement qui est au cœur de circulations multiples et complexes, plus difficiles à contrôler.
Aujourd’hui, dans ce défilé de cerfs-volants, je transforme l’exil en un espace de liberté et je sens très fort que ce monde triste pourrait être un espace de fête. Donc avec d’autres cerfs-volants, je danse pour la liberté de voyager. Pour la liberté de s’installer. De se nourrir. Pour la liberté d’aimer ! Je suis une Cerf-Volante dansante… Entre les vents et les mains qui me tirent, je suis un bateau volant. Aujourd’hui, c’est devenu bien plus difficile de me déchirer.